Claude Seignolle, Le Berry des traditions et superstitions

éd. Hesse, 2002, 292 p.

Les éditions Hesse honorent une deuxième fois Seignolle cette année en publiant, après les actes du Colloque de Cerisy-la-Salle, un ouvrage d'ethnologie qui avait été édité par Maisonneuve et Larose en 1969. Cette édition, revue et augmentée par Claude Seignolle, contient notamment un tout récent avant-propos, sur lequel je reviendrai.

On sait que Seignolle a d'abord pratiqué l'ethnologie avant d'écrire des romans et des nouvelles dont certaines ont
"installé l'enfer dans notre vie", pour reprendre la belle formule de Jean Ray. L'oeuvre ne se réduit certes pas au monde paysan, mais, sans oublier les autres dimensions de ses récits, on doit bien dire que le monde des campagnes a constitué le terreau sur lequel ont poussé ses premiers récits d'imagination. L'ethnologue, devenu poète-paysan, a une bonne connaissance des traditions et des superstitions d'une France rurale déjà de son temps en cours de disparition. Il y a puisé largement son inspiration qui a donné, à ses histoires de diable et de loups-garous, une coloration particulière qui ne se rencontre pas ailleurs, ainsi dans ces classiques de la littérature fantastique que sont La Malvenue ou Marie la Louve. Les peurs ancestrales et la tradition paysanne trouvent leurs échos dans les peurs primordiales qu'éprouve l'homme Seignolle, la fuite du temps, la mort inexorable et l'obsession de survivre. Cette oeuvre ethnologique marque donc une étape de sa vie de créateur, fondamentale moins par ce qu'on a appelé "le seignollisme paysan" que parce qu'elle portait déjà en elle la hantise, qui l'a suivi toute sa vie, de voler des choses au temps.

On sait que Seignolle a été initié aux contes populaires par sa grande mère périgourdine, diseuse de contes, ce qu'il a raconté dans
Une Enfance Sorcière, et il s'est laissé envoûter par le monde du surnaturel et de l'occulte en même temps qu'il s'intéressait à la préhistoire. En rencontrant l'ethnologue bien connu Arnold Van Gennep, son "oncle adoptif", auteur du monumental Manuel de folklore français contemporain, il a trouvé sa méthode de recherche ethnologique. Sa passion pour le folklore succédant à celle des pierres, il a recueilli les récits et les traditions populaires dans différentes régions françaises : Le Folklore du Hurepoix en (1937) en collaboration avec son frère Jacques; En Sologne (1945), Contes populaires de Guyenne (1946), Le Diable dans la tradition populaire (1959), Le Folklore du Languedoc (1960), Le Folklore de la Provence (1963), Le Berry traditionnel (1969), dont cet ouvrage analysé ici est la reprise. Il a dirigé ensuite, de 1974 à 1979, la collection des Contes populaires et légendes, recueils de contes de différentes régions de France. Il faut ajouter ce panorama des croyances populaires de toutes régions sur le diable que sont Les Évangiles du Diable (1964).

Seignolle voulait prolonger les ouvrages de Laisnel de la Salle, parus à la fin du XIXème siècle chez l'éditeur Maisonneuve, qui a ensuite publié son
Berry. Le Berry est un pays sorcier, terre noyée de la brume qui enveloppe les haies vives, stagne au creux des chemins du bocage et dont les ombres ont alimenté longtemps les frayeurs paysannes. La région, peut-être pas plus superstitieuse que les autres terroirs de France, s'est autrefois distinguée par de retentissants procès en sorcellerie. Les créatures typiques de la contrée sont les facétieuses birettes (spectres en chemise) ou le dangereux meneur de loups. On peut encore trouver, chez les aïeux de quelques fermes ou villages reculés, des histoires de mauvais oeil, de troupeaux décimés mystérieusement, ou ds voisins malintentionnés.

Mais c'est surtout l'oeuvre de George Sand, notamment La mare du diable, qui a popularisé l'image d'un Berry "sorcier" en décrivant les moeurs inquiétantes de sa "Vallée noire". Seignolle, qui a souvent évoqué la "bonne dame" de Nohant et a rencontré sa petite fille Aurore, éclaire, par un exemple brillant, la naissance d'une légende. Rencontrant Aurore Sand, alors bien âgée, chez elle, elle lui raconta que tous les matins sa grand-mère l'embrassait, lui transmettant avec ses baisers une part du souvenir de ceux de tant d'autres célébrités, dont Chopin. Embrassé en la quittant, Seignolle devient le dépositaire d'un héritage prestigieux, sorte d'échange magique : "Je quittai Nohant autre qu'en y arrivant. Généreux de cette anecdote, je commençais à raconter mon aventure féerique : porter entre mes moustaches un rien du contact indirect avec ces célèbres personnages, depuis longtemps défunts, disparus que mon témoignage de vivant ayant participé à ce vaste échange de baisers hors du temps rendait présent et accessible à mes auditrices qu'alors je ne me privais pas d'embrasser, en un généreux rite de transmission qui les rendait, elles aussi, différentes sous couvert du partage de ces baisers historiques." Rencontrant de jeunes polonaises au Père-Lachaise, des institutrices de Cracovie, il ne peut résister au désir de raconter l'anecdote. Elles lui demandèrent de l'embrasser : elles repartirent "porteuses émerveillées d'un baiser de Chopin transmis rituellement, racontant à leur tour, avec des tas d'ajouts, l'aventure à laquelle je les avais fait participer et qui me rendait irrésistible. L'engouement, la mise au point de mon petit numéro de passe-passe d'embrassades, me fit peu à peu connaître comme dernier porteur biologique de tout cet illustrissime monde au point de me sentir en devoir de retourner à une des sources de l'histoire qui magnifiait ma nouvelle vie." Ou comment naissent les légendes. Et comment Seignolle prépare la légende de la sienne...

