Patrick Marcel, Atlas des brumes et des ombres, Guide de
lecture-fantastique
Folio collection SF, 2002, 266
pages.
La collection Folio s'est enrichie en
peu de temps de trois ouvrages qui correspondent à un
véritable besoin. Une collection s'honore de permettre
à ses lecteurs de disposer simultanément de guides de
lecture qui leur permettent d'enrichir la lecture des romans qu'elle
publie. C'est ainsi que sont parus successivement un premier guide
consacré à la science-fiction, de Francis
Valéry, Passeport pour les étoiles; un second, d'André-François
Ruaud qui avait pris pour domaine d'étude le
merveilleux et la fantasy, Cartographie du merveilleux. Dans ce troisième livre, Marcel
s'est vu octroyer le plus difficile des genres, le
fantastique.
En analysant les deux volumes
précédents, le lecteur se rendait compte que le
principal problème qu'avait rencontré les auteurs
venait de la difficulté à bien cerner leur domaine. La
caractéristique des genres de l'imaginaire est de ne pas avoir
de frontières étanches. Leurs limites sont floues et
beaucoup d'oeuvres sont une sorte de cocktail mixant des
ingrédients d'origines diverses... Peu sensible dans le guide
consacré à la science-fiction, la difficulté de
séparer les genres apparaissait avec l'essai sur le
merveilleux, terme regroupant un vaste domaine. On comprend que
Marcel consacre une introduction-liminaire à définir
son secteur, rappelant que malheureusement Anglo-saxons et
Français n'utilisent pas le même vocabulaire, et ne
donnent pas le même champ aux sous-genres.En anglais, la
fantasy recouvre tout le spectre de la littérature du
surnaturel, dont les différents sous-genres sont
signalés par des qualificatifs différents. Le
termeheroic fantasy pour les sagas fantastiques qui reprennent la
tradition du Conan de Robert Howard, high
fantasy est utilisé pour les épopées issues de
l'exemple de J. R. R. Tolkien; et dark
fantasy pour l'horreur surnaturelle."
Mettant de côté Tzvetan
Todorov et sa conception du fantastique comme
hésitation entre réel et surnaturel, jugée trop
restrictive, Marcel choisit une définition "pragmatique",
classique depuis Roger Caillois, qui la
définissait comme « une intrusion du surnaturel dans
notre monde » : l'oeuvre fantastique est un "récit de
fiction mettant en jeu des événements surnaturels". Par
surnaturel, Marcel reprend la définition habituelle : des
phénomènes qui contredisent les lois physiques
couramment admises dans notre univers. Le surnaturel
représente un "ajout, une fabrication superposée
à la structure de ce monde réel."
Pour les Français, la fantasy
regroupe les fictions "dépeignant le surnaturel dans un autre
monde matériel que le nôtre, un monde qui
présente souvent des disparités radicales avec celui
que nous connaissons". Mais il pourra également lui ressembler
en apparence. Caractéristique essentielle : dans un roman de
fantasy, les personnages admettent sans discussion l'existence de la
magie. Par ailleurs, la fantasy, tout comme la science-fiction,
aborde plutôt les liens qui unissent l'individu à la
société qui l'entoure, tandis que le fantastique traite
de problèmes individuels. Le fantastique se concentre ainsi
sur "une métaphysique intime de l'individu, de ses rapports
avec le réel : la vie, la réalité et la folie,
la mort... Il représente un refuge instinctif face à
l'angoisse".
Dans sa démarche
littéraire, le fantastique est utilise par les auteurs pour
obtenir trois résultats différents, qui peuvent se
mêler dans une même oeuvre. Ces écrivains
recherchent un "frisson exotique, suscité par la description
d'événements clairement étrangers à ce
monde". Ils veulent se distancier par rapport au monde réel,
"le fantastique fonctionnant comme un élément qui
permet de considérer la réalité sous un angle
nouveau". Ils en font enfin un emploi "métaphorique" : le
fantastique devient la représentation par des moyens
symboliques de certains éléments de la
réalité jugés négatifs.
Enfin on confond souvent les domaines
du fantastique et de l'horreur, qui ne sont pourtant pas de
même nature: l'horreur est un sentiment qui peut marquer une
oeuvre, mais on peut aussi la marquer par l'humour, ou la
poésie. Il est donc nécessaire de se raccrocher avant
tout aux aspects de l'intrusion du surnaturel. Marcel donne des
exemples indiscutables : "Un roman comme Psychose, de Robert Bloch,
appartient au corpus de l'horreur. Il ne contient pas
d'élément surnaturel et n'est en aucun cas un texte
fantastique. Le
Fantôme des Canterville
d'Oscar Wilde met en scène un personnage surnaturel,
le fantôme du titre, mais ne joue nullement sur le registre de
l'horreur, s'ingéniant même à le
désamorcer systématiquement. Le récit est
fantastique, mais n'appartient pas à l'horreur. À
partir de ces définitions posées par commodité,
Marcel retiendra les nombreuses oeuvres citées
analysées dans cet essai.
De ses deux
prédécesseurs, il a conservé la structure : une
partie (le tiers du livre) retrace l'historique, avec les
différents événements et tournants du genre.
Marcel remonte aux racines antiques du fantastique pour
s'étendre plus longuement sur la période proche. Les
auteurs, les courants, les pays ont droit à la brève
notice que permettent les modestes dimensions de l'ouvrage. La
seconde partie est consacrée à un choix de romans, des
classiques du genre, classés par ordre alphabétique.
Pour prendre quelques exemples d'auteurs qui ont leur place sur ce
site, Clive Barker est
représenté par Les Livres de sang, Stephen King par
Salem et Dead Zone, Claude
Seignolle par La Malvenue,
Peter Straub par Ghost Story. Par
contre Valerio Evangelisti, qui
se caractérise par le mélange des genres, n'y figure
pas. Tous les grands classiques sont bien sûr
représentés.
Bref, un guide de lecture sans
surprise, aussi indispensable que ses frères.
Quatrième de couverture :
Historique de la
littérature fantastique. 100 propositions de lecture.
Guy de Maupassant, Clive Barker, Stephen King, Jean Ray, Jorge Luis
Borges, Edgar Poe, Peter Straub, Bram Stoker et son Dracula... Autant
de signatures majeures d'un genre littéraire, le fantastique,
marqué par l'exploration du surnaturel, de l'horreur et de
l'irrationnel. Reflet des peurs les plus intimes, le fantastique
accueille depuis l'aube de la littérature des figures
imaginaires immortelles : vampires sanguinaires ou romantiques,
loups-garous pathétiques, démons impitoyables, maisons
hantées ou momies vengeresses. Indispensable outil pour les
enseignants, fidèle compagnon de voyages du lecteur
néophyte ou confirmé, ce guide de lecture propose un
parcours souvent terrifiant au sein d'une littérature qui
cherche à appréhender les facettes les plus sombres de
l'inconscient humain.
Né en 1956, Patrick Marcel travaille
dans l'aviation civile, tout en traduisant des romans de
fantastique et de science-fiction (Barry Hughart, Neil
Gaiman, Holdstock, Terry Pratchett). Longtemps membre de la
British Fantasy Society, il a collaboré à des
revues reconnues comme Yellow Submarine ou Mater Tenebrarum. Il a dirigé quelque temps
Manticora, une revue consacrée à
l'exploration, la présentation et la promotion de
toutes les formes du fantastique.
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.Roland Ernould © 2003
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.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. général