Jean-Christophe Grangé, L'Empire des loups

Albin Michel, 2003, 464 p.

Ce livre est l'événement littéraire de l'année, en tête du palmarès des ventes depuis des semaines. Le précédent roman de Jean-Christophe Grangé, Le Concile de Pierre, paru en 2000, comportait des éléments fantastiques qui avaient attiré mon attention. Grangé a été une dizaine d'années reporter free-lance, et il se sert des expériences qu'il a vécues pour chacun de ses romans. La partie fantastique du Concile de Pierre par exemple s'appuyait sur un voyage en Mongolie,une contrée où il a côtoyé des tribus adeptes de magie qui vivent encore avec leurs chamanes. Mais Grangé est plutôt considéré comme un spécialiste du thriller à succès, et les romans de cet auteur devenu célèbre avec Les Rivières pourpres, paru en 1998, ont été aujourd'hui traduits en 18 langues et vendus à plus d'un million d'exemplaires. En dix jours, L'empire des loups, le quatrième roman de Grangé, s'est écoulé à près de 160 000 exemplaires, affiches publicitaires dans le métro aidant. L'art du suspense de Grangé l'a fait comparer à un "Stephen King français".

Comme pour Les Rivières Pourpres, Grangé emprunte pour L'Empire des loups un de ses thèmes à un reportage en 1995 sur la géographie cérébrale, et la possibilité de localiser l'activité de certaines zones du cerveau, organe sur lequel des spécialistes interviennent dans le cours du récit. La femme d'un haut fonctionnaire parisien souffre en effet d'hallucinations terrifiantes et de troubles de la mémoire de plus en plus marqués. Elle devient incapable de reconnaître certains visages (même celui de son époux), mais par contre en reconnaît d'autres. Volontaire et tenace, en consultant des spécialistes et une psychanalyste, elle entreprend de décrypter ce qui lui paraît être très vite autre chose qu'une perturbation physique ordinaire. Le comportement de son mari l'amène à douter de son honnêteté. Un neurologue réputé y joue évidemment le rôle du docteur Frankenstein de service. La manipulation du cerveau semble frôler la science-fiction.

Parallèlement à son aventure, un Commissaire de police enquête sur l'assassinat dans le quartier turc de trois femmes non identifiées, retrouvées atrocement mutilées. Il doit demander l'aide d'un flic naguère implacable, retraité, qui parle turc et a travaillé dans la Petite Turquie parisienne où il connaît beaucoup de monde. Notamment des "obligés", car le policier a mauvaise réputation pour avoir utilisé des méthodes douteuses, voire expéditives. Des liens, des connexions s'établissent entre les deux récits, jusqu'au dénouement final, évidemment inattendu... Anna, qui retrouve petit à petit la mémoire grâce à l'aide d'une psychologue, découvre d'inimaginables révélations sur son passé dans cette quête identitaire, en rapport avec une affaire aux racines historico-politico-criminelles d'actualité. Le roman se passant entre la France et la Turquie, le reporter Grangé a l'occasion de décrire le Paris des ateliers clandestins et des juteux trafics de toutes sortes entre la Gare de l'Est et le Passage Brady, occasion d'évoquer un Paris anatolien souterrain sordide, aux échoppes de couture illicites, contrôlées par les milieux mafieux turcs.

On retrouve dans le roman les précisions scientifiques, les incursion en pays étranger et les tandems de flics comme Grangé les aime, composés d'un naïf et d'un méchant,. L'utilisation des "Loups gris", extrémistes paramilitaires fascistes de Turquie, comme la description du fonctionnement du milieu mafieux turc nous fait entrer dans des domaines de l'histoire contemporaine peu connus. Le jeune policier idéaliste confronté au flic chevronné douteux reprend le motif de subordination rebelle à la figure paternelle du vieux qui a vécu, est revenu de ses illusions, et connaît la réalité des choses cachées : "J'aime l'idée du vieux tourné vers le mal et qui possède des secrets, a déclaré Grangé dans une interview. Qui sait que les fondations sont pourries." Il faut ici rappeler que Grangé n'a pas connu son père : ses parents ayant divorcé avant sa naissance, son père n'avait pas le droit de visite, et n'a jamais été évoqué par sa mère chez lui à Nanterre. De cette absence du père, il a gardé une nostalgie, une "empreinte à l'envers" selon ses termes, qui se retrouve dans ses oeuvres.

