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Alain
DELBE
INTERVIEW
Propos
recueillis par Roland Ernould ©
2000.
Tu as publié
deux romans et une vingtaine de nouvelles dans Phénix,
Ténèbres,Fluide Glacial, etc. Dans quel genre te
sens-tu le plus à l'aise?
Je ne peux dire si je suis plus
à l'aise dans un genre ou dans un autre, chacun d'eux ayant
ses difficultés et ses facilités spécifiques :
possibilité de varier le style, légèreté
des thèmes traités, écriture plus ou moins
serrée. Quand j'ai consacré un certain temps à
un genre, j'éprouve le besoin de passer à un autre.
C'est cependant le roman qui, une fois achevé, me donne le
plus de satisfaction. Il permet de travailler dans la longueur, donc
aussi dans la profondeur, et surtout, c'est avec lui que le
résultat obtenu peut davantage m'étonner, me surprendre
moi-même. Alors qu'en général, une nouvelle
terminée correspond à peu près à
l'idée qu'on s'en faisait au départ, le résultat
est assez prévisible.
Tu exerces un
métier prenant et tu trouves le temps d'écrire : quelle
place l'écriture tient-elle dans ta vie?
Une grande place, bien sûr,
mais peut-être pas la plus importante. Une passion parmi
d'autres même si c'est elle, par le fait des publications, qui
a le plus d'échos. Je passe plus de temps à jouer de la
guitare ( blues acoustique en essayant de ne pas trop oublier le
classique ), et plus régulièrement, que devant ma
feuille de papier. Autres passions prenantes : les échecs et,
tout récemment, l'aïkido. Avec la vie de famille et les
loisirs de tout le monde ( cinéma, amis, etc. ) cela fait des
journées assez bien remplies, surtout que je suis hélas
aussi un gros dormeur. En fait, je me demande si ma passion
essentielle n'est pas simplement la lecture. Mais comme je suis en
même temps excessivement paresseux, j'ai l'impression que
l'écriture est là pour m'obliger à lire ( pour
de la documentation, pour creuser des idées, pour
découvrir le style d'un auteur, etc. ) des oeuvres que je ne
me serais peut-être pas donné le temps d'aborder. Je
crois que finalement, le plus grand bonheur que l'écriture
m'ait apporté, c'est qu'elle a fait de moi un lecteur.
Ce que tu fais est
particulièrement travaillé. Passes-tu beaucoup de temps
à polir tes productions quand elles sont écrites, ou
les portes-tu en toi jusqu'au moment où elles sont
abouties?
Je reprends sans cesse mes textes et
je trouve toujours quelque chose à corriger. Seule la
publication met un terme à ce travail qui, sinon, serait
infini car je suis éternellement insatisfait de
moi-même.
Il y a des
différences de ton importantes dans ton Ïuvre. Ce qui
étonne par exemple chez toi, c'est que tu passes facilement du
sérieux à l'ironique, du tragique au comique. Des
traits de ton caractére?
Comme
j'écris - et que je ne peux écrire - que ce qui me fait
plaisir, que ce dont j'ai envie, je n'ai pas de difficulté
particulière à adopter tel ou tel ton, tel ou tel
style. Cela vient naturellement. Sérieux, angoisse, ironie,
humour, etc., ces styles correspondent bien sûr à des
facettes, très souvent contradictoires, de mon
caractère que j'exploite selon les textes. J'aime cette
variation des tons et je ne vois pas pourquoi je me cantonnerais
à un seul registre.
Le genre fantastique
se caractérise souvent dans l'esprit du public par l'intrusion
d'êtres surnaturels, fantômes, vampires et autres. As-tu
conscience que ton fantastique participe davantage des états
d'âme?
Oui, peut-être parce que,
plutôt que le surgissement d'une autre réalité,
ce qui m'intéresse est le cheminement auquel cet
événement va contraindre le personnage, et
indirectement, le lecteur.
Le genre auquel tu
appartiens est volontiers plus orienté vers ce qui fait vendre
(le gore par exemple) et tu marques ta différence en ne
faisant pas de concessions au public, au risque de diminuer le nombre
de tes lecteurs. C'est un choix volontaire aux conséquences
assumées?
