Jean Marigny, Le Vampire dans la littérature du
XXe Siècle
éd. Honoré Champion,
2003, 384 p.
Jean Marigny avait
consacré sa thèse de doctorat aux vampires
(Le Vampire dans
la littérature anglo-saxonne, Didier Érudition, Paris, 1985). Il était
connu du grand public pour avoir publié plusieurs ouvrages,
dont Sang pour
sang, le réveil des vampires, aux éd. Gallimard Découvertes en 1993
(avec une réédition en 1999). Cet petit livre,
remarquablement mis en page et illustré, plus
spécialement adapté au public cultivé,
constituait uns synthèse rapide, mais indispensable, pour qui
souhaitait savoir l'essentiel sur le phénomène
fantastique et sociologique "vampire".
Marigny regrettait avoir dû, en
tant qu'angliciste, laisser de côté dans sa thèse
tout ce qui n'appartenant pas au domaine anglo-saxon. Le renouveau
qu'avait connu le thème du vampire après la publication
du roman d'Anne Rice
Entretien avec un
vampire, l'avait conduit à
continuer à écrire d'autres ouvrages sur ce
thème, mais portant sur des sujets restreints. Marigny
rêvait d'écrire LE livre qui donnerait toutes les
informations qu'il avait pu recueillir au cours de dizaines
d'années de recherche, et notamment sur les romans et
nouvelles édités ces dernières vingt
années. Le chiffre étonne, mais il s'est publié
durant ce temps autant d'histoires de vampires que jusque là.
Voici cette somme, qu'il a dû cependant limiter à la
production littéraire du XXe siècle. Elle contient
quantité d'informations qui la rend irremplaçable. Elle
comprend même les romans sentimentaux et pour enfants. Les
films ou téléfilms ne sont cités que s'ils ont
un rapport précis avec un texte.
La préface du livre constitue
une excellente synthèse, dont je reprendrai les principaux
éléments pour situer les étapes de la vie
littéraire des vampires. Si le terme n'existe que depuis 1732,
l'icône hante l'imaginaire humain depuis la création des
légendes et des mythes. L'être le plus ancien connu qui
ressemble au vampire est Lilitû, démon babylonien
nocturne. Les hommes ont ainsi toujours cru à l'existence
d'êtres surnaturels suçant le sang des mortels, comme
les striges, les lamies ou les empuses de l'antiquité
gréco-latine. Pourtant ces êtres surnaturels qui
ressemblent aux vampires ne peuvent pas être
considérés comme tels.
Un vampire est un mort-vivant, un être humain qui, après
sa mort, revient hanter ses proches sous une forme matérielle
pour leur sucer le sang. Une croyance chrétienne apparue au
XIe siècle prétendait que le vampire était une
âme qui n'a pu trouver asile au purgatoire. Mais si l'on s'en
tient aux trois conditions qui font qu'un revenant corresponde au
"type"du vampire (un mort-vivant; qui suce le sang de ses victimes;
et les contamine en les faisant devenir des vampires à leur
tour), le vampire "officiel"n'apparaît qu'au début du
XVIIIe siècle, dans un rapport en latin, le Visum et Repertum,
rédigé par le chirurgien autrichien Fluckinger à la demande de l'Empereur Charles IV, sur deux
cas de vampirisme qui avaient troublé l'Europe occidentale.
Divers traités ont suivi, rédigés par des
ecclésiastiques comme le bénédictin
Dom Calmet, qui ont tenté d'expliquer le
phénomène en recourant aux Écritures. Mais
Voltaire et les encyclopédistes ont
dénoncé le vampire comme une superstition d'un autre
âge, et le Pape Benoît XIV n'a pas admis l'existence des
vampires. Le XVIIIe a ainsi contribué simultanément
à faire croire en l'existence des vampires tout en condamnant
leur existence au nom de la raison.