L'habitude de Grangé est de nous lancer sur des fausses pistes. Distillant des indices calibrés, il aime entraîner son lecteur sur une multitude de chemins divergents, avant d'éclairer l'unique voie vers laquelle le récit converge. Lorsque le lecteur pense avoir découvert la solution, l'histoire prend une direction inattendue. Grangé ne se soucie pas inutilement de la vraisemblance, et même parfois de la cohérence de l'histoire, dès l'instant où il a su créer la dynamique de sa narration. Un récit qui emporte tout, sans laisser au lecteur l'occasion de réfléchir, une histoire où proies et prédateurs, manipulés et manipulateurs sont continuellement aux prises, dans un climat de terreur, du Xe arrondissement au Bosphore, pour se terminer dans les terres perdues de l'Anatolie. Les effets sont souvent gros, les sévices infligés aux victimes cruels, et la folie latente. Le mystère d'Anna intrigue, et on suit avec empressement sa quête. L'absence de cohérence s'évanouit provisoirement devant les explications impétueuses de l'auteur qui s'évertue à justifier sa mise en scène. "Tout est possible. Nous sommes dans une histoire de cinglés", déclare un des personnages du livre. Dès la première page, Grangé captive le lecteur, dont l'attention ne se relâche pas jusqu'à la dernière. Les informations qu'il a rassemblées pour ses reportages sont utilisées de manière astucieuse, mêlant fiction et géopolitique, extrapolation et faits réels, intrigue policière et science de pointe, dans une relation riche en rebondissements, accumulant meurtres, mutilations, manipulations, poursuites infernales. Le final hallucinant révèle l'animal sauvage qui sommeille dans nos contemporains à apparence civilisée, et correspond bien à l'esprit de l'époque, où les manipulations biologiques de toutes sortes, les armes secrètes, une certaine folie meurtrière semble régner à nouveau en maîtres : "Quand j'ai commencé à écrire, je savais que j'allais aborder la mort. Je n'ai jamais pu digérer la violence humaine, les pulsions de destruction", a déclaré l'auteur dans une interview.
Suspense savamment dilué, rebondissements imprévisibles, polar scientifique, polar classique, reportage politique, l'ensemble forme un cocktail détonant, aux pièges complexes pas toujours bien dénoués, pour des lecteurs consentants et acquis d'avance. Une grosse mécanique aux effets percutants, une histoire narrée avec un style efficace et attentif aux détails. Car Grangé est un travailleur appliqué, à la discipline monacale, qui ne fume pas, ne boit pas, et sort peu. Levé le matin à cinq heures pour une journée d'écriture de huit-dix heures, il dit y avoir trouvé le bonheur de raconter des histoires qui marchent, réalisant ainsi un vieux rêve, l'espérance de pouvoir recréer les pulsions des auteurs qu'il apprécie, Ellroy pour la violence, Martin Cruz Smith pour la finesse. Il est capable de reprendre plusieurs fois le même passage : "
Je peux travailler 30 à 40 fois le même chapitre jusqu'à ce que je trouve la bonne fluidité", explique-t-il dans une interview. Auteur consacré à 41 ans, il consacre actuellement ses journées à son prochain roman, Sang-Noir, et à une trilogie qui constituerait une sorte de remontée vers les origines du mal, le voyage initiatique d'un journaliste guidé par un tueur. Il lui faut deux ans pour écrire un roman.

