Jacques Finné, Panorama de la littérature fantastique américaine

tome 2 : De la mort des pulps aux années du renouveau

Cefal, 2000

Six ans après le premier volume, voici le second de la vaste entreprise projetée par un étudiant désargenté qui n'avait pu se payer à l'époque L'anthologie du fantastique de Roger Caillois qu'il convoitait. Ayant travaillé quelque temps pour l'éditeur Marabout spécialisé un certain temps dans le fantastique, et sollicité en 1973 par Jacques Baronian pour réaliser L'Amérique fantastique de Poe à Lovecraft, il conçut le projet de réaliser ultérieurement un panorama sans fioriture qui donnerait au néophyte une vue aussi complète que possible de la littérature fantastique américaine.
C'est la tradition gothique qui a introduit le surnaturel littéraire dans le Nouveau Monde et les USA en ont gardé le goût du Moyen-Âge (
Poe, Crawford, James font se dérouler des récits dans de tels décors). L'émancipation de la littérature, jusqu'alors reflet de celle du continent, ne se fera qu'au début du XXème siècle. Aucun écrivain ne fait profession de fantastique, à l'encontre de maintenant. Par contre, nombreux sont ceux qui se recommandent du surnaturel.
L'arrivée des pulps, publications bon marché sur mauvais papier, pour un vaste public peu exigeant, va engendrer une vaste d'écrivains professionnels du fantastique, dont
Lovecraft et ses épigones. La mort des pulps signifiera la mort d'un certain fantastique qu'on ne retrouvera jamais plus par la suite. La nouvelle est remplacée par le roman, parfois fleuve.
Il n'est pas question d'entrer dans le détail du premier volume. Un résumé de la table des matières permettra de se faire une idée du contenu.

Dans le second tome, les pulps ont été simultanément victimes des restrictions de la guerre, du changement des goûts et de la venue des livres de poche. Après leur lente disparition, vers les années cinquante, le fantastique américain a souffert, moribond, mais pas mort. Une vingtaine de privilégiés continuèrent à survivre au naufrage des pulps, à écrire du fantastique de qualité, en s'affranchissant de l'ombre pesante de
Lovecraft et parvinrent même à vivre de leur production. Les autres plumitifs, galériens des pubs, disparurent. Le livre de poche, dans un essor que rien n'arrêtera, véhicula d'autres genres, notamment de la science-fiction, qui prend la place avec des auteurs-phares restés classiques comme Paul Anderson, Isaac Asimov, Fredric Brown, P. J. Farmer, Robert Heinlein, F. Leiber, C. Simak, T. Sturgeon, A. E. Van Vogt, soit la crème des années 40-60. À la science-fiction s'ajoutaient des romans de guerre, d'espionnage et romans policiers. La guerre froide et la violence urbaine grandissante suffisaient aux amateurs d'émotions fortes sans qu'il faille recourir aux peurs ataviques de l'humanité.
À partir des années soixante, contre toute attente, le fantastique s'est rétabli et a effectué un retour en force qui ne semble pas vouloir se démentir aujourd'hui, même si le nombre d'auteurs et de parutions est inférieur à celui de la science-fiction. Le rôle du cinéma a été fondamental dans cette résurrection. C'est après
L 'horreur de Dracula, de Terence Fisher (1958) que le thème du vampire a eu à nouveau du succès, même si ce succès ne s'impose en littérature que dix ans plus tard. Une seconde raison de la survie du fantastique, est à découvrir dans le fait que ses romanciers ont compris qu'il fallait composer avec les autres genres de la paralittérature : la science-fiction, la fantasy, le roman policier, voire le roman d'espionnage ou de guerre.
La date retenue comme limite de cette deuxième partie (1985) est arbitraire, et n'a tenu compte que du volume de la production. Les parties 1 et 2 du livre sont consacrées aux auteurs de cette période, divisés en deux groupes : Les émancipés de Cthulhu et les émancipés des pulps. Cette distinction en vaut une autre. La troisième partie est consacrée à la thématique, et analyse les transformations que les thèmes et motifs ont subies durant cette période pour continuer à passionner le lecteur. C'est ainsi que les vampires, les goules et les loups-garous commencent à perdre leurs mauvais rôles. Ils deviennent tragiques, revendicateurs, sympathiques, réhabilités, justiciers, utilitaires, ridicules (chez August Derleth déjà, du temps des pulps, les revenants étaient devenus sympathiques, tragiques et justiciers). La narration fantastique s'est aussi transformée, privilégiant les aventures fantastiques au développement du schéma fantastique classique : attente du thème surnaturel, dévoilement au lecteur. L'élément fantastique intervient dès les premières pages et se passe de plus en plus de justification. Le décor se visualise sans grandes descriptions. Le lecteur dispose d'un stock d'images mentales qui rendent redondantes les descriptions trop longues.

