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Vous me demandez un article ou une nouvelle, enfin
quelque chose d'inédit. Mais mon actuelle
contrariété ne m'y prédispose pas et je me dois
de vous apprendre la chose, puisque c'est à Liège,
à la dernière Noël que j'ai commis cette grave
imprudence...
... Ah! pourquoi ai-je écouté ce diable de photographe
qui, voulant une scène originale, m'obligea à poser
achetant dans la rue, à un gamin sans doute de connivence,
cette... cette hostie...
Maudit soit le franc que je donnai en échange!
Ce ne fut qu'une fois revenu à Paris, en retrouvant au fond
d'une de mes poches l'hostie brisée et souillée, que je
réalisai l'ampleur du sacrilège que j'avais commis.
Vous me connaissez, je veux tout savoir sur tout. Je feuilletai
aussitôt divers vieux grimoires et, ainsi, appris-je que,
jadis, la punition classique pour un tel méfait était
la métamorphose du coupable en... crapaud... Cependant, on
pouvait espérer sa délivrance en embrassant un
serpent...
D'abord cela m'amusa, autant la fantaisie de ces grimoires, que la
pensée d'une excellente publicité pour un
écrivain de l'insolite : devenir un crapaud, attirer les
regards de tout un chacun en se promenant à croupeton dans les
rues de Paris, coasser en guise de conversation... bref, ne pas faire
comme les autres - ce qui d'ailleurs m'est facile puisque tout
m'arrive sans cesse.
... Seulement, aujourd'hui, je ne trouve plus du tout ma condition
amusante... Certes, je me suis fait remarquer au-delà de mes
désirs... j'ai surpris les plus blasés... mais comme je
dégoûte mes proches - pourtant habitués à
mes pires fantaisies - et que mes coassements deviennent de plus en
plus agaçants, je suis obligé de me réfugier
dans mon bureau et de ne plus en sortir... On ne veut vraiment plus
me voir, ni m'entendre... Même ma femme parle de me faire
piquer comme une bête galeuse (avouez que l'occasion est
tentante)... Moi-même je me répugne et étouffe
dans cette pièce trop étroite pour ma vie batracienne -
au fait, si vous connaissez un espace marécageux à
louer, pas trop cher!... Enfin, tout cela ne serait encore rien si,
chaque fois que je me déplace, je ne me jetais violemment
contre les murs et m'y assommais.
... Certes, je pourrais me faire apporter un serpent, l'embrasser et
être délivré... mais voilà, et vous ne
l'ignorez pas, j'ai horreur des serpents.
L'Essai, mars-avril 1963.
Ce court texte rappelle la métamorphose cocasse qu'on trouve dans Le bel ensorcelé. L'auteur est venu en Sologne enquêter, à son habitude, sur les moeurs paysannes. Il parle à un vieux paysan de superstitions, d'envoûtements, de charmes :
On dirait qu'il coasse, dit le narrateur. Quelque temps plus tard, il aperçoit le paysan dans son jardin :
Contes macabres, éd. Marabout, 1966. |
Avec l'âge (83 ans), Seignolle, qui n'écrit plus de livres depuis des années, n'a rien perdu de son mordant et de son humour, qu'il adapte aux progrès du temps. À preuve cet extrait de lettre qu'il m'a adressée, datée du 10/12/2000, dans laquelle - entre autres -, il me parle d'une visite médicale, avec son talent habituel de conteur (comme il l'écrit sur le dos de son enveloppe : "Excuse mon écriture, mais heureusement ma langue marche mieux que mes doigts."). Le spécialiste (je ne donne pas sa spécialité. Il se reconnaîtra peut-être)
etc |
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