On retrouve dans ce deuxième volet Lyra, une Alice moderne qui ne vit pas, comme son illustre devancière, dans un monde uniquement de féerie. Les mondes de Lyra sont durs et difficiles. Même quand, après avoir côtoyé la souffrance et la mort elle franchit, comme à la fin du premier volume, un pont de lumière pour entrer dans un autre monde dans le doute et l'espérance, elle devine que les pires difficultés l'attendent. L'héroïne qui nous a séduits par sa fraîcheur, sa naïveté vite corrigée par son esprit affûté et sa ruse, y rencontre Will, un garçon de son âge. Will est originaire de notre univers et non d'un monde parallèle, comme Lyra, et s'y trouve à la suite de circonstances particulières. Audacieux, débrouillard, il a appris depuis la disparition de son père, à protéger sa mère fragile contre les intrusions répétées d'étranges enquêteurs. Jusqu'au jour où, meurtrier en état de légitime défense, il est obligé de fuir et franchit une brèche quasi invisible qui lui permet de passer dans un monde parallèle, à Cittàgazze, la ville au-delà de l'Aurore. Il rencontre Lyra, l'héroïne des Royaumes du Nord., investie d'une mission dont elle ne connaît pas encore toute l'importance. Si Lyra est dans ce monde pour y chercher la Poussière, Will cherche son père qui a disparu depuis une bonne douzaine d'années. Dans leur lutte contre les forces obscures du mal, ils poursuivront les aventures épiques et philosophiques qui forment l'essentiel de la trilogie de Philip Pullman. Les deux enfants vivront diverses aventures comme pénétrer dans la mystérieuse tour des anges, berner les spectres mangeurs de la conscience humaine, subir le vol de l'aléthiomètre, et utiliser les ressources d'un Couteau dont Will s'est emparé, le Poignard subtil, un précieux talisman.qui a des pouvoirs remarquables. Comme Lyra en a besoin pour retrouver son aléthiomètre, leurs projets divergents se rejoignent.

Comment Lyra, retenue prisonnière dans une grotte et maintenue endormie par un puissant sortilège, sera-t-elle délivrée ?. Grâce à quelles alliances Will, qui possède désormais le pouvoir de fabriquer des portes vers n'importe quel autre monde, mais qui a perdu Lyra, pourra-t-il tirer son épingle du jeu dans le grand affrontement qui se prépare? Peut-être celle d'Iorek Byrnisson, ours en armure en prison et alcoolique ? La terrible Sérafina Pekkala et ses Sorcières? Un vaillant aéronaute au grand coeur Lee Scoresby ? Car si les forces du Mal sont redoutables, celles du Bien ont aussi leurs partisans... Il faut noter que le thème de l'innocence enfantine - encore qu'il y ait beaucoup à dire à l'encontre de cette idée rousseauiste - réapparaît avec le fait que si les Spectres peuvent vampiriser les adultes, ils sont désarmés face aux enfants, ce qui est bien pratique pour nos deux héros qui échappent à leur emprise...

Dans ce deuxième tome, Mme Coulter, l'impitoyable mère de Lyra, est le bras armé de l'Église, devenue totalitariste comme bien souvent dans le passé. Les représentants des religions organisées sont conduits par le besoin de domination séculière, ne reculent devant aucune cruauté, ce qui est l'occasion de scènes particulièrement dures. Les enfants ne sont pas épargnés, dont certains souffrent de la perte de leur dæmon, l'équivalent de leur âme. Le pouvoir de l'Église est d'autant plus redoutable qu'elle dispose de la Théologie expérimentale, équivalent de notre physique. Alors que l'oeuvre a une résonance nettement spirituelle, cette particularité est inattendue dans une épopée aux accents de transcendance qui ne tait pas ses sympathies pour les forces du Bien en lutte contre le Mal...

