Notes de lectures.

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. Sexie ou l'Éloge de la nymphomanie

..La Gueule

..Une enfance sorcière

.. Traditions et superstitions aux portes de Paris

...

Claude Seignolle, Sexie ou l'Éloge de la nymphomanie

édition intégrale, revue et augmentée, éd. Zulma, 32380 Cadeilhan, octobre 1998.

Présenté par Claude Seignolle lui-même.

«Oui, Sexie possède l'incommensurable charme, l'infinie beauté, l'inévitable attirance de la baiseuse. Certains la traitent, péjorativement, de plaisir-à-tout, de nymphomane. Mais ce sont les éternels jaloux, impuissants et laissés-pour-compte de ce monde qui ne voient que mal en tout, plus particulièrement dans le domaine que je vais m'efforcer d'évoquer en ces pages édifiantes.»
Dans ces histoires lestes et très confidentielles, Starcante, l'auteur de
Sexie, parle à merveille de ses aventures sexuelles. Il en fait des contes pour adultes, gourmandises pour les sens. Spontanés, inattendus, parfois cocasses, toujours excitants, ces «contes et récits licencieux» constituent une sorte de folklore d'alcôve, une véritable ethnologie de la gaudriole sexuelle exhibée au grand jour.
Claude Seignolle présente cette nouvelle édition intégrale, revue et corrigée, des aventures de Sexie. Il avoue bien connaître leur auteur, caché sous le nom de Starcante. Les premiers recueils de cet
«Éloge de la nymphomanie" furent d'ailleurs interdits et vendus sous le manteau. Autres temps, autres moeurs, autres bonheurs d'écriture que Claude Seignolle nous restitue aujourd'hui pour le plus grand plaisir du lecteur complice.

Une oeuvre réputée pornographique cesse de choquer les pudeurs le jour où elle révèle sa nature artistique. On pourrait citer de nombreux exemples de créations, condamnées en leur temps, picturales par exemple, que les musées nationaux se font une gloire d'exposer. Le cas spectaculaire encore récent étant L'Origine du monde, un tableau de Courbet mettant en valeur la fente d'un sexe féminin à toison noire, depuis peu au Musée d'Orsay.
Pourtant les traités d'esthétique ne parlent guère de l'art érotique, pas davantage d'ailleurs que de l'art culinaire. Un foie gras ou un vieux bourgogne ne sont pas censés éveiller les mêmes sentiments nobles accordés sans difficulté à un tableau ou un poème qui les valent. Encore admet-on parfois, avec réticence, que la gastronomie puisse être un art, le cuisinier ou le vigneron un artiste. Mais quant à l'esthétique du sexuel...

Gustave Courbet : L'Origine du monde, (1866), huile, musée d'Orsay, 46x55 cms.

 

J'écris bien «sexuel» et l'exemple du tableau de Courbet n'a pas été anodin. Les commentateurs ne sont pas avares pour organiser autour de la femme toute une mystique artistique dont les termes sont empruntés d'ailleurs à la poésie et à la peinture. Une femme artificielle, éthérée, ou à l'opposé maternante, dont la fonction érotique, gommée du discours, ne l'est pas toujours dans les apparences qu'elle se donne. La publicité excelle dans l'utilisation de cette duplicité sociale d'une érotique omniprésente du yaourt, du déodorant ou de l'automobile. C'est que gourmandise et plus encore sexualité passent pour des tendances basses. Que le Cantique des Cantiques biblique, le Kama-Soutra hindou, ou des poèmes antiques d'Ovide aient été consacrés à L'Art d'Aimer ne convainc pas les grincheux.

De la sexualité, jusqu'à une période récente, on n'a voulu retenir ouvertement que la fonction sociale: les enfants (pour Dieu, le ciment d'un couple, le nom ou le patrimoine, maintenant que le sentiment patriotique n'a plus cours). Ou encore, pour le romanesque, la conquête amoureuse, le donjuanisme, la séduction ou la rupture, qui ont fait l'objet de maintes créations. Mais l'essentiel -ce qui se trouve entre les jambes- est rarement abordé, ou quand il l'est, c'est dans la gêne ou dans la discrétion. L'acte sexuel lui-même est évoqué comme intime, voire vulgaire, ou pour certains, honteux. À la limite, on l'admet sous un travestissement. Par exemple, dans une certaine culture chrétienne traditionnelle, on ne baisait que dans le mariage, sacrement qui sanctifiait et idéalisait l'acte. Et surtout, si chacun y pensait, on n'était cependant pas censé parler ouvertement de ce qui se passait, la cérémonie rituelle et le repas de noces terminés. Suggérer la suite, c'était trivial. Évoquer dans le détail les activités au lit, c'était carrément obscène. En me relisant, bien que les temps aient beaucoup changé, je me demande s'il faut utiliser des verbes au passé, notamment pour ce qui se dit sur la question lors des conversations familiales...

Cela pour le bon ton des conversations ordinaires. Car bien sûr ces dames se gavent volontiers d'une presse hebdomadaire à grand tirage: comment parvenir le plus vite à l'orgasme, comment les répéter, comment tirer le meilleur parti de votre partenaire sont les sujets ordinaires des magazines féminins. L'acte sexuel ne peut ainsi s'éprouver que dans la mauvaise conscience. Car officiellement le sexe est sale, et le cochon un vicieux.

