fantastique ou insolite

Insomnia de Christopher Nolan

« Jusqu'à quel point sommes-nous coupables ? » semble demander le regard perdu d'Al Pacino. Quelle est la frontière entre le meurtre et l'accident, entre le remords et la culpabilité ? Christopher Nolan garde pour lui la réponse et choisit de laisser ses personnages en compagnie de leur seule conscience. Le vrai thriller, celui qui prend le spectateur au ventre d'un malaise incertain, nous met face à des situations que chacun pourrait rencontrer et pose l'unique question à laquelle on ne saurait répondre : « et vous, qu'auriez-vous fait à leur place » ?

On a pu lire dans les revues à grand tirage que
Nolan avait perdu la virtuosité de mise en scène dont il avait fait preuve dans Memento, et que Insomnia se révélait « étonnamment classique. » Ce n'est pas la première fois qu'on se demande si les journalistes voient bien les même films que nous. Le principe narratif de Memento exigeait une espèce de folie cinématographique, puisqu'il s'agit du seul et unique film qui soit monté... à l'envers.

Au spectateur de ne pas confondre montage et réalisation. La mise en scène de
Memento est brillante, mais aussi très sobre. Nolan n'a jamais eu besoin de gesticuler sa caméra dans tous les sens pour illustrer la confusion, ni de la coller à l'oeil humide de l'acteur pour nous montrer que la scène est triste. La structure de Insomnia est plus classique, certes, mais le talent de Nolan est indéniable. Parlons plutôt de rigueur formelle que de classicisme. Il maîtrise chaque séquence, et ne monte jamais trois plans quand un seul exprime tout ce qui doit l'être.

Pour s'en convaincre, il suffit de voir l'ouverture du film et l'emploi spectaculaire qui est fait du cadre et de la lumière. En situant l'action en Alaska, au coeur de la saison d'été pendant laquelle le soleil ne se couche jamais,
Nolan ne choisit pas un décor prétexte à de jolies prises de vue. Les glaciers écrasés de lumière jouent un rôle direct dans la progression de l'intrigue, et deviennent un personnage à part entière, immobile et silencieux mais influent sur les comportements. L'éclairage aveuglant renvoie aux meilleurs réussites du genre que sont, entre autres, Seven et Fargo, où la lumière faisait partie intégrante de l'action et contribuait à l'évolution des sentiments du spectateur. Insomnia est très proche sur ce plan du film de Joël Cohen, qui saturait l'image d'étendues neigeuses et laissait ainsi ressortir la moindre touche de couleur, incarnée par des personnages aux motivations absurdes.

Insomnia reprend à son compte le thème éculé de la relation ambiguë entre un tueur et le flic qui le poursuit, et retourne les conventions jusqu'à inverser leurs rapports. Le tout sans effort, avec le simple goût du cinéma bien fait et du jeu d'acteurs impeccable. Incarné par Al Pacino, le flic est aspiré dans une spirale accidentelle dont il est lui-même responsable, et son acharnement à retrouver le tueur d'une jeune fille le conduit à mettre en péril sa propre intégrité.

D'un mensonge masquant une vérité que l'on aurait pu arranger à la fabrication de fausses preuves, c'est tout son système de valeurs qui s'éparpille sous ses yeux. Coupable à son tour d'un meurtre, il doit traverser chaque étape que tous ceux qu'il a arrêtés dans le passé ont connu avant lui. Comment peut-on prouver qu'un crime n'était pas intentionnel ? S'agissait-il réellement d'un accident ? Le flic comme le tueur gardent pour eux cette ultime vérité et personne ne pourra la leur arracher.

Toujours juste, Al
Pacino. Bien plus même. Il renouvelle ce personnage de flic jusqu'au boutiste, tellement pro qu'il est passé dans un autre niveau de conscience, où l'observation et le soupçon deviennent aussi simples que respirer. Proche du lieutenant-chasseur de Heat, Will Dormer s'affronte lui-même lorsqu'il met la main sur celui qu'il traque, et Pacino, vieilli, hagard, le visage ravagé par l'insomnie, lui confère ce charisme incroyable que seuls quelques grands sont capables de dégager. Parmi eux, Robin Williams bien sûr, qui redresse soudain l'échine et se lance dans des rôles pointus, du cousu main pour un acteur de cette dimension. En un regard étrange et quelques phrases anodines, il se glisse comme un chat dans la veste du tueur, sans doute aussi coupable et innocent à la fois qu'Al Pacino.

Leur rapport renvoie inévitablement à LA scène de
HeatPacino et De Niro, le flic et le voleur, s'observaient, se craignaient et se respectaient l'un l'autre, aussi bien à travers leurs rôles qu'en tant qu'acteurs devenus mythiques de leur vivant. Robin Williams offre à son partenaire une composition parfaite qui lui permet de rebondir sans cesse sur des trouvailles de jeu infimes, ici un battement de cil, là un léger mouvement de lèvres, tous ces détails que n'importe quel acteur pense maîtriser mais que très peu dominent pour de bon. Pacino et Williams sont de ce petit nombre, et offrent à Nolan un duel psychologique rêvé pour un thriller basé sur la confrontation tacite, et non sur l'action basique comme il semble être la règle au cinéma depuis de nombreuses années.

Insomnia renoue avec la forme la plus stricte du polar et évoque les meilleures réussites du genre : La Nuit du Chasseur, Fargo, Le Silence des Agneaux... tous sont convoqués par Christopher Nolan qui prend bien soin d'imposer son style propre, non pas « classique » comme on pourrait le croire, mais calme et réfléchi, brillant, avant tout au service de l'histoire, ce que certains réalisateurs ont oublié depuis trop longtemps.

article de "Sylvain Tavernier" <
syltavernier@wanadoo.fr> -© novembre 2002

Film américain (2002). Remake de Insomnia d'Erik Skjoldbjærg. Durée : 1h 56mn.
Réalisé par Christopher 
Nolan
Avec Al Pacino, Robin Williams, Hilary Swank, Maura Tierney, Martin Donavan.
Date de sortie : Novembre 2002

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