Tout à fait. D'une part parce
que je suis incapable d'écrire autre chose que ce que
j'écris. En ce sens, ce n'est pas un choix. D'autre part,
parce que c'est la littérature fantastique qui
m'intéresse, et que pour moi les deux termes sont aussi
importants l'un que l'autre. Je n'apprécie que moyennement les
textes fantastiques écrits sans souci du style, sans souci du
mot, de l'image. Peut-être est-ce un côté
très " français " ? Pourquoi pas et je reconnais avoir
souvent plus de plaisir à lire des auteurs fantastiques
français que des anglo-saxons. Comme je suis un lecteur
très lent, je m'ennuie vite si je ne suis pas
accompagné par le plaisir de découvrir un ton, un
style, une écriture authentique. Ou alors, il faut que
l'auteur déploie un imaginaire d'une qualité, d'une
originalité vraiment extraordinaires, ce qui est rare mais qui
arrive quand même. Trop souvent je me dis que, si j'avais vu
l'histoire adaptée au cinéma ou à la
télévision, l'effet aurait été le
même, il n'y aurait pas eu de perte par rapport au texte.
L'écriture n'était qu'un procédé pouvant
sans dommage être remplacé par un autre ; ce
n'était qu'un récit, une " histoire ", pas une oeuvre
littéraire.
Tu as choisi, pour
François
l'Ardent, une
forme délibérément coquine qui tranche avec tes
autres Ïuvres. As-tu des raisons d'avoir forcé la note (avec
modération!), avec par exemple l'exploitation de l'idée
du décodage du sexe féminin?
Les passions sont d'excellents sujets
de roman; elles arrachent l'individu au quotidien, au confort, et
sont révélatrices des forces, de vie comme de mort, qui
l'animent, le traversent. Les passions sont les agents du destin.
Dans Les Iles jumelles, il s'agissait de la passion amoureuse,
sentimentale. Avec François l'Ardent, j'ai voulu traiter la
passion sexuelle, le désir charnel. Peut-être de
prochains romans parleront-ils de la passion du savoir, ou du
pouvoir. Si la note est forcée dans François l'Ardent,
cela me semble nécessité par le sujet. Il s'agit de
passion et le désir, les fantasmes, ne peuvent être que
d'une extrême violence.
Tu te distingues de
la plupart de tes confrères en te passant des gros effets pour
te cantonner à la suggestion. A cet égard, Les Guêpes est exemplaire.
Discrétion naturelle?
Sans doute, bien que quelques
créatures très affreuses se promènent quand
même ici et là dans mes textes. Dans Les Guêpes,
le monstre qui vit dans le grenier n'est pas là pour effrayer
( il n'est pas méchant ), mais pour angoisser, ce qui n'est
pas la même chose, par le fait que justement sa présence
va s'intégrer au quotidien de l'enfant narrateur. Au
cinéma comme en littérature, les gros effets servent
trop souvent à pallier l'incapacité d'installer un
véritable climat d'angoisse. C'est pour ça que je
préfère de loin les films de la Hammer des
années 60, 70, par exemple les bons vieux Christopher Lee, aux
remake actuels, tellement léchés pour les effets
spéciaux, mais qui n'arrivent pas toujours à me faire
éprouver l'angoisse. De toute façon, même si
j'apprécie les oeuvres du genre épouvante quand elles
sont bien faites, et que je tente parfois d'en écrire
moi-même, ma préférence va au fantastique de
l'étrange, du trouble, de l'angoisse, du sentiment
d'irréalité ou d'emprise. Sans oublier l'humour ! Par
contrecoup, j'ai tendance à bouder les collections qui
cherchent à faire croire que le fantastique se limite
aujourd'hui à l'épouvante. Peut-être est-ce un
tort.
À la lecture
des Îles
Jumelles, le
lecteur constate un décalage important du roman par rapport au
texte de la 4ème de couverture. L'avais-tu écrit
toi-même? Dans ce cas, pourquoi ce décalage?
Non, le texte de la 4 ème de
couverture n'est pas de moi. La question du décalage serait
donc à poser aux éditions Phébus.