Tout ceci pour expliquer que si des écrivains connus ont commis des oeuvres érotiques, c'était jusqu'à une période récente, dans la clandestinité et dans le trouble, souvent sous une fausse signature. Et il est amusant de constater que Seignolle, alias Starcante, se montre quelque peu gêné par
Sexie. Gêné à l'égard de ceux qui le connaissent par d'autres oeuvres, d'une qualité indiscutable dans un autre ordre, et plutôt sages dans leurs évocations érotiques. Gêné d'avoir écrit sous le manteau trois romans jadis réprouvés, devenus confidentiels, et volontairement délaissés par leur auteur. Gêné sans doute de passer pour un cochon. Donc vicieux...

Car Sexie, la fille débridée, n'est ni éthérée, ni maternante. Elle ne vit que pour son sexe, sans limite, sans retenue et sans entrave. La pudeur est un sentiment que Sexie ignore. Le narrateur, bien que doué, est limité par les possibilités physiques liées à sa nature d'homme, et il ne peut multiplier les prouesses au-delà de limites crédibles. Mais des limites, il n'y en a pas pour Sexie. Toutes les occasions, toutes les positions, tous les calibres. N'importe où, n'importe quand, n'importe comment, simultanément. Ni les dimensions, ni le nombre, ni la fréquence ne l'effraient. Avec une sorte d'innocence absolue qui en fait un cas. Une boulimique de l'éros.

D'autres personnages apparaissent, avec leurs caractéristiques particulières, dont le seul point commun est le sexe, et le seul avantage de compléter la culture déjà bien encyclopédique de Sexie. Le narrateur se montre distancié et bon observateur, jusqu'à ce que sa nature l'emporte. Curieux, souvent expérimental, avec un solide sens de l'humour. Le tout forme une oeuvre forcément répétitive, mais remarquablement servie par une écriture qui allie à la fois la précision clinique, le mot savoureux, l'adjectif pulpeux et une suggestivité soutenue. Et d'une efficacité érotique certaine. Pure et dure.

Si la censure régnait encore quand ces trois livres ont paru, dans les années cinquante, en des endroits insolites, on ne peut plus dire qu'elle exerce maintenant, en tant que bras séculier d'un ordre bourgeois, une contrainte quelconque. En cette fin de siècle où se développe la course à la transgression, à la provocation et à l'anticonformisme, il n'y a plus de censure, parce qu'il n'y a plus de société constituée. N'apparaissent plus que des censures particulières, provenant d'associations ou de minorités, qui utilisent surtout leurs protestations pour faire entendre leur voix personnelle.
Aussi est-il singulier de voir apparaître, dans le grand silence de la censure institutionnelle, cette forme d'auto-censure autogérée que pratique Seignolle, pour des raisons d'opportunité. En ce sens je regrette que Seignolle signale, dans la présentation de
Sexie, avoir refusé d'écrire son nom comme auteur de l'oeuvre: pour que "ces pages osées ne choquent pas ceux de ses lecteurs bien-pensants qui le lisent avec respect et gravité", faisant allusion à la "force oppressive des conventions". Apollinaire est-il moins bon poète pour avoir dressé les Dix mille verges? ou Aragon moins bon romancier pour avoir flatté Le con d'Irène? Je ressens personnellement l'impression inverse, de percevoir des auteurs plus diversifiés, plus riches en étendue humaine que les présentations châtrées des manuels de littérature. Freud a bien montré que la pulsion érotique est fondamentale dans toute entreprise culturelle et que l'art est le laboratoire des désirs humains.

Pour en revenir au point de départ de ce propos, pourquoi Seignolle, fort de son autorité de conteur, n'a t-il pas invoqué, haut et fort, son droit de contribuer, avec Sexie, à une politique du plaisir? à une esthétique des sentiments gourmands et érotiques, tous deux liés à la satisfaction de nos tripes? de la bouffe et du lit, où La Gueule et Sexie pourraient figurer en bonne place? Refuser ainsi l'image publique tronquée d'un Seignolle qui se révèlerait autant homme avec ses passions et ses goûts, que conteur fantastique? En fait Seignolle semble se tortiller comme une collégienne précoce qui doit avouer à sa mère avoir fait une bêtise. Honteuse en apparence, mais ravie. Dans la béatitude. Tout en feignant étaler une pudique retenue pour avoir publié ces trois écrits, il est aux anges de laisser se propager une image de lui différente, la reconnaissant sans vouloir la reconnaître. La main voilant le visage, mais les yeux vrillant entre les doigts, cherchant à évaluer les réactions de son lectorat. Il dit avoir peur de perdre sa réputation de sérieux auprès de son vaste public, tout en espérant se voir rassuré. Qu'il ne craigne rien. Il avait mis au point sa légende, bien lisse, une image certes forte, mais finalement étiquetée. Un peu restreinte. Maintenant, quand on écrira un livre sur Seignolle, on ne glissera plus, à la sauvette, dans un coin, les allusions aux fantaisies érotiques de Starcante. Avec La Gueule, puis maintenant Sexie, s'ajoutant aux récits et aux contes, la partie «l'homme» ne s'effacera plus tout à fait devant «le narrateur». À son âge, Seignolle ne réalise-t-il pas, en bon épicurien, ce que Stephen King affirme être le souhait commun des hommes: "mourir paisiblement dans leur lit à l'âge de quatre-vingts ans, de préférence après un bon repas, une bonne bouteille de cru classé et une bonne partie de jambes en l'air." (Anatomie de l'horreur, 158). Disons centenaire, par affection pour Seignolle...

