Près de cinquante ans après sa publication, vendu à plus de 50 millions d'exemplaires, Le Seigneur des Anneaux tient une place importante dans la littérature d'imagination contemporaine. Les deux premiers livres publiés récemment par des universitaires français donnent des interprétations carrément dissemblables de cet auteur qui n'a pas fini d'être exploré : un livre de contestation et un livre de compréhension.

Vincent Ferré est un jeune universitaire de Rennes, dont le domaine de recherche «officiel» est le roman de la première moitié du XX^e siècle. Pour son plaisir, il s'intéresse à J. R. R. Tolkien, sur qui il a publié plusieurs articles. Il est un des organisateurs de la semaine littéraire de l'Université qui porte en avril sur l'oeuvre de J.R.R. Tolkien, à l'occasion du 30^e anniversaire de sa mort. Il tient un site Internet connu (http://pourtolkien.free.fr). Copieux et documenté, son livre tout aussi accessible que l'essai de Smadja, part d'un désir de faire le point sur ses lectures, avec un esprit de compréhension qui n'est pas celui de Smadja. Ce qui le séduit, c'est l'invention par Tolkien d'un monde cohérent, empreint du merveilleux de la fantasy.

L'ouvrage comporte deux parties. La première, classique dans ce genre d'ouvrages, fait la genèse du récit, présente les personnages principaux, la géographie de la Terre du Milieu. Ferré insiste sur l'entrelacement des histoires de Tolkien, le désordre apparent de sa chronologie qui lui permet d'éviter que la linéarité du récit, la structure du texte, les résonances linguistiques et littéraires. La seconde est de beaucoup la plus intéressante pour les spécialistes. Ferré ouvre des perspectives philosophiques et morales qui révèlent la cohérence du monde de Tolkien. Sujet abordé partiellement par Smadja, la mort tient une place centrale, que Ferré, à la suite de Tolkien, associe à l'immortalité. Il existe une réelle opposition entre les protagonistes qui se trouvent du côté de la mort, qui la représentent ou la personnifient, et ceux qui luttent contre elle. Dans une quête dangereuse, où les signes de la mort abondent, les personnages sont confrontés avec elle, solitairement ou collectivement. Les personnages positifs de Tolkien sont constamment dans un état d'incertitude entre la vie et la mort, et s'ils luttent, c'est pour résister difficilement à l'omniprésence de la Mort. Ferré s'interroge sur la place des symboles, leur sens caché, la signification allégorique du roman : la place tenue par l'initiation et la renaissance. Et aussi la disparition d'un monde et l'avènement d'un autre, le remplacement du mythe par l'Histoire.

Apport nouveau et précieux, l'ouvrage contient la traduction des deux avant-propos des versions anglaises du Seigneur des Anneaux, qui n'étaient jamais parues en France, où Tolkien expose la dimension allégorique de son roman. Il est intéressant de relire ce livre, paru avant celui de Smadja, pour y trouver des éléments contraires. Ainsi, pour Ferré, Le Seigneur des Anneaux n'est pas un livre pour enfants, mais un récit amer et terrifiant, qui cherche à distraire en s'appuyant sur des années de réflexions sur les légendes et les langues. Il a pu ainsi réaliser une oeuvre pleine d'échos empruntés à de multiples fonds mythiques, de résonances suggérées par un grand nombre d'héritages divers, surtout nordiques (que Smadja, qui ne fait aucune allusion au Kalevala ¹, ne semble pas connaître). Son monde original immense déroutant, mi-féerique, mi-inquiétant, qui a la saveur des légendes du passé. Tolkien ne pensait pas, contrairement à l'idée que s'en fait Smadja, que l'Anneau soit à comprendre comme la tentation pour les Ténèbres : "Je ne pense pas que même le Pouvoir ou la Domination soit le vrai centre de mon histoire. (...) Le vrai thème, pour moi, est quelque chose de beaucoup plus intemporel et difficile : la Mort et l'Immortalité : le mystère de l'amour de ce monde dans le coeur d'une race "condamnée" à le quitter et à le perdre - apparemment - ; l'angoisse dans le coeur d'une race "condamnée" à ne pas le quitter tant que toute son histoire engendrée par le Mal ne sera pas achevée." Ferré montre un Tolkien séduit par l'expression des vérités morales d'un monde dont la destinée est de lutter contre le mal, d'échapper à son assujettissement à défaut de pouvoir l'éradiquer, des qualités que la Mort peut tout autant ennoblir qu'avilir, aliéner que transcender..

