Jean-Jacques Wunenburger, L'Imaginaire
Presses Universitaires de France, 2003,
Que sais-je ?, 128 pages, 1e édition
D'origine récente,
délicat à cerner, le terme imaginaire a un
contenu flou. Ses composants sont nombreux : fantasmes, souvenirs,
rêveries, croyances invérifiables, mythes,fictions, etc.
À quoi il faut ajouter les convictions et dogmes religieux,
les conceptions préscientifiques ou les productions
artistiques. Vaste ensemble d'oeuvres et de croyances, l'imaginaire
concerne aussi bien les collectivités que les individus. Il
est l'objet d'un vaste ensemble de recherches et de productions.
Jusqu'à présent, on ne possédait que quelques
articles d'encyclopédies déjà vieillis qui
proposaient des vues d'ensemble, et une mise au point
actualisée était nécessaire à
défaut d'une synthèse pour l'instant difficile. C'est
dire l'utilité de ce petit livre qui rassemble les
connaissances de base indispensables à celui qui travaille
dans ce domaine ou y trouve des satisfactions ludiques. Professeur de
philosophie et ancien président du Centre de recherche G.
Bachelard sur l'imaginaire et la rationalité, Jean-Jacques
Wunenburger était mieux placé que
quiconque pour établir l'état des connaissances du
moment. Ses nombreux ouvrages ont été consacrés
à la représentation du monde : les formes, les
couleurs, les rythmes, l'espace et le temps; ou encore la
structuration et la formation des images, des symboles et des mythes,
le tout étudié sous l'angle de la rationalité
scientifique, philosophique et culturelle. Wunenburger se trouve au
point de convergence d'un réseau de recherches sur
l'imaginaire, qui prend une ampleur considérable depuis
quelques décennies. Il est un successeur de Gaston
Bachelard qui cherche à relier imaginaire et
réalité, tout en les opposant.
Le succès du mot est dû
à la désaffection du terme «imagination», qui
n'est plus utilisé que pour renvoyer à la
faculté psychologique. L'imagination avait été
considérée depuis Descartes avec défiance, et,
plutôt que ses produits, on l'entendait comme surtout une
disposition psychologique, importante certes, mais dont la raison
devait se méfier.Sous la pression des sciences humaines,
l'imaginaire est devenue l'étude des productions
imagées, de leurs propriétés et de leurs effets.
Le terme a des interférences avec les mentalités, la
mythologie, l'idéologie, la fiction et la thématique.
Ses contenus sont le réel et la symbolique dans ses images
logiques et psychanalytiques. L'auteur en propose la
définition suivante : "un ensemble de productions, mentales ou
matérialisées dans des oeuvres, à base d'images
visuelle (tableau, dessin, photographie) et langagières
(métaphore, symbole, récit), formant des ensembles
cohérents et dynamiques, qui relèvent d'une fonction
symbolique au sens d'un emboîtement de ses propres et
figurés." (p. 10)
L'imaginaire peut être décrit littéralement
(thèmes, motifs, intrigues, décors) mais aussi donner
lieu à des interprétations, puisque les images sont
porteuses de sens. L'imaginaire oscille entre deux conceptions.
L'une, restreinte, désigne l'ensemble des contenus produits
par une imagination, un monde de croyances, d'idées, de mythes
et d'idéologie dans lesquelles baignent les individus et les
civilisations. L'autre, élargie, intègre
l'activité de l'imagination elle-même, lui permettant
innovations, transformations, recréations.
Cette recherche d'une définition et le survol des domaines de
l'imaginaire est suivie par un historique des théories
actuelles de l'imaginaire, particulièrement nombreuses depuis
1940 (Sartre, Bachelard)
jusqu'en 1990 (Deleuze,
Derrida). Wunenburger retient pour étude les
quatre tentatives qui lui paraissent particulièrement
réussies, celles de Gaston Bachelard, de
Gilbert Durand, Paul Ricoeur et Henri
Corbin.