Roland Ernould, 06/09/99.

Note : deux livres viennent de paraître concernant le tableau de Courbet : J'étais l'origine du monde, par Christine Orban, Albin Michel, 79 Fr; L'Origine du monde, par Serge Rezvani, Actes Sud, 139 Fr.

Vous pouvez trouver des documents et des photos de couvertures anciennes de Claude Seignolle à : http://www.heresie.com/seignolle/

 

Claude Seignolle La Gueule, Zulma éd., 3/1999, 32380 Cadeilhan. 120 FF.

La quatrième de couverture:

La Gueule, c'est 1a faim terrible qui prend l'homme au ventre et le pousse à toutes les folies. À partir de souvenirs très personnels, Claude Seignolle raconte la Seconde Guerre mondiale, sa captivité en Allemagne nazie, la résistance en Sologne, puis, après la guerre, un séjour en Suède, au Maroc et à Ibiza. Avec la verve de conteur qu'on lui connaît, il donne au quotidien une dimension quasi surnaturelle. Les soldats allemands deviennent pour lui des loups verts. La capture d'une patrouille ennemie se fait à l'aide d'une gamelle de patates. Et de "l'exécution du chien pourri", André Hardellet souligne «le don hallucinatoire de la description»! Si le cauchemar tient lieu de réalité, la peur et la détresse ne résistent pas à un rire intérieur qui fait foi en la vie.

L'analyse de cette oeuvre de Seignolle est un exercice difficile. L'introduction étoffée, remarquable d'Éric Dussert rend l'aventure encore plus périlleuse. Une lecture naïve n'est d'ailleurs plus possible. Je ne peux la faire qu'au travers des déclarations et les comportements d'un homme qui construit passionnément ses histoires et son image. S'il fallait le qualifier en quelques mots, je dirais que Seignolle est un metteur en scène remarquable, metteur en scène littéraire de ses contes fantastiques, de ses récits biographiques, et metteur en scène théâtral du personnage qu'il a sans cesse patiemment construit et qu'il impose, sans qu'on puisse le remettre en question.

La Gueule est d'abord une oeuvre politique. Pas la politique politicienne, dont a horreur Seignolle. Mais «le» politique, la vie du citoyen dans la cité des hommes, au sens aristotélicien: vivre au mieux, avec les autres humains, dans une société régulée. Or, constate Seignolle, notre vie en commun est un désastre. Règnent partout l'autoritarisme borné, l'exploitation de l'autre, la vie mangée par les travaux industriels destructeurs, l'écrasement des petits, l'incompréhension, la moquerie, bref, le malheur d'être des hommes condamnés à vivre ensemble. Il décrit aussi la richesse égoïste des habitants des nations nanties, comme ces Suédois rencontrés après la guerre, pétant de santé, "étalons intacts" (152), alors que dans le reste de l'Europe on ne rencontre que balafrés, amputés et corps meurtris. Et ce sont les maux les plus graves. Le pire étant dans l'acharnement à molester, à blesser, à dominer, à tuer: la folie de la guerre. Tout ceci dit avec force, sans discours, en quelques mots, auxquels la force stylistique donne un impact émotionnel suffisant pour emporter l'adhésion. Sur ce terrain, Seignolle a des accents qui rappellent le meilleur Céline. Mes lecteurs y rencontreront aussi un King familier pour qui sait le lire entre les lignes, un King que ne renierait pas Seignolle: "Bien sûr, les monstres existent. Ce sont les hommes qui, dans je ne sais combien de pays, sont prêts à pousser sur le bouton pour déclencher la guerre atomique, ce sont les pirates de l'air, ce sont les assassins à la chaîne et les tueurs d'enfants." (Salem, 169)
Heureux ceux qui, ici et là, trouvent un réconfort dans une camaraderie momentanée, où on partage comme on peut son malheur, dans une solidarité sans lendemain. Des bêtes qui se rassemblent pour avoir un peu de chaleur et mieux faire front à l'orage. Les passages les plus humains sont ceux des instants réconfortants de ces rencontres. Car la guerre, le pire symbole de tous les travers humains, meurtrit Seignolle au plus profond. Le premier récit de ce livre est un plaidoyer révolté contre la guerre et la corruption humaine généralisée qu'elle entraîne. La guerre permet à la «gueule» de révéler des limites dans l'odieux que la vie quotidienne normale ne permet pas. Et Seignolle ne joue pas au saint: quand lui-même a l'occasion de s'en prendre aux «loups verts», vainqueurs déchus, c'est pour leur enlever ce qui pèse encore plus que leur vie: leur dignité. Il y arrivera par la gueule.

