Jean Marigny

Stephen King Romancier

dans Stephen King, premières approches

collectif coordonné par Guy Astic, éd. du Cefal, 2000

 

L'ouverture du recueil est réservée à Jean Marigny, qui produit, en première partie, un panorama rapide, mais pertinent, des oeuvres de King, chronologiquement présentées et analysées. Il a préalablement constaté en introduction que King, romancier adulé et richissime, n'est guère apprécié des universitaires, qui le démolissent d'emblée, sans l'avoir lu. Si King n'est pas Balzac, remarque Marigny, il n'est pas non plus quelconque. Cette partie de l'étude mêle biographie et bibliographie, chaque roman étant commenté littérairement en un paragraphe d'une dizaine de lignes en moyenne. Marigny a choisi la chronologie de l'édition, au lieu de celle de la conception des oeuvres, ce qui crée un certain flou dans l'esprit de celui qui souhaiterait suivre le choix et l'évolution des thèmes ou motifs kingiens. À noter que la biographie s'arrête en 1994, et que de nombreux romans manquent comme "Insomnie", "Rose Madder", "Désolation", le dernier Bachman, sans compter "La ligne verte" et le quatrième volume de La Tour Sombre. Manifestement l'étude a été rédigée il y a quelques années et n'a été actualisée que par une opportune citation de "Sac d'os". La recension est rapide, mais donne satisfaction. On peut regretter que l'esprit subversif et la révolte de King étudiant n'aient pas été mentionnés - ce sont pourtant des années cruciales dans la découvertes de son écriture.

La partie la plus importante et la plus intéressante est consacrée à la thématique du fantastique kingien, les motifs du vampire, du loup-garou, de la maison hantée, du double, etc. Marigny signale aussi le fantastique intérieur, et les thèmes actuels comme la parapsychologie. Le fantastique kingien "porte la marque inimitable de l'auteur en ce qu'il est profondément ancré dans la réalité sociologique de l'Amérique contemporaine. C'est précisément parce que ses intrigues se déroulent dans un décor familier au lecteur et mettent en jeu des protagonistes qui représentent les catégories professionnelles les plus représentatives du peuple américain, que l'irruption de l'insolite et de l'inexplicable prend beaucoup plus de relief." (27)
Les romans réalistes qui ne sont pas paralittéraires sont seulement évoqués, au profit de ceux où interviennent le suspense et l'horreur. Plusieurs pages sont consacrées par contre à la science-fiction et à la fantasy. Le bilan : "
King est difficilement classable. En dehors d'une minorité de romans que l'on peut qualifier sans hésiter de fantastiques au sens le plus traditionnel du terme, ses récits procèdent d'une synthèse parfois surprenante entre le roman policier, le roman de science-fiction, le roman dystopique et l'heroic fantasy. On trouve dans l'oeuvre de King un étonnant mélange de réalisme et de merveilleux, de préoccupations socio-politiques concrètes et de fantasmes débridés." (33) Avec le gore comme dénominateur commun.

King est obsédé par l'omniprésence du mal, individuel et social, et par les perturbations provenant d'un monde invisible qui existe autour de nous, nous manipulant avec des desseins inconnus. Ce dernier mal, surnaturel et métaphysique, a le pouvoir de semer la mort et la désolation. Seuls les enfants, avec leur innocence et leur imagination, sont capables de le déjouer. Malheureusement, en devenant adolescents, ils perdent ces qualités et un certain nombre d'entre eux sont déjà contaminés par le mal, provenant généralement des adultes. King s'intéresse encore à la folie, à la sexualité, à l'injustice sociale. Plusieurs romans sont aussi consacrés à la création littéraire, son statut. Les écrivains sont nombreux et rencontrent, entre autres, des problèmes d'inspiration, d'édition, ou sont obsédés par leur double.
Marigny met en évidence le côté "kafkaïen" de la vision kingienne de la société : "
King présente en effet une société américaine régie par l'argent, la toute-puissante consommation, la soif de domination, et les faux-semblants de toutes sortes. Les valeurs morales et religieuses traditionnelles ne sont plus qu'un paravent commode pour dissimuler les frustrations et les angoisses secrètes de chaque individu. Dans ce monde où l'absurde règne en maître absolu, (...) King parvient ainsi à créer un fantastique social qui se superpose au fantastique traditionnel et c'est peut-être l'un des aspects les plus originaux de son oeuvre romanesque." (44) Il faut noter que, dans cette société régie par l'argent, la richesse de King et son statut de vedette ne sont pas sans lui créer "une profonde angoisse existentielle."

Les problèmes de fond sont analysés par Marigny avec une richesse dont ce compte-rendu ne peut être qu'un pâle reflet. Il en va de même avec l'étude de l'écriture, particulièrement riche dans un ensemble disparate, inclassable, qui va de la nouvelle au roman-fleuve. Si King a pu faire état de prétentions littéraires, il faut reconnaître que son oeuvre est bien en-dessous de celle des grands auteurs du fantastique. Marigny dénonce les passages descriptifs faciles, la langue familière, lexicalement pauvre, parfois vulgaire, des dialogues d'une affligeante banalité. Ce parti-pris de banalité et de vulgarité rend King suspect aux yeux des formalistes. Marigny souligne le mercantilisme de King, qui donne l'impression de produire des romans conçus pour leur adaptation cinématographique : "L'intrigue se termine presque invariablement par des scènes apocalyptiques qui peuvent certes attirer l'attention de cinéastes friands d'effets spéciaux, mais dont on aurait pu faire aisément l'économie." (46) Ou, suggestion personnelle, parce que l'oeil de King enfant a été conditionné par l'écriture cinématographique des films de série B?

