Edgar Morin, L'identité humaine
La
méthode 5. L'humanité de l'humanité
éd. du Seuil, 2001
Edgar Morin a entrepris dans les
années 70 une vaste recherche qu'il a appelée
La
Méthode, dont 4 volumes
sont parus. Voici le cinquième
et il devrait y en avoir un sixième, du moins à ce
qu'espère cet auteur âgé de 80 ans, dont
soixante-cinq passés à connaître tout ce qui peut
l'être, maître à penser qui utilise la
philosophie, la sociologie et la biologie tout en ayant recours aux
notions de systèmes, d'organisation et de cybernétique.
La
Méthode est une entreprise
encyclopédique aux limites des possibilités humaines.
Car l'oeuvre essaie d'intégrer tous les savoirs,
philosophiques comme scientifiques, dans une vaste synthèse
à caractère pluridisciplinaire.
Dans ce volume, Morin a abordé la complexité et la
diversité des dimensions de l'identité
humaine. Comment définir
l'homme? Jamais des hommes ne se sont autant interrogés sur
leur identité que nos contemporains. Nous sommes devenus les
témoins effarés des scènes de sauvagerie que les
médias proposent quotidiennement au public de toute la
planète, et nous nous demandons quelle peut bien être
cette créature capable de pousser aux extrêmes, le bien
comme le pire. De préférence le pire.
Première certitude, assemblage de particules et d'atomes, nous
sommes des animaux qui vivent depuis le début de leur histoire
dans leurs créations comme dans leurs destructions. Nous
sommes des êtres vivants ne pouvant atteindre notre
fonctionnement optimal qu'en utilisant nos capacités à
nous fédérer et à former des
sociétés. La trinité humaine("l'individu, la société et
l'espèce") place la personne humaine dans une situation qui
permet à la fois une diversité illimitée et une
unité particulière. Car les relations entre ces trois
instances ne sont pas seulement complémentaires. Elles sont
aussi antagonistes et présentent des possibilités de
conflits entre caractéristiques biologiques et
caractéristiques culturelles, dans un processus en boucle
toujours recommencé et constamment
régénéré.
L'identité humaine porte en elle la forme de la condition
humaine plurielle et polymorphe,
non de façon disjointe ou successive, mais à la fois "faber, sapiens, economicus, ludens, déliriens,
demens". Elle ne se dissout ni dans l'espèce, ni dans
la société. Individu et sujet, l'homme se construit
dans un dialogue avec l'autre, mais aussi dans un dialogue avec
lui-même. Une partie de lui pense et vit un travail affectif et
imaginaire qui a pour horizon la mort, dans une "dialogique circulaire,
rationalité - affectivité - imaginaire - réel -
démence - névrose -
créativité." Le criminel, le fou, le saint, le prophète,
le génie, l'innovateur échappent aux normes courantes.
Morin refuse de réduire l'identité humaine à une
théorie homogène et unique. Il élargit nos modes
de pensée en soulignant la richesse et la complexité de
nos liens dans l'organisation sociale de la sexualité, au sein
de la famille et dans l'historicité de nos institutions. En
même temps, nous sommes en marche vers une identité
planétaire, dans une société de
méta-machines et de méta-connaissances. L'avenir est
donc très incertain, partagé entre une
méta-humanité (réaliser toutes les
potentialités humaines) et une surhumanité (faire un
choix de celles qui nous paraîtont humaines).
Morin propose une leçon d'humilité et de
tolérance à ceux qui prétendent détenir
les solutions de l'identité de certains groupes, voire de
l'identité planétaire. La somme des connaissances
humaines ne peut plus être l'apanage d'un groupe et la
diversité humaine est infinie. On ne peut en fixer
arbitrairement le cadre ou des normes rigides, ce serait
arrêter le mouvement humain par des sentiments contestables
conduisant à des destins douteux. Certes, cet avenir nous
réserve des surprises et Morin nous demande à le voir
avec lucidité et sans préjugés. Notamment en se
méfiant de la
mondialisation du modèle occidental "impulsée par le quadrimoteur efficace :
science-technique-industrie-capitalisme", capable d'occasionner des dégâts mettant
en danger les équilibres fondamentaux de la planète.
Morin appelle à une prise de conscience de
l'intersolidarité humaine et de la communauté de destin
planétaire. Seule une "éthique de la connaissance" peut nous permettre de gérer nos
contradictions et de développer des qualités proprement
humaines.
L'intérêt de l'essai est de se situer dans une optique
de discours scientifique, cognitiviste, plutôt que
philosophique. Il oblige le discours rationnel à
intégrer le non-rationnel, l'imaginaire, la folie, la
liberté . La lecture de l'ouvrage est plus facile que ne le
laisserait penser l'austérité de cette note. Lucide sur
la condition humaine, Morin termine sur une note d'espoir :
"L'humanité est en
rodage. Y a-t-il possibilité de refouler la barbarie et
vraiment civiliser les humains? Pourra-t-on poursuivre l'hominisation
en humanisation? Sera-t-il possible de sauver l'humanité en
l'accomplissant? Rien n'est assuré, y compris le
pire."