Comme du temps des pulps, réapparaissent les écrivains fantastiques professionnels. Jusqu'en 1935, les auteurs professionnels du fantastique avaient soit une fortune personnelle (Henry
James), soit une autre profession qui les mettait à l'abri du besoin (Poe, Bierce et C. Finney étaient reporters, Robert Chambers, peintre et écrivain populaire). Vivre de sa plume, en paralittérature, est maintenant presque devenu monnaie courante. Le revers de la médaille est que peu de ces écrivains pourtant connus, habiles à exciter les lecteurs, à les tenir en haleine, à les conditionner pour acheter leur dernier roman sorti, resteront connus dans quelques années. Des noms comme Hawthorne, Poe, Bierce, Henry James, London, Twain, Melville, Wharton, qui n'étaient pas des professionnels du fantastique, se retrouvent maintenant dans tous les traités de littérature américaine. Les auteurs cités dans ce volume iront-ils les rejoindre dans quelques années?

Par ailleurs, de manière presque paradoxale, si les auteurs fantastiques ne se retrouveront pas nécessairement dans les traités de littérature générale, le genre intéresse maintenant les chercheurs universitaires alors que dans les années 1965-1970, et malgré les remarquables travaux de Pierre-George
Castex, de Louis Vax et, dans une moindre mesure, de Marcel Schneider, préparer un mémoire de maîtrise ou une thèse de doctorat sur la littérature fantastique revenait à passer pour un plaisantin. La surabondance des publications diverses, depuis lors, universitaires ou non, prouve une acceptation moins restrictive du fantastique.

Il reste à Finné assez de matière pour constituer un tome 3 qui parlera des autres grands thèmes fantastiques dans la littérature américaine, le fantôme, le diable (qui se retrouve aux premières loges depuis
L'exorciste, nouvelle preuve de l'impact du cinéma sur la littérature), etc. Le moment sera venu alors de faire la place, aux côtés de quelques auteurs inclassables, tels Thomas Tryon, Shirley Jackson ou Charles L. Grant, au phénomène Stephen King, un suzerain, et à ses vassaux, Peter Straub et Dean R. Koontz constituant les principaux.
Finné a fait une lecture approfondie de la plupart des oeuvres dont il parle et a synthétisé des informations bio-bibliographiques sur une trentaine d'auteurs américains. Il donne aussi le résumé d'un certain nombre d'oeuvres. L'appareil critique considérable. tel quel, malgré ses limites, ce livre de référence se révèle incontournable.
Roland Ernould
juillet 2001.