Roland Ernould
© avril 2003

La quatrième de couverture :
Tout avait commencé avec la peur. Tout finirait avec elle.
"Un auteur vraiment inspiré." The Gardian.
"Grangé est redoutable. Je l'ai adoré." Anita Brooker, The Spectator.
"Les livres de Grangé vous saisissent dès la première page, vous bousculent, vous chavirent, vous engloutissent... des histoires fascinantes servies par une imagination fiévreuse et l'ardeur d'une écriture inspirée." Le Monde.
"Une oeuvre qui défie la critique, la logique, le vraisemblable... Vive la France!" The Washington Post.
Présentation de l'éditeur :
Femme d'un haut fonctionnaire parisien, Anna souffre d'amnésie, d'hallucinations terrifiantes. Une psychiatre lui révèle alors qu'elle a subi une opération de chirurgie esthétique importante. Quand, où, pourquoi, de cela Anna ne se souvient pas...
Dans le X
e arrondissement de Paris, deux policiers sont chargés d'élucider les meurtres particulièrement horribles de trois Turques qui travaillaient dans les ateliers clandestins. L'un est un jeune inspecteur quasi débutant, l'autre un vieux routier du district, arraché à sa retraite.
Au coeur de l'enquête, "les loups gris", une organisation turque d'extrême droite, mêlée à tous les trafics, des tueurs impitoyables. Leur piste va croiser celle d'Anna qui, petit à petit, retrouve son passé dans les lambeaux de sa mémoire.
Un chassé croisé sanglant, plein de bruits et de fureur, où proies et prédateurs, manipulés et manipulateurs se confondent dans les décors funèbres d'un Paris secret et d'un Istanbul de terreur, jusqu'aux confins perdus de l'Anatolie.
Un thriller "à la Grangé" qui combine polar scientifique, polar classique et suspense politique dans un cocktail de terreur époustouflant
.

Site : www.jc-grange.com

Jean-Christophe Grangé est né en 1961 à Paris. Après une maîtrise de lettres à la Sorbonne, il devient rédacteur publicitaire, puis travaille pour une agence de presse. A partir de 1989, il est reporter free-lance, travaillant pour des journaux et magazines variés et internationaux, parmi lesquels Paris-Match, le Sunday Times ou le National Geographic (Prix Reuter et Prix World Press).
En 1994, il commence sa carrière littéraire avec
Le Vol des Cigognes, roman qui passe inaperçu aux yeux du public, mais qui est remarqué par la critique pour son imagination fertile. Les rivières pourpres connaîtra en 1998 un large succès et assurera à Jean-Christophe Grangé la célébrité. En 2000, Le Concile de Pierre est moins bien accueilli.
Jean-Christophe Grangé a réalisé le scénario du film
Les Rivières Pourpres (Mathieu Kassovitz, 2000), et le scénario original de Vidocq (Pitof, 2001).

Le Vol des Cigognes, Albin Michel 1994. L. d. P.

Reportages utilisés pour ce roman :
- Calcutta, Capitale de l'enfer, 1990. Portrait d'une ville en déroute
-
Voyage d'automne, la migration des cigognes, 1991. À l'origine d'un documentaire de 52 minutes, réalisé par Antoine de Maximy en 1998.
Le Vol des Cigognes se termine à Calcutta. Jean-Christophe Grangé connaît bien cette ville depuis son reportage et il écrit d'ailleurs, en début de dernière partie de son roman : "Seul l'enfer croupissant de la ville indienne offrait un conte assez noir pour accueillir les ultimes violences de mon aventure".

Quatrième de couverture :
Un ornithologue suisse est trouvé mort d'une crise cardiaque... dans un nid de cigognes. Malgré cette disparition, Louis, l'étudiant qu'il avait engagé, décide d'assumer seul la mission prévue : suivre la migration des cigognes jusqu'en Afrique, afin le découvrir pourquoi nombre d'entre elles ont disparu durant la saison précédente...
Parmi les Tsiganes de Bulgarie, dans les territoires occupés par Israël, puis en Afrique, Louis court d'énigme en énigme et d'horreur en horreur : observateurs d'oiseaux massacrés, cadavres d'enfants mutilés dans un laboratoire... Les souvenirs confus de son propre passé - ses mains portent des cicatrices de brûlures depuis un mystérieux accident - se mêlent bientôt à l'enquête. Et c'est au coeur de l'Inde, à Calcutta, que surgira l'effroyable vérité...
Suspense, imagination, vérité documentaire : ce thriller captivant, véritable coup de maître, est le premier roman de l'auteur du best-seller "Les Rivières pourpres"
.