Entré dans la
littérature en 1748 dans un court poème de
l'écrivain allemand Ossenfelder, les
romantiques allemands en ont fait peu après un thème
majeur comme notamment Bürger dans
son poème Lenore (1773),ou
Goethe avec La Fiancée de Corinthe (1797). Au début du XIXe, des romantiques
anglais représentent le vampire sous les traits d'une femme
fatale à la séduction mortelle (ainsi Robert
Southey crée Oneiza dans Thalaba le Destructeur, Keats le
personnage de Lamia et de La Belle Dame sans Merci, Coleridge propose Geraldine dans Christabel). Plus tard Polidori,
secrétaire particulier et médecin de Byron
imagine dans une longue nouvelle le vampire mâle sous les
traits d'un dandy séducteur, Lord Ruthven. Le Vampire de Polidori, publié en 1819, est le
premier texte significatif en prose sur le thème du vampire
(un roman Der
Vampir, de l'allemand
Arnold, a cependant été
édité en 1801, sans aucun retentissement). Par contre
le vampire de Polidori a exercé une influence
considérable. Le vampire a connu un énorme
succès et a suscité de nombreuses imitations de la part
d'écrivains comme Charles Nodier et
Alexandre Dumas. La mode
du vampire s'est alors emparée de toute l'Europe
(Gautier, La Morte amoureuse; Tolstoï,
La Famille du
Vourdalak; Le Fanu, Carmilla).
Polidori et ses successeurs se sont
éloignés de la mythologie du vampire d'Europe centrale,
avec des personnages menant une vie humaine normale. Le vampire
folklorique doit tout au Dracula (1897) de
Bram Stoker, qui a fait la synthèse des
légendes connues : Dracula quitte sa tombe après le
coucher du soleil, se nourrit exclusivement de sang humain, craint
l'ail, le crucifix et les hosties consacrées. Il est capable
de se transformer en toutes sortes d'animaux ou en brouillard, ne
laisse aucun reflet dans les miroirs. Il est pratiquement
invulnérable sauf si l'on parvient à percer son coeur
avec un pieu en bois. Stoker est le créateur du mythe
littéraire du vampire, avec ses principales
caractéristiques. Personnage démoniaque, influence de
l'Angleterre victorienne, il suscite la peur et le
dégoût et doit être éliminé sans
pitié. Le cinéma a profondément contribué
aux diverses modes du vampire, avec ses acteurs et auteurs connus du
plus grand nombre.
Le thème du vampire s'est
développé pendant le XXe siècle, avec des
périodes d'expansion rapide entrecoupées de
périodes de stagnation. La nomenclature des oeuvres et auteurs
serait fastidieuse. Les États-Unis n'ont été
jusque là peu intéressés par le thème,
mais, à partir des années vingt, tout change avec
l'apparition des pulps, magazines à bon marché pour le
grand public dans lesquels de nombreuses histoires de vampires sont
publiées chaque année. La plupart sont
médiocres, mais certaines remarquables, dont le lecteur
trouvera la liste dans l'ouvrage de Marigny. Après la guerre
et jusqu'à la fin des années cinquante, le vampire
traverse une crise de désaffection. Les textes humoristiques
augmentent. Il faut aussi noter la parution d'un récit de
science-fiction pessimiste, Je suis une légende, de Richard Matheson, qui
relie le thème vampirique aux angoisses devant la Guerre
froide et le risque d'un conflit nucléaire.