Dans une interview faite par Christelle Loigerot pour Libération, Pullman réagit en petit fils d'un pasteur anglican, qui croyait en Dieu comme en la nécessité d'aimer son prochain : "Les fondateurs des religions - Jésus-Christ ou Bouddha par exemple - avaient une conception de Dieu tournée vers l'amour. Or, et l'histoire de l'humanité le prouve, dès que vous avez des organisations religieuses, des Églises, des hiérarchies, cela devient politique, une question de pouvoir sur les autres. Très vite on en arrive à tuer tous ceux qui pensent différemment. C'est pour ces raisons que je critique l'Église." Aussi Pullman est-il satisfait de penser que son grand-père l'aurait approuvé : "Il pensait que l'amour est essentiel dans les relations entre humains. S'il pouvait lire mes livres, j'espère qu'il s'apercevrait que ceux-ci célèbrent les qualités de tolérance, de courage, d'amour, d'amitié, de liberté, égalité, fraternité et, au contraire, critiquent la cruauté, l'intolérance, la rigidité morale. Il constaterait alors que nous sommes du même côté." (18/03/2001)

La psychologie des personnages s'enrichit. On le constate chez les parents de Lyra (qui était confiée aux "érudits" d'Oxford et qu'aucun des deux ne connaissait vraiment) de plus en plus divisés entre leurs convictions et la fibre parentale. Mme Coulter, notamment, vit une existence tourmentée que son tempérament de fonceuse ne permet que d'entrevoir : "Je n'aime pas les personnages figés, les bons, les méchants, ils ne m'apportent rien. Ils sont morts. Lyra ment tout le temps, mais, en même temps, elle est capable d'un amour immense. Ce sont ces qualités contradictoires qui m'intéressent. Mon personnage préféré est celui de madame Coulter, la mère de Lyra, qui est absolument amorale, n'a aucun sentiment de culpabilité après ses crimes (...), mais qui succombe, malgré elle, à l'amour maternel. Elle détourne sans cesse l'intrigue." (interview de Corinne Julve, 22/03/2001)

L'odyssée captivante des deux enfants, tous deux mus par des projets qui les dépassent, se poursuit ainsi sur un fond de réflexion très nettement métaphysique (la nature de l'homme, le bien et le mal, l'esprit et la matière), et on comprend pourquoi ces romans ont été aussi rapidement plébiscités par les adultes, sans que les jeunes lecteurs paraissent en souffrir.
Si après le premier volume, on pouvait se demander comment Pullman allait pouvoir continuer à maintenir la qualité des deux autres volumes à ce niveau, alors qu'il utilise le décor science fantasy des mondes parallèles est si souvent rencontré. Il faut bien reconnaître qu'il y réussit ici encore. Pullman est un conteur, dont la démarche est celle des temps passés, quand l'imprimé n'était guère diffusé et que l'oral était prédominant. Il semble que sa démarche soit la même, et ce professeur ne s'embarrasse guère des grandes théories littéraires : "Raconter des histoires, c'est vraiment la seule chose qui m'intéresse. Ça s'apprend tout seul, en absorbant ce qui passe, livres, contes, légendes, romans, BD de Superman, de Batman, soap opera, séries télé. Mais si je lis attentivement, je ne me pose pas de questions genre postmodernes ou structuralistes, mon regard est celui d'un conteur, je sens si une intrigue marche ou pas, j'essaie d'en comprendre les ressorts, de voir ce que je peux apprendre ou même prendre. (...) Il est peut-être paradoxal de recourir au récit fantastique pour le dire, mais la réalité est si riche et si mystérieuse, on devrait en tenir compte davantage. C'est cela que je voulais souligner à travers les épisodes de cette trilogie." (interview de Corinne Julve, 22/03/2001)

Personnages attachants, ambigus ou changeants, intrigue étoffée solidement construite, manichéisme sans raideur, écrit en fonction du sujet pour que l'écriture ne vienne pas perturber le récit, levant des mystères pour en proposer d'autres, toutes ces caractéristiques font des récits captivants et attachants. Reste le troisième, qui devrait normalement terminer l'histoire de Lyra.

Quatrième de couverture : 
Le jeune Will, à la recherche de son père disparu depuis de longues années, est persuadé d'avoir tué un homme. Dans sa fuite, il franchit une brèche presque invisible qui lui permet de passer dans un monde parallèle. Là, à Cittàgazze, la ville au-delà de l'Aurore, il rencontre Lyra, l'héroïne des Royaumes du Nord. Elle aussi cherche à rejoindre son père, elle aussi est investie d'une mission dont elle ne connaît pas encore toute l'importance. Ensemble, les deux enfants devront lutter contre les forces obscures du mal et pour accomplir leur quête pénétrer dans la mystérieuse tour des Anges ...

 Roland Ernould © 2003

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