La «gueule», ce sont les pulsions animales, fondamentales et difficilement maîtrisables par l'être humain: manger, boire, copuler. Plus tuer d'autres humains sans nécessité vitale, pour le plaisir. C'est la gueule qui fait des hommes des monstres. Vivre, c'est manger. Éventuellement l'autre. Dure nécessité de la nature humaine, que la société des hommes tempère à peine dans son fonctionnement ordinaire.
Mais que la guerre éclate, et la gueule s'impose sans vergogne: toujours insatisfaite. Si on ne la comble pas, on meurt de faim. Si on cherche à la remplir, on peut en mourir, comme ce biffin qui, la colonne de prisonniers quittée, meurt, tué d'un coup de pistolet dans la nuque tiré par un gardien, dans un champ proche pour avoir voulu cueillir une patate. Mort de la plus totale insignifiance:
"Il m'aurait semblé équitable que, voulant tuer un homme, ce coup de revolver fît un bruit de canon; un bruit à se boucher les oreilles; un fracas de fin du monde, car l'homme est un monde à lui tout seul. La fin d'un être humain vaut bien un orage. Eh bien, non; ce fut seulement ce craquement mesquin, aussitôt emporté par l'immense crissement des semelles cloutées raclant le silence des chaussées." (59) Mieux vaut d'ailleurs, pour la dignité humaine, mourir assassiné dans l'absurde, soumis à "l'aveugle puissance des armes, du feu et de la mort" (26) que devoir lucidement perdre son honneur comme cet officier allemand, naguère affamé de carnage, qui se rend, la rage au coeur, pour avoir cédé à la tentation d'un plat de pommes de terre.
Et si, par chance, on se la remplit, la gueule, on meurt aussi, gavé comme ce polonais affamé qui s'est empiffré de pommes de terre crues, et qui n'accouche pas du foetus d'amidon indigeste que son estomac ne parvient pas à expulser. La gueule, qui se contente de tout, y compris de frites cuites à la graisse de charogne, en plein "
primitivisme bestial". La gueule tournée en dérision, quand dans l'après-guerre, dans la pénurie générale et la recherche difficile de la nourriture, des négociants d'un papier devenu rare gavent la fille d'un riche suédois, leur fournisseur de pâte: "Tous ces affamés du papier finissaient par la pourrir à coups de marennes, de belons, de cuisses de grenouilles, de poulardes, de pinards rarissimes, de champagnes millésimés." (145) La fille trouve que l'on a fort exagéré la misère des Français. Et aussi, pour être complet, la gueule gastronomique, qui peut devenir un art, avec le restaurant "haut-lieu de la gueule, un temple dédié à la boustifaille." (193)

La gueule, c'est aussi le sexe, le désir qui couve dans les ventres, le fluide charnel de la femelle qui pousse au viol. Ce n'est plus la mort, mais la possession de l'autre qui est recherchée: "
Nous ne pensions, nous ne désirions plus que la chose. La Chose depuis longtemps prisonnière en nous. La Chose convertie en simples images, impalpables, imaginées." (50) Le sexe qui se retrouve partout dans le recueil, inhibé en Suède, suggestif au Maroc, tranquillement conjugal en Sologne. Et puis la gueule, c'est aussi la soif, obsédante dans le désert. Bref, partout, la gueule.

Le fantastique n'apparaît pas au premier abord. Une remarquable description de la peur, celle qui prend aux tripes et submerge tout
(125), ne débouche pas sur l'objet la justifiant. Alors que dans les nouvelles de Seignolle, le fantastique naît de l'intrusion d'un événement surnaturel dans la quotidienneté des choses, le fantastique de La Gueule est d'une autre nature. L'oeil de Seignolle «voit» ce qu'on ne devrait pas voir. Voyant qui décrypte l'élément fantastique dans les choses, Seignolle découvre des correspondances cachées. La chevelure d'une vieille femme devient brusquement insolite: "Ses longs cheveux, collés en nattes raides par la crasse huileuse qui luit par instants, comme des éclairs, volent raides autour de sa tête hagarde, tentacules de pieuvres arrachée de son antre marin, cherchant à saisir son tortionnaire." (177) Les scènes horribles sont nombreuses: les tankistes au visage fondu qui, Frankenstein involontaires, portent un masque: "L'un d'eux passa sa main sur sa nuque; alors, craignant que sa tête ne fût aussi postiche et qu'il ne l'enlevât, je fermais les yeux." (124) Suivent des images d'épouvante. On ne peut tout citer: l'exécution atroce, yeux arrachés au doigt, du résistant Écureuil; l'ouvrier tombé dans une cuve d'acide, qui y perd lentement sa substance; le chien pourri increvable. Et la truie folle, la charrette de la mort de l'Ankou breton, le ventre gonflé du cerf mort, dont la langue évoque "une limace géante cherchant à pénétrer dans la gorge." (133); et d'autres encore.

La seule lumière dans ce monde ténébreux, où règne en maître le "crime de lèse-harmonie" (131), ce sont les mots et les livres. Les mots, qui mettront à la merci du narrateur les loups verts affamés, qui ont abandonné pour manger leur attirail guerrier: "Après avoir eu les armes par la gueule, il fallait avoir l'esprit par le Verbe." (67) D'où cette louange du livre, insolite dans ce monde où on cherche avant tout à sauver sa peau, ou la torture physique est constamment présente: "Je souffre toujours quand je vois un livre torturé. Le livre est une chose vivante, un cerveau discret, en veilleuse; un cerveau non de matière compacte comme le nôtre, mais un cerveau de lamelles, toujours docile, toujours disposé à satisfaire votre curiosité." (108) Des livres dans lesquels Seignolle s'est toujours vautré, qu'il aime peut-être avant tout, qu'il multiplie à donner le tournis et qu'il parsème avec magnanimité...