Clair, plus conformiste, ce livre est destiné aussi bien aux néophytes (pour lesquels il y a des résumés spéciaux pour combler leurs lacunes éventuelles) que pour les fans avertis de Tolkien. De nombreuses notes en fin de partie citent les sources, ou proposent des vues complémentaires.

Quatrième de couverture, édition Bourgois (2001)

Précédant de quelques mois la sortie de l'adaptation cinématographique du Seigneur des Anneaux par Peter Jackson, Sur les rivages de la Terre du Milieu est le premier livre en français consacré au chef-d'oeuvre de J.R.R. Tolkien.
Il est destiné aux très nombreux lecteurs déjà acquis à Tolkien, mais aussi au grand public, puisqu'il facilite l'approche et la compréhension du Seigneur des Anneaux : il entend à la fois montrer que Tolkien n'est pas un auteur pour enfants ou réservé à des initiés, et compléter des textes déjà publiés par Christian Bourgois sur sa vie et ses oeuvres.
La première partie présente l'univers du Seigneur des Anneaux : ses personnages, sa géographie (inventée par l'auteur), son atmosphère merveilleuse, son rapport avec la Fantasy, sa genèse, ses liens avec d'autres livres de Tolkien. La seconde propose une interprétation du récit dans une perspective négligée par les commentateurs - alors qu'elle l'éclaire dans sa globalité et que Tolkien a souligné son importance capitale -, celle de la mort et de l'immortalité. Enfin, grâce aux notes, à la traduction des avant-propos (inédits en français), aux indications bibliographiques, Sur les rivages de la terre du Milieu peut également servir de guide du Seigneur des Anneaux et permettre de mieux le connaître, donc de mieux l'apprécier.

Quatrième de couverture, édition Pocket Agora.
Succès planétaire, texte fondateur d'un imaginaire repris maintes et maintes fois dans tous les domaines de l'expression artistique, "Le Seigneur des Anneaux" reste une oeuvre inclassable. Tolkien surprend, dérange, fascine, parce qu'il dessine autour de Frodo le Hobbit un univers aussi nouveau que le genre littéraire qui l'accompagne. Vincent Ferré propose ici de partir à la rencontre de ce monde mystérieux et de son énigmatique créateur. Genèse du récit, résonances linguistiques et littéraires, perspectives philosophiques et morales, c'est toute la cohérence d'une épopée unique qui s'en trouve à nouveau révélée. A la fois simple et précis, accessible et fouillé, "Sur les rivages de la terre du milieu" ravira les connaisseurs et tous ceux qui se sentent prêts à succomber au pouvoir de l'Anneau.

Première partie : présentation du Seigneur des Anneaux
I. Les personnages principaux
II. La géographie de la Terre du Milieu et la structure du texte  
III. Fantasy et Fiction
IV. Les sources de Tolkien et la genèse du texte 
V. Le Seigneur des Anneaux dans l'oeuvre de Tolkien
Seconde partie : la mort dans Le Seigneur des Anneaux
VI. Quête et danger : la présence de la mort
VII. La lutte de la vie contre la mort
VIII. L'évolution des personnages au contact de la mort : l'initiation 
IX. Mort et renaissance 
Conclusion : Sur les Rivages de la Terre du Milieu
Appendices 
Résumé de l'intrigue
Repères biographiques
Avant-propos des deux éditions anglaises 
Bibliographie sélective
Index
Table des matières
Corrections

¹ Le Kalevala est une épopée populaire finnoise, composée de fragments qu'Elias Lönrrot a recueilli directement auprès des bardes caréliens de 1835 à 1849.  Elias Lönnrot, Gabriel Rebourcet, Le Kalevala, 2 tomes, Gallimard éd., 1991. Une ancienne édition a été publiée par Stock en 1978.

Vincent Ferré a été lecteur à Cambridge (Trinity College) avant d'enseigner la littérature générale et comparée à l'Université de Rennes II-Haute Bretagne. Il a publié plusieurs articles sur Tolkien, dont un dans l'ouvrage de de Michèle Gally, La Trace médiévale et les écrivains d'aujourd'hui (Paris, P.U.F., 2000).

Roland Ernould © 2003

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