Peut-être ont-ils cru bien faire en présentant le livre
comme une sorte de fable écologique, peut-être ont-ils
pensé que cela aiderait à le vendre. Mon propos n'est
bien sûr pas d'attirer l'attention sur le risque de " naufrage
de la fragile beauté du monde ". Et si je ne mets aucune "
leçon " entre les lignes de ce roman, je pense qu'il n'est pas
interdit d'en suivre les échos et de s'ouvrir à la
multiplicité de significations que le texte peut receler. Chez
Phébus, ils n'aiment pas les donneurs de leçons et ils
ont raison. Mais je ne crois pas que Les Iles jumelles soit dans ce
cas et, lorsque ce roman a plu, il s'agissait justement de lecteurs
qui se plaisaient à creuser les possibles ouvertures du roman,
à lire entre les lignes. De toute façon, comme on dit,
le lecteur aura corrigé de lui-même et je n'en fais pas
un fromage. Je suis très heureux et très fier de voir
Les Iles jumelles au catalogue de cet éditeur, en compagnie,
entre autres, de Claude Seignolle et de Léo Perutz.
Les fins de tes
nouvelles et romans sont volontiers "ouvertes" et tu laisses au
lecteur le soin d'imaginer d'autres perspectives. La plupart des
auteurs préfèrent fournir une justification
«vraisemblable»...
Je pense qu'un auteur doit quand
même savoir conclure ses histoires, élaborer leur fin.
Et personnellement, je tente d'y parvenir. Je crois qu'en ce qui me
concerne, les possibilités d'ouverture résident plus
dans l'épaisseur, dans le déroulement du récit,
que dans la fin. Ou plutôt, j'aime que la fin jette une
nouvelle lumière, donne une ouverture, non sur ce qui pourrait
se dérouler après le récit, mais sur toute
l'histoire qui vient de se dérouler. Il y a un effet
d'après-coup qui, lorsque c'est réussi, donne envie de
relire le livre, une fois la fin connue. Par ailleurs, je crois qu'un
roman est bon lorsque le lecteur peut, d'une certaine façon,
se l'approprier, voire le " réécrire ", en injectant au
récit son propre imaginaire, ses propres fantasmes, et qui
varieront éventuellement à l'occasion de lectures
ultérieures.
Tu fais dire à
Huns, dans Les
Îles Jumelles, que les gens sans passion particulière et
sans un grain de déraison inspirent l'ennui le plus profond?
Le penses-tu?
C'est le libraire, le narrateur des
Iles jumelles, qui dit cela et, bien sûr, je le pense, sans
revendiquer d'ailleurs là quelque originalité. Qui ne
choisit pas ses relations ? " Ennui le plus profond " est
peut-être exagéré en ce qui me concerne, car je
suis quand même capable - heureusement ! - d'éprouver du
plaisir à fréquenter des gens sans passion
particulière, pour peu qu'ils soient drôles, ouverts,
etc. Mais il me faut n'accorder qu'une place limitée à
ce genre de relations. Car, tiraillé comme je le suis toujours
par la tentation de la paresse, je crains de me laisser vite aller
à la facilité. Les gens passionnés relancent nos
propres passions où nous puisons, me semble-t-il, le sentiment
de vivre le plus pleinement possible. Il ne faut d'ailleurs voir
aucune supériorité dans cette attitude, au plus le
sentiment d'une différence, voire d'un défaut, d'un
manque, d'une faiblesse dont j'essaie de faire une qualité.
Car passion ne veut pas dire seulement plaisirs et agréments.
Au contraire, combien de déceptions, de difficultés, de
fatigue, entraîne le seul désir d'écrire ?
Parfois on se dit : " mais pourquoi je m'embête avec ça
" et l'on envie les gens capables de vivre sans se créer de
pareils problèmes.
Dans La messe de
minuit
(Phénix, # 51), on s'amuse à rencontrer un Diable
très curieux de connaître des cultes sataniques et qui
profite de l'opportunité pour satisfaire des petits plaisirs
personnels. Le lecteur avait également trouvé la
religion Dieu/Diable dans François. Le diable, le mal, quelle
signification ces termes ont-ils pour toi?
Un des thèmes de
François l'Ardent est le relativisme du bien et du mal, bien
plus subtil que ne le voudraient le moralisme et les leçons de
catéchisme. Et n'est-ce pas une évidence de la vie
quotidienne que certaines mauvaises actions ont des effets
bénéfiques et inversement ? A un moment,
François réfléchit sur ce personnage du mauvais
larron qui, sans ses crimes, n'aurait jamais été
crucifié en même temps que le Christ et n'aurait jamais
trouvé le salut. Sans même avoir été
baptisé ! Voilà qui rend perplexe si on prend le temps
de s'y arrêter. On trouve toujours dans les diverses religions
quelque chose qui permet un dépassement de la première
apparence, toujours convenue, rigide et morale.