Mise en scène à la
Malaparte, percutante par le choix du vocable juste et des effets de style. L'auteur s'est battu avec les mots, drus, goûteux, charnus, gouleyants, parfois tendres, pour leur donner la juste place dans une prose fascinante. Dans le meilleur récit du recueil, il brode de multiples et invraisemblables variations sur le légume du pauvre... Livre le plus souvent de dérision, cruel, ironique, d'une gaieté tragique, toujours mené avec entrain. Qui suscite des parallèles: ceux avec les auteurs énoncés plus haut, Moravia, Theodor Plievier, pour les deux premiers récits. Cendrars, un camarade de Seignolle, pour l'esprit de pérégrination et la recherche. Dans le troisième texte, des évocations du Maghreb suggèrent le Gide découvrant le pays, avec des expressions poétiques semblables à celles de son Nathanaël des Nourritures terrestres. Le tout me fait enfin penser aux sentiments de révolte et d'absurde, si marquants dans Camus, qui a écrit à la même époque, qui ressent simultanément, comme Seignolle, le dérisoire du temps et le même goût pour la vie. Comme Camus décrivant Tipasa, apparaît un Seignolle sensoriel, inséré dans son monde, cherchant à rendre l'union du corps humain avec la vitalité de l'univers, fût-il décevant sous bien des aspects. Sa poétique n'est pas celle d'un spectateur, mais d'un acteur qui participe au grand mouvement des choses.

Si on n'a pas bien pénétré Seignolle, on ne comprend pas pourquoi il a laissé sommeiller ces récits pendant si longtemps. Son personnage (le «je» est omniprésent), vit une existence plongée dans des événements variés, ce qui facilite les observations et les confidences, rares ailleurs. Seignolle vit pleinement son temps. Surgissent des aspects secrets d'un Seignolle aimant le manger, le boire, les filles; des réactions à la fois roublardes et innocentes aux événements. Comme ces aspects seront ensuite gommés dans ses contes, on peut penser que Seignolle a mis de côté ce livre, trop personnalisé à son goût, pour ne pas brouiller l'image de l'écrivain qu'il voulait donner. Ses amis de l'époque connaissaient bien cette vitalité, qui se révèle plus crûment encore dans un autre livre,
Sexie, qui vient de paraître, après un aussi long sommeil que La Gueule. Les contes occultent le vrai Seignolle, le rendant mystérieux, en retrait dans une temporalité différente, en accord avec les dits naguère recueillis auprès de ses campagnards. Ils ont contribué malheureusement à restreindre l'image d'un Seignolle au mythe réducteur du meneur de loups. Personnage bien plus complexe, que l'on devine derrière ses contes, mais qui est difficilement mis à jour. Il est heureux que Seignolle se soit décidé à donner une image plus ouverte de sa nature.

La chasse à la patate du premier récit suggère une certaine approche
."Poussé par toute la kyrielle de [ses] ancêtres chasseurs surgis de la nuit des temps" (131), Seignolle est lui aussi un chasseur de proies. Ses captures ne sont pas de chair, mais les produits de l'essence humaine, de ce que l'homme a en lui de plus précieux, de plus typique, transcendant l'animal qui gronde en lui: les vestiges de son histoire, les croyances lentement élaborées au cours des millénaires, les mots pour écrire et les témoignages de la vie des hommes.


Le cheminement spirituel de Seignolle paraît évident. D'abord l'adolescent et le jeune homme, c'est la chasse archéologique, des traces concrètes, palpables, que la terre a conservées et que l'on peut retrouver ensuite dans un musée pour le plaisir d'exercer son regard et d'évoquer des grandeurs. Puis l'exercice devient plus théorique, avec la chasse aux récits populaires qui suppose plusieurs intermédiaires (capter la confiance, recevoir le récit, le mettre en forme). Ensuite la chasse aux mots, à l'écriture pertinente qui se dérobe et se trouve enfin, avec l'accumulation des contes fantastiques, utilisant des matériaux précédents. Mais remaniés, et sublimés jusqu'à cette perfection qui permet au lecteur de sentir se produire le miracle de la rencontre d'un passé, presque déjà lointain, d'hommes de passions, de croyances, de peurs et de mort, avec un écrivain qui les ressuscite. Enfin avec l'âge, est venue la chasse de la quintessence de l'humain, la poursuite de l'autographe, une page manuscrite qui contient un plaisir ou un tourment d'homme célèbre, ou seulement une signature mythique qui fait encore davantage rêver. Et toujours, pendant ces quêtes se succédant, la chasse à l'affection, à l'amitié, aux marques de reconnaissance, un Seignolle cherchant constamment à séduire, à accumuler contacts, relations et liens. Travail passionnant, qui a occupé toutes ces dizaines d'années, et qui le motivent toujours. Somme toute, une longue chasse à la patate. Ramasser, pendant que peut se faire encore, avant leur pourriture par le temps, ce qui peut encore être sauvé de ces trésors populaires avant leur disparition. Ramasser ses contes déjà écrits, les trier, les rassembler à nouveau, dans des paniers toujours renouvelés, des livres qui n'ont jamais le même contenu. Ramasser les autographes qui symbolisent une vie d'efforts créateurs, les classer, les sauver de l'ensevelissement pire que la mort. Et ces patates, pour organiser leur survie de son vivant, Seignolle va les faire passer, comme les patates que l'on sait maintenant conserver longtemps, par une sorte d'équivalence aux substances et aux radiations qui permettent une plus longue conservation des tubercules: l'occupation incessante du terrain, l'organisation autour de son oeuvre d'un réseau de laudateurs, l'amoureuse élaboration d'une statue destinée à lui survivre. En espérant ce miracle impossible: parachever et imposer définitivement l'image que les décennies futures garderont.
Un personnage hors du commun. Une force.