Le retour de Dracula à
l'écran en 1958 suscite une nouvelle mode vampire, aussi bien
aux États-Unis, qu'en Grande-Bretagne et en Allemagne. Les
oeuvres littéraires de ces années ne brillent
guère ni par leur originalité ni par leur
qualité, exception faite de quelques textes (Simon
Raven, Claude Seignolle,
Joanna Russ et Theodore Sturgeon), qui
s'écartent résolument des sentiers battus. Le mythe de
Dracula s'essouffle à nouveau et à partir de 1964 les
récits à caractère parodique
réapparaissent. En 1975, deux romans se distinguent par leur
originalité tout en restant ancrés dans l'orthodoxie :
Salem, de Stephen King et
Les Vampires de
l'Alfama de Pierre
Kast. Mais c'est surtout le roman d'Anne Rice,
Entretien avec un
vampire, paru l'année
suivante, qui va marquer le véritable tournant dans
l'évolution du vampire en littérature. Les lecteurs
sont séduits par l'originalité du récit et la
façon nouvelle d'aborder ce type de personnage, qui
démythifie tout ce qui a pu être dit sur la question des
morts-vivants. Le lecteur peut s'identifier à ce vampire, qui
n'est plus l'autre détestable, mais il est capable d'aimer et
de souffrir comme les hommes. En ouvrant de nouvelles perspectives
sur ces personnages et en réussissant à atteindre un
vaste lectorat, plus exigeant que le précédent, Anne
Rice a inauguré un véritable âge d'or du vampire.
À partir de 1977, des dizaines de récits sur ce
thème sont publiés chaque année, des fan-clubs
et des associations diverses créés dans le monde entier
et le vampire devient de plus en plus familier pour le grand public.
En moins de dix ans, paraissent des romans et des nouvelles d'une
qualité exceptionnelle qui donnent l'impression que la
littérature vampirique a atteint l'âge adulte et que
Lestat et ses semblables ne sont plus réduits au rôle de
simple épouvantail. Des records absolus ont été
atteints, en ce qui concerne le nombre de: nouvelles et de romans
publiés en 1991 (l'année qui précède la
sortie du Dracula de
Coppola) et en 1996 (l'année qui
précède le centenaire du roman de Stoker). Depuis, une
nouvelle régression laisse prévoir une nouvelle
période de stagnation. Il faut noter que le vampire
intéresse un public de plus en plus jeune, ce qui se traduit
par une augmentation constante d'ouvrages pour les enfants ou pour
les adolescents.
Il doit être difficile de faire
un tel travail de recensement et d'analyse, car certains romans ont
une notoriété qui ne dépasse pas les
frontières du pays où ils ont été
publiés ou sont parus dans des revues à faible tirage,
vendues par abonnements et ne touchant qu'un public limité.
Dans l'ordre décroissant, les textes sur les vampires sont
parus aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, en
Australie, en France, en Allemagne et en Italie. Cette
littérature particulière forme un ensemble
énorme, qui s'adresse à des publics très
différents. Le mérite de Jean Marigny a
été d'essayer d'établir le bilan le plus complet
possible de cette littérature foisonnante, tant par les genres
littéraires, la thématique qu'elle met en jeu, que par
la présentation textuelle et stylistique. La table des
matières ne peut qu'inciter les amateurs à se plonger
dans cet ouvrage, qui va devenir un livre de référence
indispensable.
Roland Ernould © 2003
La quatrième de
couverture :
De tous les
personnages de la littérature fantastique, le vampire est sans
doute celui qui domine le plus l'imaginaire contemporain. Son
omniprésence dans la littérature, mais aussi dans la
bande dessinée, au cinéma, à la
télévision, dans les jeux de rôle et même
dans la publicité, constitue à elle seule la preuve
qu'il exerce une incontestable fascination sur le grand public.
Le vampire qui nous est devenu désormais si familier est-il le
même que celui qui faisait rêver les romantiques? Y
a-t-il encore une parenté entre le Dracula de Bram Stoker et
les élégants prédateurs postmodernes
imaginés par Anne Rice? Pourquoi et comment des genres
littéraires aussi différents que la science-fiction, le
roman policier, la littérature enfantine et même la
littérature sentimentale se sont à leur tour
emparées de ces personnages qui semblaient devoir se limiter
au seul récit d'horreur? C'est à ces questions, et
à bien d'autres, que cet ouvrage tente de fournir des
réponses, en montrant comment notre siècle si riche en
événements tragiques et en bouleversements
planétaires a modifié la perception que l'on avait des
vampires, et en essayant de définir les significations
nouvelles que le mythe a acquises un siècle après la
parution de Dracula, dans un monde qui a perdu ses certitudes et qui
est à la recherche de nouveaux repères.