Les méthodes d'approche différencient les imaginaires
visuel et langagier. Le visuel, dépendant de
l'hémisphère cérébral droit, produit les
icônes, allégories, clichés, cartes, etc; le
langagier, dépendant du cerveau gauche, organise les
récits mythiques, les images poétiques, etc. Les
méthodes d'études de l'imaginaire ont été
mises au point dans les diverses disciplines (critique
littéraire, anthropologie, psychanalyse, philosophie,
études religieuses, etc). Elles oscillent entre entre deux
pôles : la sémiotique structurale et
l'herméneutique symbolique. La sémiotique structurale
s'est développée grâce à la linguistique
et à la critique littéraire, dont le modèle le
plus formalisé a été celui de V. L. Propp qui a
dégagé la morphologie des contes russes. Claude
Lévi-Strauss a étendu cette méthode à
l'étude des civilisations amérindiennes.
L'herméneutique symbolique a d'abord permis
l'interprétation des textes mythico-religieux de
l'Antiquité païenne, avant de devenir l'étude des
mythes et des symboles, avec notamment C. G. Jung,
Ricoeur et Durand
déjà cités, et Mircea Eliade. D'autres
courants ont été inspirés par la psychanalyse et
la psychocritique.
L'imaginaire peut ainsi être appréhendé comme une
forme de l'irrationnel, mais être vu comme un espace-temps
alogique, avec ses contraintes. On peut y relever des
éléments typifiants interprétés par le
formisme, qui donne un sens à la totalité de
l'organisation d'un imaginaire individuel ou collectif. Ou alors
pratiquer la systémique, qui décèle dans
l'imaginaire une organisation complexe d'images, avec Bachelard et Durand.
Sauf à paraphraser le texte de l'auteur, il n'est pas possible
d'entrer dans le détail de ses commentaires et analyses, dont
la table des matières suggère la diversité.Pour
l'auteur, l'imaginaire s'inscrit au coeur de notre rapport au monde,
de cette confrontation au réel. L'imaginaire reste cependant
un milieu psychique encore mal connu (beaucoup plus mal connu que les
sens ou les activités logiques), qui nous laisse encore devant
beaucoup de zones d'inconnu. On peut donc se montrer
réservé quand Wunenburger suggère que le
résultat de l'ensemble des travaux portant sur l'anthropologie
de l'imaginaire est de donner un fondement à l'idée
d'«universaux» d'images, ce qui mettrait fin à
l'exclusivité de l'universalité de la
rationalité. Le succès des recherches sur l'imaginaire
doit être replacé dans un contexte de critique
générale de la raison, renforcé par le
scepticisme généralisé de l'ère
post-moderne, caractérisée par la méfiance
à l'égard de la raison. La modernité occidentale
n'a pas fait disparaître l'expérience du sacré et
celle de ses prolongements religieux, mais les a plutôt
déplacées vers d'autres lieux et de nouveaux objets. La
peur du retour en force d'un rationalisme positiviste dû
à la mondialisation, à l'économisme de
marché et au technicisme est un des risques actuels certes.
Mais elle ne peut que nous amener à ne plus négliger,
comme c'était le cas auparavant, cette exploration de
l'imaginaire. Elle est motivée par un mal-être humain,
qui n'a plus les contours de la seule névrose comme au temps
de Freud, mais mine aujourd'hui les racines de
l'humain. La demande d'imaginaire risque donc de croître avec
les risques d'irrationalisme accrus. On peut le constater dans la
place prise dans l'imaginaire par la valorisation des images au
détriment de la raison par cette technique sociale qu'est la
télévision. Elle suscite un ensemble quasi rituel de
comportements uniformes, quels que soient les environnements et les
pays. Lieu social de communion et de participation visuelle à
une imagerie la télévision manifeste une
résurgence de conduites humaines archaïques qui ont un
rapport avec l'imaginaire du sacré. : "La
télévision ressemble en effet d'autant plus à
une manifestation du sacré que l'image est enfermée
dans un cadre qui rappelle l'espace clos où les religions
situent l'apparition des forces invisibles." (116) La venue de
l'image sur un appel du spectateur rappelle le fidèle qui
appelle son dieu par un rite approprié. L'écran anime
ainsi des images qui paraissent vivantes, qui suggèrent
magiquement la force de présence des puissances invisibles. La
métaphysique des images doit donc être admise comme une
source précieuse de savoirs., et, plus
généralement, la parade pour sauver l'alliance
salutaire de l'imaginaire et de la rationalité est de
renforcer une connaissance rationnelle de cet imaginaire, avec le
concours de toutes les disciplines, dont la philosophie.