21/08/1999

 Une enfance sorcière, Omnibus, avril 2000.

La quatrième de couverture :

«C'est à Périgueux, dans un Périgord truffé du passé le plus ancien, que ma mère me porta en ventre de septembre 1916 au 25 juin 1917, à quinze heures très précises. Ce fut là que je pris intra mater les premiers frissons du mystère et les virus de l'archéologie.» Claude Seignolle part ainsi au début de ce livre à la recherche des influences multiples et secrètes qui ont fait de lui l'homme qu'il est devenu - ethnographe, écrivain, collecteur de contes, passeur de mémoire et faiseur de légendes.
Du grand-oncle Félix, dernier des Cro-Magnon, à la grand-mère Augusta qui lui donna la preuve matérielle de l'existence du diable, son enfance sorcière est jalonnée de portraits hauts en couleur qui sont autant de repères marquant le parcours de l'adolescent vers son destin.

Octogénaire encore bien vert, Claude Seignolle est le fantastiqueur français le plus célèbre de cette fin de siècle. Cet explorateur des ténèbres a eu le privilège exceptionnel d'être accepté par les enseignants des collèges et lycées et proposé à leurs élèves, place unique pour les auteurs du genre. Sans doute à cause de son fantastique insidieux, sans les gros effets et oripeaux habituels. Non seulement Seignolle néglige le clinquant et la machinerie ordinaire que les montreurs du fantastique se croient obligés de mettre en place pour appâter le lecteur, mais il a son style, immédiatement reconnaissable. Avec gourmandise, les mots sont enfilés dans le ravissement comme des perles singulières et colorées, où la place de chacune est réfléchie en fonction de l'impact à produire, rocailleux, râpeux, dramatique, poétique, toujours coruscant, qui semble couler de source alors qu'il est le résultat d'un long travail d'écriture. Une écriture parfois sauvage, à la langue à la fois archaïque et moderne, avec tous les effets de "parlure" d'un raconteur né. Le style le plus adéquat pour faire surgir dans la réalité quotidienne les angoisses et les peurs des hommes, les horreurs qui sortent de la nuit du monde, leur sauvagerie et l'absurdité de leurs comportements.

Négligeant le poids des ans, il gère jalousement son oeuvre et multiplie les éditions d'écrits déjà parus, mais les remanie, les transpose, les métamorphose. Il cisèle et polit des textes déjà excellents, remettant ses récits sur le métier avec persévérance dans le désir d'atteindre une perfection au-delà de l'impossible. Ce qui nous vaut ces anecdotes de jeunesse, dans lesquelles Seignolle nous narre l'ambiance périgourdine de son lieu de naissance, terre du passé le plus ancien, où l'on retrouve les plus vieux crânes du monde, où le surnaturel se trouve en osmose avec le quotidien. Seignolle est un irradié du passé, aussi bien l'historique que le fantastique. Tout jeune, il éprouve en même temps les frissons de l'archéologie et du mystère de ces campagnes, entre un oncle athlétique, sorte de sauvageon cro-magnonesque, ou une grand-mère époustouflante, qui le fait vivre en symbiose avec le Maître rouge de l'enfer ou la sorcière d'à côté, le loup-garou d'en face ou les chasses volantes, le croquemitaine ou le juif errant qu'elle a rencontré par hasard près de la cathédrale Saint-Front. Bref, une famille où la plupart croient possibles des phénomènes impossibles. De la recherche des silex des abris aux fouilles archéologiques, des recherches dans les ruines à la quête des contes et légendes en voie d'être oubliés, Seignolle rencontre dans les terres paysannes les survivants des magiciens, des sorciers, des jeteurs de sort, des guérisseurs. Une enfance passée dans l'initiation à un surréalisme de l'étrangeté, parfois tragique et sanglante, lointaine survivance des traces rupestres rougeâtres du sang humain ou animal des sacrifices rituels. Seignolle a capté les propagations du passé et du suprasensible, humé leurs effluves, accaparé leur surnaturelle réalité, servi par un appétit et une imagination débordants.

Trop, c'est trop! Il paraît impossible qu'un seul homme ait pu subir cette foisonnance d'influences; rencontrer tant de personnes célèbres à un âge où, gamin, il se trouvait viré de l'école alors qu'il dissertait savamment, en culottes courtes, archéologie avec les préhistoriens l'abbé Breuil ou Teilhard de Chardin; subissait l'influence de l'ethnologue Van Gennep. Et tout le reste! Extraordinaire légende, racontée avec un tel élan, une telle dynamique et un tel accent de sincérité qu'à la lecture, toute réticence tombe. Et ce n'est que la tête reposée de cet invraisemblable musée d'influences visité par ce brocanteur du ténébreux qu'on se dit que cet homme est marqué par une intervention particulière de forces obscures. Qui ont offert en cadeau à Seignolle un fantastique présenté "naturellement", sans qu'il ait produit l'effort de le chercher.

