Jorge Zentner (scénariste) & David Sala (dessinateur)

Nicolas Eymerich, inquisiteur, La déesse, vol. I

Delcourt éd., 2003.

Cette bande dessinée m'avait été signalée par Valerio Evangelisti il y a quelques mois, et je l'attendais avec impatience. S'attaquer à la série des Eymerich pour la transformer en bandes dessinées était un pari audacieux. La richesse de l'oeuvre paraît défier la réduction en un condensé satisfaisant, et la transposition en dessins semble difficile. D'autant plus que les auteurs ne connaissaient pas Evangelisti quand l'éditeur Guy Delcourt leur a proposé d'adapter ses romans, et que le fait d'aborder Eymerich n'était pas le résultat d'un intérêt personnel caractérisé. À la lecture, le personnage d'Eymerich les a un peu inquiétés par sa richesse : comment rendre son ambiguë et sa force irrésistible? Les romans d'Evangelisti enchevêtrent par ailleurs le passé du Moyen-Âge, le présent, et un avenir de science-fiction, trois époques différentes à faire coexister en 48 planches. Mais le défi à relever les a fait vaincre leurs hésitations.

La difficulté pour le scénariste (propos tenus dans une interview à BD Sélection) a été de réduire la masse énorme des matériaux (Evangelisti ne pense pas en scénariste de cinéma, à plus forte raison de bandes dessinées) en un synopsis satisfaisant, puisqu'il était hors de question de tout résumer. Il fallait obtenir un récit dynamique cohérent, réduire les dialogues, importants chez Evangelisti, tout en gardant une continuité et une cohérence satisfaisante. Sacrifiant l'époque actuelle, Jorge Zentner s'est employé à mêler les temps médiévaux et la science fiction de façon complémentaire. L'ambiguïté schizoïde de Nicolas Eymerich lui a plu et il a essayé de la conserver. La partie de SF a été mise à la première personne, pour marquer le rapport du personnage à la commission d'enquête. La troisième personne a été utilisée pour la partie médiévale, elle a l'avantage de permettre des ellipses plus intéressantes. Le manque d'espace l'a constamment gêné et il il lui a été difficile de choisir l'essentiel et ne pas perdre le mouvement narratif.

Le dessinateur David Sala a d'abord rencontré la difficulté d'alterner sur ses pages les deux époques sans choquer. Au début, il les dessinait consécutivement, ensuite il les a dessinées séparément avant de les réunir. Un dessinateur n'est pas habitué à ce genre de travail : une BD est presque toujours consacrée à une époque déterminée. Pour cette BD., le dosage 1/3 SF et 2/3 médiéval a été retenu, ce qui correspond à peu près au contenu des romans. La partie SF n'a en effet de sens que par rapport au personnage médiéval d'Eymerich, et à ses répercussions dans l'histoire. Par ailleurs, le problème posé par les images de SF était qu'elles nécessitaient de vastes espaces. Le dessinateur a dû également faire des recherches historiques sur l'époque du Moyen-Age. Il a éprouvé aussi quelques difficultés pour créer un univers SF crédible.

Le personnage Eymerich a posé aux deux équipiers un problème particulier, leur vision du personnage n'étant pas la même. D'emblée, le lecteur se représente Eymerich avec l'allure de Valerio Evangelisti, grand, mince, émacié, puisqu'il affirme constamment que son inquisiteur, c'est lui-même. C'est ainsi que le voyait Zentner. Mais Sala ne voulait pas se le représenter sous cet aspect, refusant de tomber dans la transposition facile. La force morale d'Eymerich s'imposait à lui, et l'a incité à se représenter un personnage en rapport. Sous son dessin , Eymerich est devenu physiquement plus étoffé, et même avec une carrure imposante, presque corpulente (p. 27), avec un visage carré, aux traits taillés à coups de serpe (p. 32), la nuque lourde (p. 48).

Sala est davantage passionné par le dessin (crayon, plume ou pinceau) que par les couleurs. Or il doit illustrer des récits aux aventures littérairement colorées tout en représentant un personnage sombre et inquiétant. À mon sens, Sala a davantage essayé de restituer l'ambiance sombre des récits au détriment de la couleur. Je ne suis pas sûr que cette grisaille glauque corresponde bien au picaresque bariolé du récit, ni à celles du personnage d'Eymerich, que je vois davantage en violents contrastes de couleurs, celles du personnage entre le noir et le blanc, luttant contre les ténèbres, auxquelles il appartient en partie, pour aller vers la lumière. J'ai trouvé des planches baignant dans une sorte de brume éprouvante, une espèce de flou généralisé. Même Diane, le jour, devient crépusculaire.