|
Actuellement
retraité, Jean Marigny a été professeur
de littératures anglaise et américaine
à l'Université Grenoble III où il a
dirigé le GERF (Groupe d'Études et de
Recherches sur le Fantastique). Il continue à faire
partie de son comité de lecture. Outre sa
thèse et l'ouvrage aujourd'hui recensé, il a
publié deux anthologies, Histoires anglo-saxonnes de
vampires (1978) et
Vampires : Dracula et les
siens (1997) en
collaboration avec Roger Bozzetto. Il a également
dirigé deux ouvrages collectifs, Les
vampires (1992) en
collaboration avec Antoine Faivre, et Dracula (1997). Il vient de publier Le vampire dans la
littérature du XXème siècle, 2003.
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TABLE DES
MATIÈRES
Avant-propos
Introduction
Première
partie : LE VAMPIRE DANS LE TEXTE, ÉTAT
DESCRIPTIF
Chap. 1
LES FORMATS DU RÉCIT,
NOUVELLES ET ROMANS
Les
nouvelles
Les romans
Littérature et médias
Chap. 2
LES STRUCTURES
NARRATOLOGIQUES DU RÉCIT
Le titre et
l'incipit
Le récit linéaire
Le récit en forme de dialogue
Le récit éclaté
Autres formes de récit
Chap. 3
LES DIFFÉRENTS GENRES
LITTÉRAIRES.
Du fantastique
au «gore»
La science-fiction
De la « fantasy » aux contes de fées pour
adultes
La littérature policière
Romans historiques et uchronies
Le roman sentimental
La littérature érotique
La littérature pour la jeunesse
L'humour et la dérision
Chap. 4
LES DIFFÉRENTES
REPRÉSENTATIONS DU VAMPIRE
Fiche
signalétique du vampire au XXe siècle
Le vampire traditionnel et ses variantes
Vampires psychiques
Vampires humains
Vampires animaux, végétaux et
minéraux
Éléments, lieux et objets vampires
DEUXIÈME
PARTIE LE VAMPIRE DANS TOUS SES ÉTATS, APPROCHE
ANALYTIQUE ET CRITIQUE
Chap. 1
L'APPEL DU SANG
La «
monstration » du sang
L'euphémisation du sang
Le sang comme nourriture
Le sang, source de vie
Le sang contaminé
Chap. 2
ENTRE LA VIE ET LA
MORT
La mort et ses
représentations
La vie dans la mort
L'immortalité
Chap. 3
EROS ET AGAPE
Oralité
et sexualité
Homosexualité et bisexualité
Vampirisme et tabous sexuels
Eros et Thanatos
Amour, délices et vampirisme
Chap. 4
LE VICE ET LA VERTU .
La lutte
traditionnelle entre le mal et le bien
L'inversion des valeurs
Le vampire victime
Le vampire héroïque
Chap. 5
VAMPIRISME ET
SOCIÉTÉ
Vampirisme et
xénophobie
Le vampire vu comme un l'ennemi
Le vampire comme exception
Sociétés vampires
La généralisation des vampires
Conclusion
Bibliographie
Index des noms propres
Index des titres
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Notes de lecture :
Sang pour
sang. Le
réveil des vampires
éd. Découvertes
Gallimard, coll. Traditions, 1993, rééd.
1999.
Vampires, Dracula et
les siens
Textes choisis et
présentés par Roger Bozzetto et Jean Marigny.
Omnibus, 1997.
Stephen King Romancier
dans Stephen King, premières
approches
collectif coordonné par Guy Astic, éd.
du Cefal, 2000,.
Histoires
anglo-saxonnes de vampires
(1978)
Dracula
Paris, France, Ed. Autrement,
Collection Figures
mythiques, 1997
Peter Viereck
La Maison
du Vampire
(House of the Vampire,
1907)
Traduit de l'anglais
(États-Unis) et présenté par Jean
Marigny , La Clef d'Argent , 2003
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..
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. général