On veut plutôt croire que cet homme a poursuivi, avec une volonté sans limites, de manière obstinée, inconsciemment peut-être d'abord, mais en pleine lucidité maintenant, l'édification du monument seignollien qu'il voudrait laisser à la postérité. Jamais achevé, jamais assez parfait pour la démesure et la grandeur de l'homme. Ce qu'il a été ne l'intéresse que dans la mesure où il pourra parler ce qu'il sera demain, devenu le serviteur de son propre culte, son célébrant, en en prescrivant, pour lui-même et les autres, les usages et les rites. Et Seignolle apparaît si grandi, par ce méticuleux travail d'artisan de sa survie, qu'il faut oublier le truqueur pour admettre ce que le conteur a transformé, dénaturé ou inventé, afin que sa vie mythique s'inscrive dans quelque Légende Dorée dans l'esprit de l'Histoire.

Si vous ne connaissez pas bien Claude Seignolle, lisez cette "enfance sorcière", qui montre comment un grand écrivain naît à la conjonction bénie d'influences multiples, digérées avec une convoitise insatiable, avec une ouverture sans réticence à l'immensité des choses. Et si vous connaissez Seignolle, ces pages auto-biographiques vous raviront, par leur narration haute en couleur de l'enfance du meneur de loups et du Maître en diablerie. Et l'on comprend que, servant de ces régions mystérieuses où l'animal humain plonge ses racines, Seignolle veuille imposer son image aux générations qui suivront, jusqu'à son dernier souffle, en triomphant de la grande Ombre qui accompagne le passage, et qui effraie les hommes depuis qu'ils ont pris conscience de l'inexorabilité du temps.

20/4/2000

Un commentaire personnel de Claude Seignolle à propos de cette note.( 25/4/00)

"Encore une fois vous avez tapé juste et en plein dans mon ego, mais tout cela est positif. (...) Votre texte mérite maintes lectures, car il est ça et là visionnaire (1), ce que vous dites de moi, je le ressens comme dit à moi seul. D'où l'impact de vos propos sur mon moral.

D'avoir partagé les peurs anciennes confère une souveraineté sur les peurs futures. Les miennes ne sont pas aussi fortes et partagées que celle de votre petit copain King, et cependant elles sont immortelles."

note de Seignolle : (1) "ou tout du moins je l'espère fortement".

Claude et Jacques Seignolle

Traditions et superstitions aux portes de Paris , éd. Hesse, sept. 2000.

Nos contemporains ne vivent plus que de peurs fabriquées en grandes séries, sur des recettes éprouvées. Claude Seignolle est un de ceux, rares, qui a connu les peurs réelles des derniers Français vivant encore sur des traditions millénaires. Ce qui donne à son oeuvre littéraire ce parfum d'authenticité, loin de la cuisine des grands éditeurs et des sondages pour chercher et fabriquer ce qu'il plaira aux lecteurs de se choisir comme frayeurs. L'angoisse demeure aujourd'hui, quotidienne, mais elle est devenue liée à des causes immédiates et matérielles, au seul présent et à ses incertitudes. Elle a perdu l'authenticité de ce qui faisait la puissance des grandes peurs cosmiques du passé.

Auteur de quinze ouvrages ethnologiques et d'une soixantaine de contes et nouvelles, Seignolle n'a cessé de fureter partout où il pouvait ressusciter les légendes d'antan. Sorcières, jeteuses de sort, devins, guérisseurs, pratiques magiques et croyances superstitieuses du terroir, il fait de tout son miel. Un florilège d'une humanité en état de survivance, qui a maintenant disparu en moins de cinquante ans. Deux générations. Les rares survivants de cet irrationnel ancestral ne se retrouvent plus dans le nôtre, et nos irrationnalités n'ont guère d'échos chez eux. Plus qu'un fossé, dont la berge est encore visible, les sépare : un abîme, que rien ne pourra jamais plus combler.

Conseillé par l'ethnologue Van Gennep, ce "brocanteur du fantastique", comme il se qualifie lui-même, a passé une grande partie de sa vie à la collecte des fantasmes humains, des peurs brutes, instinctives, ancrées dans les moeurs campagnardes - et occasionnellement urbaines. Cette réédition des comportement encore observables dans sa jeunesse dans le Hurepoix,
Tradition et Superstitions aux portes de Paris, est, en même temps qu'un hommage à son frère, un bon témoignage de cette mission qu'il s'était alors donnée, sauver les observations sur les faits insolites, les vestiges du passé, pour leur redonner vie. A l'époque, les légendes et le merveilleux commençaient à Arcueil, Bagneux, Montrouge ou Malakoff. Devenu le rapporteur fidèle, le diseur de ces légendes reflétant la pensée populaire dans ce qu'elle a de plus instinctif, avec son mode de pensée prélogique, ce chantre de la voix populaire entonne à pleins poumons le chant d'une réalité alors en état de survivance, qui dépérit dans l'indifférence des milieux intellectuels et des individus urbanisés. Il restitue avec opiniâtreté les crédulités, les croyances, les convictions et les fausses certitudes d'hommes encore tributaires d'une nature toute puissante qui vivent encore les dures réalités d'une nature qu'il faut forcer pour survivre.