La
quatrième de couverture :
Qui sommes-nous?
Plus nous connaissons l'humain. moins nous le comprenons : les
dissociations entre disciplines le fragmentent, le vident de vie, de
chair, de complexité, et certaines sciences
réputées humaines vidangent même la notion
d'homme.
Ce travail rompt avec le morcellement de l'humain. Il rompt avec les
conceptions réductrices (homo sapiens, homo, faber et homo
economicus) qui privent l'être humain à la fois
d'identité biologique, d'identité subjective et
d'identité sociale.
Plutôt que de juxtaposer les connaissances dispersées
dans les sciences et les humanités, ce livre se donne pour
vocation de les relier, les articuler, les réfléchir
afin de penser la complexité humaine. Il complexifie le sens
du mot homme en y réintégrant le féminin
occulté sous la connotation masculine, et en lui donnant le
sens trinitaire qui le situe à la fois dans et hors la nature
: individu, société, espèce; il propose de
concevoir ces termes dans leurs complémentarités ainsi
que dans leurs antagonisme: réciproques.
Il essaie de penser une humanité enrichie de toutes ses
contradictions (l'humain et l'inhumain, le repli sur soi et
l'ouverture aux autres, la rationalité et
l'affectivité, la raison et le mythe, l'archaïque et
l'historique, le déterminisme et la liberté). Cette
humanité court sans cesse le risque de
dégénérer, risque dans lequel pourtant elle peut
se régénérer.
Enfin ce livre considère le destin de l'identité
humaine qui se joue dans la crise planétaire en cours. Il est
vital désormais d'enseigner l'humanité à
l'humanité.
L'Identité humaine est la synthèse d'une vie : tous les
thèmes des oeuvres précédentes de l'auteur se
trouvent réunis en une configuration et une orchestration
nouvelles.
Ce premier volume de L'Humanité de
l'Humanité sera suivi par une Éthique qui conclura La méthode.
|
Né
à Paris en1921, où il fait des études
universitaires dans plusieurs disciplines (histoire,
sociologie, économie, philosophie). Résistant
pendant la guerre, lieutenant dans la 1ère
Armée française en Allemagne. Maître de
recherche puis directeur émérite au CNRS de
1950 à 1989, journaliste directeur de la revue
Arguments et de la revue Communications. Observateur de la réalité
sociale, il a principalement axé ses recherches sur
l'analyse des phénomènes de désordre
socioculturel (ce qu'il nomme l'irrégulier, le
déviant, l'incertain, l'indéterminé,
l'aléatoire) et sur la connaissance de l'organisation
même des choses. ll se consacre depuis 30 ans
à la recherche d'une méthode qui
débouche sur la proposition d'une véritable
réforme de pensée. apte à relever le
défi de la complexité de notre temps, aussi
bien dans la connaissance scientifique, que pour
remédier aux problèmes humains, sociaux et
politiques.
|
Bibliographie
:
Ouvrages d'anthropologie fondamentale : l'Homme et la Mort (1951), le
Cinéma ou l'Homme imaginaire (1956), le
Paradigme perdu:
la nature
humaine (1973),
l'Unité de
l'homme (en collaboration
avec M. Piattelli-Palmarini, 1974), Science avec conscience (1982), Introduction à la pensée
complexe, (1990),
La complexité
humaine, (1994),
L'intelligence de la
complexité (en
collaboration avec Jean-Louis Le Moigne, (2000).
La Méthode (I:
la Nature de la
nature, 1977; II:
la Vie de la
vie, 1980; III :
la Connaissance de la
connaissance, 1986, IV :
Les
idées, 1991; V :
L'identité
humaine, 2001
Études de sociologie contemporaine : les Stars (1957,
réédité en 1972), Commune en France: la
métamorphose de Plodemet (1967), Mai
68: la brèche
(en collaboration avec C. Lefort et C. Castoriadis, 1968),
la Rumeur
d'Orléans (1969; nouv.
éd. complétée avec la Rumeur d'Amiens, 1973), la Femme
majeure: nouvelle
féminité,
nouveau
féminisme (en
collaboration avec B. Paillard et N. Benoît, 1973),
l'Esprit du
temps (I: Névrose, 1962; II: Nécrose,
1975, Sociologie,
1984, La tête bien
faite, (1999(,
Relier les connaissances,
défi du XXème siècle, (1999), Les
Sept savoirs nécessaires à l'éducation du
futur, (2000).
Récits politiques et
autobiographiques : Autocritique
(1959), Introduction à
une politique de l'homme
(1965), Journal de
Californie (1970),
Journal d'un livre, juillet
1980/août 1981 (1981),
Terre-Patrie (1993), Mes démons, (1996, Amour,
poésie et sagesse,
(1997).
Sa collaboration avec Jean Rouch pour Chronique d'un été (1960) a annoncé le
cinéma-vérité.
Roland Ernould © 2002
..
.. du site
Imaginaire : liste des
auteurs
..
du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. général