L'importance de ce petit ouvrage est donc considérable. Plus
qu'une simple mise au point, l'ouvrage comporte des passages qui se
lisent comme ceux d'un essai. Nonobstant quelques difficultés
passagères de lecture, l'amateur non spécialiste
trouvera dans le livre de Wunenburger de quoi alimenter ses
réflexions et des pistes nouvelles de recherche.
Quatrième de
couverture :
Fantasme,
souvenir, rêve, mythe, roman, fiction... Autant d'expressions
de l'imaginaire de l'homme ou d'une culture. Individuel ou collectif,
l'imaginaire est traité de manière ambivalente, soit
comme une source de maux, soit comme le moyen d'un enrichissement.
Qu'est-ce qui pousse une conscience à s'imaginer un monde
autre ? L'imaginaire est-il appauvrissant, aliénant,
libérateur ?
A la croisée des disciplines - psychanalyse,
littérature, anthropologie culturelle, sociologie des
médias -, cet ouvrage propose une analyse philosophique de ce
qui nous détache de l'immédiat, nous invite au ludique,
nous permet de penser lorsque le savoir est défaillant, nous
offre un horizon : l'imaginaire.
Roland Ernould © 2003
Agrégé de philosophie,
docteur-ès-lettres, professeur de Philosophie
générale à l'Université Jean
Moulin de Lyon 3, doyen de la Faculté. Membre du
Centre d'études des systèmes ; directeur
associé du Centre de recherches G.Bachelard sur
l'imaginaire et la rationalité de l'Université
de Bourgogne. À côté de travaux de
philosophie de la connaissance et d'éthique,
Wunenberger s'est plus particulièrement
attaché à comprendre la place et le rôle
des images, symboles et mythes dans les oeuvres artistiques,
scientifiques et philosophiques. Il a publié
La
fête, le jeu et le sacré (1977), L'utopie ou la crise de
l'imaginaire (1979),
Le
sacré (1981),
Freud
(1985), La Raison contradictoire (1989), L'imagination (1991), Questions
d'éthique (1993),
La vie
des images (1995),
Philosophie des images (1997), L'homme à l'âge de la
télévision
(2000), Imaginaires du politique (2001).
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Table des matières
:
Définition et histoire : Une catégorie plastique -
Lexique - Critères d'analyse - Les deux conceptions - Histoire
des théories contemporaines de l'imaginaire - Gaston
Bachelard, - Gilbert Durand - Paul Ricoeur - Henry Corbin.
Méthodes, structures, transformations : Conditions et
méthodes d'approche - La dimension verbo-iconique de
l'imaginaire - Les options épistémologiques.
Quelle-logique pour l'imaginaire ? - Le formisme - La
systémique - Les sources génératrices - La
dynamique intratextuelle - Les images matricielles - Les
déterminants hypertextuels. - Évolution - Variations
simples, - Modèles mythodologiques : G. Durand - La
littérarisation du mythe.
Fonctions et valeurs : Fonctions de l'imaginaire - Visée
esthético-ludique - Visée cognitive - Visée
instituante pratique - Valeurs de l'imaginaire.
Explorations d'imaginaire : Imaginaires d'un groupe social : utopie
et millénarisme - Imaginaires d'un peuple: la Roumanie et les
États-Unis - Imaginaires d'une époque : la Renaissance
et le baroque - 4. Imaginaires d'une tradition spirituelle : le
gnosticisme. dualiste - Imaginaires d'une technique sociale : la
télévision.
Bibliographie.
..
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. général