Enregistrée par un médium réceptacle d'une pensée sauvage, vécue avec profondeur et conviction absolue par ses adeptes obligés, la transcription de ces faits rustiques, primitifs, ne se limite pas à ses convictions et fausses certitudes, à ses pratiques magiques, aux médecines empiriques. Elle touche aussi aux fêtes traditionnelles, aux veillées, aux célébrations du sacré. Du berceau à la tombe, Seignolle nous fait participer aux cérémonies périodiques, à la météorologie paysanne, aux chansons et jeux populaires. Ce recueil est le premier publié d'une masse de croyances transmises oralement de siècle en siècle,collectées par Seignolle région après région, qui en font un ensemble d'une remarquable polyphonie folklorique, faite des multiples voix des croyances, des légendes, des archétypes primitifs et des mythes, qui remontent à la nuit des temps. On se rend d'ailleurs vite compte que nos ancêtres n'ont jamais vraiment été christianisés, qu'ils sont restés semblables à eux-mêmes, se contentant, au travers des croisades et évangélisation, d'ajouter les nouvelles croyances aux anciennes, jamais supplantées. Ils n'ont jamais vraiment fait de différence entre leur psychologie et leurs convictions, se souciant peu de logique et de cohérence. Dans leurs difficultés, les épidémies, les guerres et les invasions, ils détenaient ainsi précieusement un trésor disparate, qui leur permettait de survivre, et dont ils se gardaient bien de lever les contradictions. Alors que tant d'auteurs contemporains fouillent les motifs fantastiques anciens en explorateurs méthodiques, soucieux d'en exploiter tous les filons littéraires nouveaux, souvent artificiels, Seignolle hérite d'un fantastique solide, soudé aux courants secrets qui relient les hommes à leurs profondeurs telluriques, à l'absurdité de leurs conduites qui les entraînent à la destruction ou à la mort depuis des temps immémoriaux.

De la transfusion directe du merveilleux populaire à la matière de ses contes, ce fantastiqueur médium a gardé une partie de la sauvagerie des propos populaires : style rugueux, rocailleux, coruscant, à nul autre semblable. Autodidacte, il n'est pas passé par une formation littéraire, mais sans avoir fréquenté les classiques, il figure à la bonne place dans la littérature de ce siècle. Il y a d'autres romanciers qui ont fait leur miel de ces temps à la fois anciens et tout proches, mais de manière conventionnelle, et sans originalité véritable. Ils touchent davantage parce qu'ils ressuscitent un passé encore nostalgiquement vécu par certains, une vie de tous les jours avec ses joies et ses misères que de moins en moins de nos contemporains connaissent par les récits émus de leurs aïeux. Seignolle est d'une autre trempe, et ce quotidien émouvant ne lui suffit pas. Le passé qu'il ressuscite partiellement lui offre avant tout l'occasion d'en distiller, en sorcier inquiétant et sarcastique, ses aspects les plus dérangeants, les plus délétères, la face cachée d'un univers obscur et hostile.

Véritable poétique, l'univers de Seignolle peut se comparer à une grande toile d'araignée, où viennent se prendre et coexister aussi bien les peurs paysannes souterraines ou nocturnes que ses créations personnelles. Il a représenté dans un dessin connu l'âme humaine enfermée dans une bouteille. Il est impensable que la sienne y soit ainsi. Elle a besoin d'espace. Aranéide humain, Seignolle aime à pomper le suc de ses proies, à sucer leur vitalité pour la transfuser dans ses récits. Une véritable subtantiation, qui des ombres et des lumières réelles, mais anonymes, produit une oeuvre personnelle d'ombre et de lumière. Bien que ne créant plus, mais ne laissant pas son oeuvre se fossiliser, la reprenant sans cesse, il tisse d'autres toiles, des réseaux complexes où relations, amis et connaissances se retrouvent englués par la verdeur de ses propos, la chaleur de ses sentiments, la richesse de sa présence.

Synthèse française unique par sa puissance d'évocation du folklore transmuté en littérature, l'oeuvre de Seignolle s'apparente aux meilleures réussites des romantiques allemands du siècle dernier. Ses récits sont de la lignée des
Contes de Grimm ou de Tieck, du Cor enchanté d'Arnim et Brentano, des Élixirs du diable d'Hoffmann ou du Peter Schémil de Chamisso, tous ces fantastiqueurs qui se sont nourris des choses obscures de la campagne, souterraines ou nocturnes. Dernier survivant authentique d'une tradition disparue, Seignolle a réussi le tour de force d'être simultanément moderne, singulièrement présent, et de garder, en ce début de siècle, les yeux fixés sur l'avenir. Son avenir.

Roland Ernould, 15/9/2000.

 L'aventure de l'édition et du premier livre!

Claude Seignolle et moi-même recommandons le recueil de nouvelles de Patricia Jauliac

Ailleurs et autres errances. (Voir la note de lecture)

Mon premier livre est édité sous le parrainage de Claude Seignolle,

Présentation des suivants : http://www.chez.com/imaginations/ http://www.chez.com/imaginations/

Mes premières amours : j'écris et vous aussi : http://perso.wanadoo.fr/chezpatricia

 

Outre-Part Éditions : Patricia.Jauliac@ifrance.com

dossier

Claude Seignolle

vous offre en lecture gratuite :

L'hostie

 .. du site Imaginaire

.. du site Stephen King