Rivières Pourpres, Albin Michel 1997. L. d. P.

Reportage utilisé pour ce roman :
- Le piège de cristal, 1993. Au Groenland, des glacionautes à 170 m sous la glace. Utile à Jean-Christophe Grangé pour décrire la descente en rappel de Pierre Niémans et Fanny Ferreira dans la crevasse du cirque de Vallernes.

Quatrième de couverture :
Un cadavre, horriblement mutilé, suspendu entre ciel et terre dans les montagnes de la région grenobloise. Une tombe, celle d'un petit garçon, mystérieusement «visitée» pendant la nuit, cependant que les dossiers le concernant disparaissaient de son école. Deux énigmes, que vont s'attacher à résoudre deux flics hors normes : Pierre Niémans, policier génial, dont les méthodes peu orthodoxes ont compromis la carrière. Et Karim Abdouf, l'ancien délinquant devenu flic, dont la couleur de peau et les dreadlocks suscitent plutôt la défiance dans le trou de province où on l'a nommé... Les deux affaires vont se rejoindre, et les deux hommes se reconnaître. Ensemble, ils vont remonter vers le terrifiant secret des rivières pourpres. Un secret qui ne nous sera livré qu'aux dernières pages de ce thriller.


Le Concile de Pierre, Albin Michel 2000. L. d. P.

Reportages utilisés pour ce roman :
- Nomades, les passagers de la terre, 1994. Les derniers peuples nomades. En Mongolie, près de la frontière de la Sibérie, Jean-Christophe Grangé a côtoyé une petite tribu qui abrite encore des chamanes adeptes de magie. Cet épisode se retrouve tout naturellement dans le plus fantastique de ses romans.
-
Les médecines du mystère, 1994. Hypnose, magnétothérapie, acupuncture, médecines parallèles
Des techniques de médecine utilisées dans Le Concile de Pierre.
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Le voyage fantastique, 1993. Le corps humain en 3D. La scène de l'autopsie en 3D du corps de Rolf van Kaen, dans le Concile de Pierre, s'inspire manifestement de ce reportage.

Quatrième de couverture :
Un enfant venu du bout du monde dont le passé mystérieux resurgit peu à peu. Des tueurs implacables lancés à sa poursuite. Une femme prête à tout pour le sauver. Même au prix le plus fort. Un voyage hallucinant jusqu'au coeur de la taïga mongole. Là où règne la loi du Concile dé pierre: celle du combat originel, quand l'homme, l'animal et l'esprit ne font plus qu'un. Tous prêts à l'apocalypse.
Avec ses deux premiers romans, Jean-Christophe Grangé avait déjà stupéfié jusqu'aux plus grands maîtres américains (450 000 exemplaires vendus en France, 20 traductions dans le monde entier) et provoqué l'enthousiasme des cinéastes : productions internationales et budgets records pour les adaptations des Rivières pourpres et du Vol des cigognes.
Le Concile de pierre va encore plus loin. Il «explose» littéralement les limites du thriller traditionnel.

 

L'Empire des Loups

Reportages utilisés pour ce roman :
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Les enfants de la mafia, 1993.
Le reportage qui a donné des informations sur les méthodes de la mafia.
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Voyage au centre du cerveau, 1994. La cartographie du cerveau.
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Cap sur l'Homme bionique, Les systèmes informatiques intégrés au corps humain.
Informations utilisées pour L'Empire des Loups.


Ses projets :

Sang Noir mettra en scène"Un tueur qui, depuis sa prison, va guider un journaliste à travers l'Asie du Sud-Est pour que le journaliste découvre peu à peu non seulement les corps des victimes, mais aussi la nature de la folie du meurtrier, indécelable au départ. Ça parlera de sang noir..." (interview réalisée par Bernard Lehut).
Jean-Christophe Grangé a par ailleurs confié au Figaro Magazine (samedi 11 janvier 2003) qu'il avait "
un projet de trilogie qui constituerait une sorte de remontée vers les origines du mal. Le voyage initiatique d'un journaliste guidé par un tueur".

Roland Ernould © 2003

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