Tu présentes
aussi, dans le même roman, l'évolution de
François vers l'idée qu'il convient de se contenter de
ce que la vie nous apporte. Tu précises même que ce
n'est pas la sainteté qui plaît à Dieu, mais
l'acceptation de ce monde sous toutes ses formes...
Je ne crois pas dire, ni laisser
entendre qu'il faut se contenter de son sort. Lorsque
François, avec Eléonore la béguine, se
résigne et renonce à ses ambitions pour tenter de vivre
une vie tranquille, il est toujours dans l'erreur et Martin ne le
laissera pas s'y complaire. Les pages finales parlent de
reconnaître dans la diversité des formes ou des
événements le Jeu Divin, Son Désir. Il s'agit de
tout autre chose. Cela peut très bien inclure la lutte et la
révolte qui appartiennent au monde autant que la
résignation. Par ailleurs, il s'agit d'une " vision " acquise
par François au terme de son cheminement. Cette
compréhension, cette intuition, ne peut être que
strictement individuelle, au terme d'une " initiation ",
c'est-à-dire qu'en aucun cas, un autre ne peut la donner.
La trame de
La
Pince
(Phénix #34) est constituée par le jeu de la vie et de
la mort. Le vivant qui joue le soir de la flûte pour les morts
est une trouvaille. La mort est-elle pour toi autre chose qu'une fin
biologique?
Certainement. Je pense que la mort
est aussi la fin de l'individualité, du moi, de la personne
psychique, de tout ce qui s'est construit en référence
à un espace-temps considéré et donc relatif (
telle famille, tel pays, telle époque, etc.). A la mort, on se
dépouille de cette individualité, de ce moi, comme, la
pièce finie, l'acteur redevient lui-même, bien qu'il se
soit identifié à son rôle sur scène ( de
là l'importance du thème du théâtre dans
mes romans ). En ce sens, si je crois en " l'âme ", je ne me la
figure pas du tout sous les traits et avec le caractère du
disparu, avec de petites ailes et pouvant retrouver ses anciennes
connaissances au Paradis. Que " quelque chose " d'essentiel,
justement de non-individuel, puisse transmigrer ( ce qui est
différent de se réincarner ! ), c'est tout à
fait autre chose dont je suis convaincu.
Tu sembles manifester
une hostilité marquée à toutes les actions qui
gênent la vie d'autrui...
Sans doute. Je pense que, comme le
chantait Brassens, si chacun s'en tenait à la règle
élémentaire de ne pas emmerder son prochain pour peu
que lui non plus n'emmerde personne, les choses iraient mieux. Le
moralisme suppose que tous, nous sommes faits du même bois,
alors rien n'est plus inexact.
Dans Les Îles
Jumelles, tu n'es
pas tendre avec les autorités. As-tu une opposition de
principe à l'autorité en général et aux
autorités en particulier?
Je n'ai pas d'opposition de principe
à l'autorité en général. L'être
humain a besoin de rencontrer une autorité chaleureuse et
respectueuse de sa personne pour se construire. Par mon métier
de psychologue, je suis bien placé pour constater les
dégâts chez les enfants auxquels on ne donne aucune
limite, qui ne rencontrent pas cette autorité. De même
il faut être réaliste et on imagine mal une
société complexe fonctionnant sans autorités.
C'est un mal nécessaire pour en prévenir de plus
graves. Ceci dit, il est vrai que je n'ai pas beaucoup d'estime pour
les gens qui ont le goût du pouvoir, qui mettent leur plaisir,
leur désir, dans l'exercice de cette autorité.
Ton Ïuvre n'est pas
engagée dans notre époque, mais toujours tenue à
distance. Quel est ton rapport avec la société
contemporaine dans laquelle tu vis?
Mes deux romans se passent dans un 18
ème siècle imaginaire, et il est vrai que leur
décor n'est pas la société contemporaine. Mais
des thèmes comme la curiosité pour l'esprit humain, son
fonctionnement, le questionnement sur le rapport à l'absolu,
etc., sont intemporels et concernent notre époque, tout autant
voire plus qu'une autre.