La quatrième de couverture :
La mort des pulps vers les années cinquante, est un événement qui ne peut se comparer qu'à la disparition des grands dinosaures de l'ère secondaire. Beaucoup d'auteurs n'y ont pas survécu; certains l'ont fait.
Ce volume (le deuxième d'un cycle de trois) étudie le sort d'écrivains qui sont restés dans les mémoires soit parce qu'ils se sont arrachés à l'étreinte de l'increvable Cthulhu, la créature de Lovecraft (R. Bloch, A. Derleth, R. E. Howard, F. B. Long, C. A. Smith, D. Wandrei), soit parce qu'ils ont pu voler de leurs propres ailes, en grande partie grâce à l'essor des livres de poche (entre autres, R. Bradbury, F. Brown, C. Jacobi, S. Quinn et, surtout, F. Leiber qui brille comme un astre au firmament de la littérature fantastique).
Outre les écrivains rescapés, ce livre examine le cas de certaines créatures que l'on croyait enterrées, bouffées aux mites, désintégrées - la goule, le zombie, le loup-garou, le vampire. Désintégrées? Il n'en est rien! Jamais elles n'ont montré santé plus insolente - on publie au moins deux romans de vampires par semaine, dans le monde entier. Voilà bien la preuve que les mythes ne peuvent ni ne veulent mourir et que la littérature fantastique n'a pas fini de nous étonner, surtout en Amérique.

 

Table des matières
Préface, Introduction
Les émancipés de Cthulhu : Robert Bloch (1917 - 1994) - August (William) Derleth (1909 - 1971) - Robert E(rwin) Howard (1906 - 1936) - Frank Belknap Long (1903) - Clark Ashton Smith (1893 - 1961) - Donald Wandrei (1908 - 1987)
Les émancipés des pulps : - Ray Bradbury (1920) - Joseph Payne Brennan (1918- 1990) - Fredric Brown (1906- 1972) - Carl Jacobi (1908) - David H(enry) Keller (1880 - 1966) - Fritz Leiber Jr (1910 - 1992) - Richard Matheson (1926) - Seabury Quinn (1889 - 1969) - Theodore Sturgeon (1918 - 1985) - Edward Lucas White (1866 - 1934) - Henry S(aint Clair) Whitehead (1882 - 1932) - En vrac : [Raymond Chandler (1888 - 1959) - Frank Gruber (1904 - 1969) - Edmond Hamilton (1904 - 1977) - Henry Kuttner (1915 - 1958) - John D. MacDonald (1916 - 1986) - Arthur Porges (I 915) - James Wade (1930- 1983) - Cornell Woolrich (1903 - 1968)]
Ils sont revenus
Lamies - Goules et zombies - Loups-garous et vampires (Le classicisme - Variations thématiques - La réhabilitation - Monstres hygiéniques - La parodie - Variations diverses - Vampires érotico-pornographiques - Variations de décors - . Renversement des valeurs) - Le grand retour (Dracula en personne - Textes indépendants - Les cycles Dracula - Les rivaux de Dracula(J. N. Williamson - Chelsea Quinn Yarbro - Les Daniels - Anne Rice - S. P. Somtow
Conclusions générales
Bibliographie, Index des auteurs et des titres, Notes.

 

Jacques Finné, Panorama de la littérature américaine, tome 1 : Des origines aux pulps, Cefal 1993.

Depuis des années, Jacques Finné est reconnu comme un des plus éminents spécialistes européens de la littérature fantastique. Ses goûts le poussent vers le domaine anglo-saxon et vers le thème du vampire, comme le prouvent entre autres sa Bibliographie de Dracula, parue à Lausanne (L'Âge d'Homme) et sa traduction (intégrale) du célèbre roman de Bram Stoker (Presses Pocket). Outre, bien entendu, le tome 3 de ce Panorama (Le renouveau), il prépare une importante anthologie de femmes écrivains victoriennes ayant marivaudé avec la Ghost Story et un ouvrage sur les controverses démonologiques de la Renaissance.

Roland Ernould © 2001

Stephen King, premières approches

collectif coordonné par Guy Astic, éd. du Cefal, mai 2000, 270 p

Jean-Baptiste Baronian .. Panorama de la littérature fantastique de langue française La Renaissance du Livre, 2000

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 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

mes dossiers sur les auteurs

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