Les figures sont grimaçantes, les visages presque toujours difformes,

Eymerich n'est souvent qu'estompe sans netteté. Je suis critique littéraire, et la BD n'est pas mon domaine. Je ne connais pas bien son esthétique et son évolution. Je juge ici en fonction des émotions que j'ai ressenties. Personnellement, je n'ai pas retrouvé dans le dessin de cette BD le reflet de l'image que je me fais des romans d'Evangelisti.

Le découpage des planches par contre m'a paru intéressant, et il a su répondre de manière satisfaisante au nombre et à la rapidité des répliques dans les dialogues.

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Les auteurs reconnaissent qu'ils ont dû faire des efforts pour répondre aux attentes des lecteurs qui, aimant un auteur, étaient évidemment exigeants. Ils s'aventuraient pour la première fois dans une série fantastique où ils se devaient d'être à la hauteur. Pour l'instant, ils ont fini le deuxième album. Avant d'adapter les autres romans d'Evangelisti, ils vont prudemment voir comment les amateurs réagissent à leur travail...
Voir le site :BD Sélection, chroniques de BD, qui propose une interview des auteurs, des planches et des esquisses dessinées. http://www.bdselection.com/php/?rub=dossiers

La quatrième de couverture :
"Eymerich avait été témoin d'horreurs de toutes sortes. Mais ce qu'il voyait maintenant le laissait interdit."
En 1352, à peine nommé Inquisiteur Général du royaume d'Aragon, le père Nicolas Eymerich doit faire face à des phénomènes inimaginables : apparitions dans le ciel, naissance d'enfants si monstrueux qu'il faut en dissimuler l'existence...
Armé de sa foi et de son intelligence exceptionnelle, l'homme de Dieu se lance dans une enquête complexe, obscure, dangereuse... Une enquête dont les stupéfiantes ramifications s'étendent bien au-delà de sa propre époque... et de la nôtre.


Né en 1973 à Décines (69) David Sala suit des cours à l'école Emile Cohl. Il illustre ses premières couvertures de romans, alternant polars, S.F. et Heroic Fantasy. Il travaille également pour l'édition jeunesse, en illustrant divers textes, fictions et autres documentaires historiques.

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Né en Argentine en 1953, Jorge Zentner a fait des études de psychologie et de journalisme dans son pays, puis a dû le quitter l'Argentine lors de la dictature de la junte militaire. Après être passé par plusieurs pays, il aboutit en France. Sa première BD est parue en 1982 chez Deligne, avec Sampayo et Chiaffino. Il a travaillé depuis avec divers auteurs.

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Ensemble, ils ont produit les 3 albums de Replay :
1
Le début et la fin, Casterman, 1999.
2
Le plein et le vide, Casterman, 2000
3
La fin et le début, Casterman, 2001
Prix du meilleur premier album de BD de l'année de la Ville de Sérignan 2000 pour
Le début et la fin.

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Humeur : la réaction d'un de mes lecteurs.
"J'ai jeté un oeil à la BD tirée de Eymerich, les dessins sont ignobles : entre vieilles peintures de mauvais goût et couleurs ternes qui dégoulinent, c'est un catalogue de tous les défauts commis par une nouvelle vague de bandes dessinées, qui sévissent depuis deux ou trois ans, en réaction stupide contre le succès de séries "divertissantes" et dont la ligne est nette, colorée, vivante (comme Lanfeust de Troy, par exemple, pour citer le chef de file...). Les nouveaux "auteurs" pensent que faire du laid confère à leur travail la qualité "d'oeuvre d'art", mention qu'ils refusent, méprisants, aux séries à succès taxées de "commerciales", en refusant d'admettre, en bons intellectuels nantis et ignorants qu'ils sont, que populaire n'est en rien indissociable de qualité. Bref, des blaireaux... C'est vraiment nul d'avoir gâché Eymerich avec cette bande... J'espère que Evangelisti, même s'il a supervisé le scénario, n'a pas donné sa bénédiction pour un dessin aussi moche." Sylvain Tavernier
Étudiant (en lettres modernes) de vingt deux ans, en cours de maîtrise à l'Université du Littoral, Sylvain Tavernier a choisi comme sujet de maîtrise la BD et le Mythe.
<syltavernier@wanadoo.fr>


Roland Ernould © 2003

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