Je crois avoir avec mon époque
tous les rapports que peut avoir un citoyen quelconque. J'essaie de
me tenir informé, je connais des gens dans des couches
très diverses de la société. Je ne vis ni dans
une tour d'ivoire, ni dans l'idéalisation du passé. Mon
travail me met de plus face à toutes les situations difficiles
dont peuvent souffrir les jeunes et les enfants d'aujourd'hui :
crise, chômage, dépression, éclatement de la
famille, maltraitance, abus sexuels, etc.
Et si tu avais pu
choisir ton temps?
Dès qu'on me demande de
choisir, je panique à l'idée de ce à quoi je
dois renoncer. Bon allez, je me permets un double choix pour bien
trahir mes contradictions : disons l'Antiquité, le premier
siècle, histoire d'aller voir ce qui s'est passé du
côté de Jérusalem, entre autres. Et puis la
Venise du 18 ème siècle.
Parmi tes nouvelles,
j'ai beaucoup apprécié Eddy (parue dans l'anthologie Forces Obscures de Marc
Bailly). Tu signales qu'elle est autobiographique. Peux-tu me donner
des explications supplémentaires?
A l'été 65, mes parents
ont déménagé pour s'installer dans une maison de
construction récente des années 50, au Faubourg de
Paris, à Douai, où ils demeurent toujours. Quelques
mois plus tard, seul dans la maison, je perçus très
nettement une présence, invisible mais se manifestant par un
très fort bruit de respiration. Fort au point que je pouvais
la localiser avec précision et la suivre dans ses
déplacements. Mon père et mon frère ont à
cette époque perçu le même
phénomène, mais de façon épisodique. On
ne peut parler d'esprit frappeur ( hormis une fois ) quoiqu'il y
eût d'autres manifestations : portes s'ouvrant soudain seules
quand je " le " sentais venir, horloge à l'arrêt depuis
des années qui reprenait son mouvement ( avec le balancier )
au moment où " il " s'y trouvait, froissements, bruits de pas,
drap du lit glissant tout seul ( une seule fois heureusement ). Cette
présence me terrifiait au début et était
totalement envahissante dès que j'étais seul. Elle
n'était pas liée à cette seule maison, pour moi
du moins qui l'ai perçue en divers endroits. Elle semble
s'être attachée à moi et se fait aujourd'hui plus
discrète. Elle n'arrive que lorsque je " l'appelle " et,
depuis plus de trente ans, je m'y suis habitué.
Ces
phénomèmes insolites paraissent
t'intéresser...
Je n'y vois pas quelque chose
d'essentiel. Je crois toutefois que ces phénomènes
paranormaux ne sont pas si extraordinaires. Tu n'imagines pas le
nombre d'histoires de ce genre que l'on peut recueillir dans mon
métier, que ce soit de la bouche des parents ou des enfants.
Je connais une autre personne ayant vécu la même
expérience dans une maison de la rue des Célestines
à Lille, à l'emplacement de l'ancien cimetière
des Célestines. La maison de mes parents est située au
lieu-dit Le Raquet, qui était à Douai le lieu du gibet
et des exécutions.
Il semble que l'emplacement de cette
maison ( car ce sont mes parents qui l'ont fait construire ) ait
été le lieu d'un crime et que, comme le fait en a
souvent été mentionné, les images directes et
indirectes de l'événement ont été "
enregistrées " et restituées. C'était dans le
passé un relais de diligences. Puis il y fut construit une
habitation où vers 1917 dut avoir lieu un meurtre. Mon
père a eu toute une série de " visions " rattachables
à ces événements qu'il situe à cette
époque : vision d'un ancien mur doublant l'actuel, bruit d'un
canon sur rail ( c'était la guerre ), apparitions furtives de
personnages, bruit de coup de feu suivi d'une chute, etc. Mes
recherches dans la presse de l'époque n'ont pas apporté
de confirmation, mais ce n'est pas étonnant si ce crime n'a
pas été découvert.
Il est bien encore d'autres
expériences qui font que pour moi, et certains de mes proches,
le surnaturel n'est pas que littérature. Il est d'ailleurs
vraiment très fréquent de rencontrer des personnes
ayant vécu au moins une expérience d'un certain type.