Par contre King est remarquablement doué pour la narration. Il sait bâtir une intrigue, "pour ménager des effets de suspense et pour maintenir son lecteur en haleine." (47) King a l'art de brouiller les pistes, de multiplier les éclairages. "Ça" est un "remarquable exercice de virtuosité." (49) Des centaines de personnages interviennent, de tous les milieux, tous plus vrais que nature, évoquant des problèmes d'actualité : "King, que l'on pourrait considérer comme le Simenon du récit d'horreur contemporain, fait preuve d'un réel talent lorsqu'il s'agit de construire une atmosphère et de camper des personnages." (51) Cette vérité des caractères renforce le contraste entre le caractère plausible de la vie ordinaire et les événements extraordinaires qui y surviennent. On y trouve des personnages attachants, enfants comme adultes. Mais d'autres sont franchement abjects, soit marginalisés et inadaptés à la vie sociale, soit psychotiques. King sait s'identifier à ses personnages, positifs ou négatifs, et "prend soin d'utiliser le registre lexical et le style qui conviennent à leur personnalité." (55) Enfin King aime pratiquer l'intertextualité externe, empruntant de multiples références d'auteurs connus; et interne, avec le rappel des mêmes personnages et des mêmes lieux, dont certains, comme Castle Rock, ont été crées de toutes pièces. "Pionnier" de la littérature fantastique contemporaine, King n'a pas seulement un don exceptionnel de créativité, multipliant les genres, les intrigues et les personnages : "Sous une apparence faussement simpliste les romans de King soulèvent des problèmes fondamentaux, comme ceux de la justice sociale et du devenir de l'humanité. Ils offrent un impitoyable miroir de notre société de consommation qui a perdu son âme et qui subordonne tout à I'argent." (57) King apparaît ainsi comme un auteur inclassable qui a donné ses lettres de noblesse au roman d'horreur contemporain.

Le mérite de cette étude est de donner une bonne vue d'ensemble de la thématique kingienne et de ses stratégies littéraires. Les analyses, pénétrantes, sonnent juste. Bien sûr, on sent que la place manque pour les détails et on peut regretter que le recueil ait été édité longtemps après sa conception. L'étude de Marigny peut être complétée par l'essai de son «disciple», Laurent Bourdier, "Stephen King, Parcours d'une oeuvre" (éd. Encrage). Jean Marigny a été le directeur de thèse de Bourdier, qui lui a d'ailleurs dédié son livre. Tout en manifestant des réserves justifiées, Marigny témoigne d'une ouverture compréhensive à l'égard d'un King auteur, dont le statut particulier suscite plus de réserve que de sympathie chez ses pairs universitaires.

 

Actuellement retraité, Jean Marigny a été professeur de littératures anglaise et américaine à l'Université Grenoble III où il a dirigé le GERF (Groupe d'Études et de Recherches sur le Fantastique). Il continue à faire partie de son comité de lecture. Outre sa thèse et l'ouvrage aujourd'hui recensé, il a publié deux anthologies, Histoires anglo-saxonnes de vampires (1978) et Vampires : Dracula et les siens (1997) en collaboration avec Roger Bozzetto. Il a également dirigé deux ouvrages collectifs, Les vampires (1992) en collaboration avec Antoine Faivre, et Dracula (1997). Il vient de publier Le vampire dans la littérature du XXème siècle, 2003.

Ernould Roland, mai 2000.

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 Stephen King, premières approches

collectif coordonné par Guy Astic, éd. du Cefal, mai 2000, 270 p

autres textes :

 

Guy Astic

L'art de la démesure en raccourci, Rêves et Cauchemars.

 

Denis Mellier

Le grand Bazar de Stephen King.

De l'épouvante en régime libéral : terreur, économie, réflexivité.

Gilles Menegaldo

Forme brève et stratégies du fantastique chez Stephen King.

 

Sophie Rabau

Comment lire Stephen King? ou La frontière effacée

Autres ouvrages publiés par le CEFAL analysés sur ce site :

Jacques Finné .... Panorama de la littérature fantastique américaine, tome 1 : Des origines aux pulps, Cefal 1993

Jacques Finné .... Panorama de la littérature fantastique américaine, tome 2 : De la mort des pulps aux années du renouveau, Cefal, 2000

D'un autre éditeur : Jean-Baptiste . Baronian .. Panorama de la littérature fantastique de langue française La Renaissance du Livre, 2000

Notes de lecture :

Le Vampire dans la littérature du XXe Siècle

éd. Honoré Champion, 2003
Vampires, Dracula et les siens

Textes choisis et présentés par Roger Bozzetto et Jean Marigny.

Omnibus, 1997.
Jean
Marigny

Stephen King Romancier

dans Stephen King, premières approches

collectif coordonné par Guy Astic, éd. du Cefal, 2000,.

 

 

Sang pour sang. Le réveil des vampires

éd. Découvertes Gallimard, coll. Traditions, 1993, rééd. 1999.


Histoires anglo-saxonnes de vampires

(1978)
Dracula

Paris, France, Ed. Autrement, Collection Figures mythiques, 1997


Peter Viereck

La Maison du Vampire

(House of the Vampire, 1907)

Traduit de l'anglais (États-Unis) et présenté par Jean Marigny , La Clef d'Argent , 2003

 

 

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

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