Dans ses recherches ethnologiques, Seignolle applique les principes de Van Gennep : les études du folklore ne concernent pas seulement les contes et légendes, les chansons, les pratiques de sorcellerie, mais s'intéressent aussi aux cérémonies, aux jeux, et aux danses, aux cultes populaires, aux ustensiles de ménage, outils et arts, aux institutions, qui sont l'expression de leurs mentalités et que l'on retrouve dans cet ouvrage. Claude Lévi-Strauss demandait, dans la préface d'un ouvrage de l'ethnologue Marcelle Bouteiller sur les jeteurs de sorts et les sorciers du Berry et de la Sologne, qu'on ne néglige pas "
cet immense ensemble d'expériences et de spéculations, d'observations et d'hypothèses, auxquelles l'humanité est redevable solidairement". Ensemble auquel Seignolle a contribué, témoignage d'un temps disparu, dont ne survivent que d'innocents rites touristiques : comme la fête des birettes à Bué, ou les témoignages en voie de fossilisation du musée de la sorcellerie de Concressault.

Conséquences de la littérature "mouvante" selon la formule de Van Gennep pour désigner les traditions orales, ces études se transformèrent en partie en contes fantastiques. Leurs motifs possèdent à la fois les qualités du réalisme paysan et de ses peurs des êtres surnaturels et de la magie. Plus tard, s'éloignant des sources folkloriques, l'auteur situe ses récits dans le milieu urbain, notamment dans les vieux quartiers de Paris :
Le Bahut noir, Le Chupador, La Brume ne se lèvera plus, Delphine et d'autres nouvelles. On finira bien par admettre que Seignolle n'est pas seulement l'auteur de contes fantastiques folkloriques, mais aussi un explorateur du fantastique citadin. On peut noter cependant que les récits folkloriques se révèlent plus intéressants par leur contenu et sont à considérer comme les modèles des récits citadins.

C'est avec plaisir que l'on retrouve ce livre, témoignage des temps passés, qui permet de faire le point sur l'usure ou l'oubli de l'héritage régional. Et de retrouver un autre ouvrage de Seignolle, qui a vu ces dernières années la majeure partie de son oeuvre rééditée, oeuvre qui suscite, en France comme à l'étranger, non seulement un intérêt permanent pour les lecteurs, mais aussi de nombreux essais et thèses.

La quatrième de couverture :
Au milieu du XXème siècle, Claude Seignolle a interrogé la mémoire paysanne de plusieurs régions . françaises, dont le Berry.
Dans
Le Berry des traditions et superstitions, naissance, enfance, adolescence, fiançailles, mariage, mort, mode de vie et alimentation, fêtes traditionnelles, remèdes de bonne femme, sorcellerie et légendes sont autant d'aspects sur lesquels Claude Seignolle a réuni des témoignages et les a classés et conservés comme dans un herbier .
À l'aube du troisième millénaire, ces croyances et rituels ne sont plus que le reflet d'une époque révolue, un musée de curiosités disparues. Dès 1968, Claude Seignolle affirme que "grand nombre de ces traditions ne sont déjà plus que souvenances. Ce patrimoine humain, si patiemment accumulé et pétri au cours des siècles, est de plus en plus voué à l'indifférence et à l'effacement, victime du progrès et des changements de mode".
Le Berry des traditions et superstitions n'est pas seulement un ouvrage ethnographique. Au même titre que Traditions paysannes de Sologne (Hesse), il a contribué à ensemencer l'oeuvre de fiction de Claude Seignolle, dont les récits, Marie la Louve, La Malvenue, Le Diable en sabots, ont fait le tour du monde.


Table des matières :

Avant-propos. Avertissement
La naissance
L'enfance
L'adolescence
Les fiançailles
Le mariage
La vie traditionnelle
Les fêtes traditionnelles
Le folklore de la nature
La médecine populaire
La sorcellerie
La mort

Biographie et bibliographie

Roland Ernould © 2002

..

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

 

.. général

mes dossiers sur les auteurs

. . .. . .. .. .