C'est tantôt la crainte de passer pour un dingue, tantôt
le conformisme social, qui empêche de parler. Voilà en
tout cas, entre autres et pour m'en tenir à mon enfance, ce
que je peux aujourd'hui te raconter.
François
l'Ardent est
dédié à Claude Seignolle. Quelle influence a
exercé sur toi ce "maître en diableries"?
Une influence très grande,
parce que je l'ai découvert à l'adolescence dans la
collection Marabout. Même si d'autres auteurs m'ont
impressionné, leur découverte fut forcément plus
tardive et je ne peux avoir ce sentiment d'avoir été
accompagné aussi longuement par leur oeuvre. Seignolle m'a
appris qu'il avait été aussi gagman pour Le Professeur
Nimbus, une bande dessinée qui paraissait dans les
années 60 dans La Voix du Nord, qu'achetaient mes parents et
que je lisais avec grand plaisir. Peut-être mes racines
seignollesques remontent-elles alors à beaucoup plus loin ? Il
y avait dans la collection Marabout des auteurs prestigieux, tous les
classiques de la littérature fantastique, mais l'univers de
Seignolle, la sorcellerie paysanne, avait tout pour accrocher
l'adolescent que j'étais. Ce qui est formidable, c'est que
Seignolle me séduit toujours aujourd'hui par son style, sa
qualité d'écriture, en plus de son univers fantastique.
Je n'en finis d'ailleurs pas de découvrir d'autres facettes de
son talent : l'érotique et humoristique Sexie, le fascinant
récit de guerre La Gueule, etc. C'est un écrivain
authentique. Le fait que j'aie été publié chez
son éditeur - Phébus - m'a permis, m'a fait oser tenter
de le rencontrer. Ce fut pour moi un grand moment. En plus, le
personnage est drôle, gaillard, passionné par sa
collection d'autographes, plein d'anecdotes, chaleureux...
Tu m'as parlé
de ton admiration pour Stephen King, mais toutefois avec des
réserves. Peux-tu préciser?
J'ai lu les premiers Stephen King
avec beaucoup d'enthousiasme : Carrie, Salem, Cujo, Danse macabre,
etc. Puis j'ai décroché avec les gros pavés
comme Le Fléau ou Ça dont même les admirateurs
les plus fervents admettent qu'on peut facilement élaguer
jusqu'à 200 ou 300 pages. C'est évidemment un
maître du suspens, avec un imaginaire d'une force et d'une
originalité stupéfiante. Mais je n'ai pas le souvenir
d'un style, de trouvailles d'écriture extraordinaires.
Sur quoi
travailles-tu en ce moment? Prépares-tu un nouveau
roman?
Je viens de terminer un article de
psychanalyse et une nouvelle. Je vais essayer d'en écrire
encore une autre, puis je retoucherai d'anciens textes pour les
proposer à la publication. Après cela, je m'accorderai
de petites vacances d'écriture pour lire sans qu'un projet
d'écriture vienne contraindre le choix de mes lectures. Et
quand je serai trop culpabilisé de ma paresse, j'envisagerai
sans doute un nouveau roman.
Quel est ton plus
cher désir?
J'en ai tellement, et ils sont tous
inavouables ! Alors, s'il faut vraiment répondre, mon plus
cher désir est que tous se réalisent, et que personne,
surtout, n'en sache jamais rien !
Alain Delbe-Roland Ernould, ©
2000.
Notice
bibliographique: Né en
à Douai 1954, Alain Delbe habite dans la région
lilloise. Il est psychologue auprès d'enfants dans une
Consultation Médico-Psychologique. Les îles jumelles a obtenu en 1994 le Prix Alain-Fournier. A
écrit un deuxième roman, François l'Ardent, 1999. A publié une vingtaine de
nouvelles, dans La N.R.F.,
Fluide
Glacial, Hauteurs, Nord, Phénix.
Ténèbres, et dans des anthologies. Il et aaussi
l'auteur d'un essai de psychanalyse : Le stade vocal (L'Harmattan, 1995)
Notes de
lecture :
...François l'Ardent,
éd. Climats, mars 1999
...Les îles jumelles,
éd. Phébus, 1994
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. général