Après Critique de la science-fiction et Critique du fantastique et de l'insolite, Goimard nous propose maintenant ses réflexions sur la fantasy et le merveilleux. Comme pour les deux premiers, une équipe a travaillé au regroupement de ces nombreux textes épars, publiés dans Fiction, Le Monde, diverses revues de cinéma, ou encore dans Métal hurlant où Goimard a travaillé avec Philippe Manoeuvre. On doit à ce dernier, devenu son ami, la préface du livre, intéressante dans la mesure où elle évoque un Goimard familier peu connu, par exemple l'amateur de rock dont il tint un moment une rubrique. Opportunément appelé Univers sans limites, l'ensemble en est maintenant à son troisième gros volume, en caractères aussi serrés que les précédents. Ce recueil ne ressemble cependant pas aux deux autres, même s'il comporte comme eux de nombreux textes critiques. Car il propose aussi des nouvelles de Goimard inconnues, un scénario de film, des écrits promotionnels réactualisés. Et surtout, il contient plusieurs textes nouveaux que Goimard a dû écrire dans un souci de synthèse pour compléter l'architecture de l'ensemble, qui lui paraissait un peu lacunaire.

Deux parties (sur quatre) sont consacrées au merveilleux et à la fantasy, et l'on se souvient que Goimard a été un directeur de collection attentif à ces deux territoires aux limites indécises. Sans entrer dans les détails (l'auteur consacre un texte inédit de soixante pages sur la fantasy !), résumons en rappelant que le sentiment du merveilleux est lié à un double effet de stupeur et d'enthousiasme que les contemporains associent aux fictions sidérantes qui les sortent totalement des aléas de leur vie quotidienne : " Le merveilleux est un élément de haute importance pour la culture du petit enfant et des peuples primitifs. Il participe au matin de l'être et d'une civilisation des commencements. " Au cours de l'histoire, les sociétés n'ont cessé de demander, voire de fabriquer du merveilleux. On le trouve dans plusieurs genres issus de la littérature orale : le mythe, la légende (et l'épopée qui en est le prolongement), le conte merveilleux... Forme la plus radicale de la figure connue sous le nom d'amplification, le merveilleux a inspiré quelques auteurs majeurs de notre littérature, comme Racine, Hugo ou Zola.

La fantasy est un genre littéraire récemment constitué puisque ses règles n'apparurent qu'après 1960, pour se diversifier en plusieurs orientations. Parcours obligé, les auteurs devaient créer un univers complet comme celui de Tolkien, avec sa géographie cartographiée, son histoire (sa chronologie, des arbres généalogiques), fournir des explications pour justifier l'efficacité de la magie dans des mondes souvent régressifs. Certains auteurs se mirent à camper des figures de jeunes barbares opposés à des civilisés décadents. Les écologistes à la suite de Tolkien créèrent plutôt des communautés de petits peuples variés coexistant dans une nature accueillante, utilisant des énergies douces. Champions de ces communautés en danger, les personnages principaux menaient une quête initiatique soit pour devenir magiciens, soit en conduisant la lutte contre les forces de la magie noire. Ou encore ils essaient de restaurer l'ordre du monde menacé par un mauvais dieu. Sous des aspects ludiques, d'autres cherchent la réalisation d'une utopie menacée par les démons de la technique. Certains romanciers mettent en scène des histoires de fins du monde, amenées par sa pollution. À leur tour, des romancières prennent goût à ce genre ouvert au merveilleux, dont le lectorat se féminise. Plus étonnant, Goimard note que les amateurs de science-fiction, qui se sont plaints de longues années du mépris qui entourait leur genre, se mettent à mépriser les amateurs de fantasy...
Deux autres parties sont consacrées à l'image et au cinéma, pour lesquels Goimard a connu une période de passion quand il était étudiant. Il fréquenta aussi bien la cinémathèque que les cinémas de quartier, les cinémas belges et les salles des Champs-Élysées, en attendant les salles de projections privées. Il a publié une chronique régulière dans Fiction consacrée au fantastique et au merveilleux. Il en a gardé quelques textes, les plus significatifs pour lui parce qu'ils sont les reflets des émois qu'il a éprouvés en découvrant le cinéma légendaire anglo-saxon et dans le péplum. Goimard reconnaît que s'il présente ces textes comme fondateurs, cette position toute personnelle n'engage que lui. Très variée, l'autre partie consacrée à l'image comprend des considérations sur un peintre, Siudmak, qui a illustré les couvertures de la collection dont Goimard était le directeur, et qui est devenu son ami. Des articles sont proposés sur les merveilleux exotique, préhistorique, archéologique, politico-touristique... À déguster le savoureux "rapport moral au centre d'études des coins de l'écran "; (sic) où Goimard donne des conseils pour exploiter au mieux le trésor d'images que seraient les coins d'écrans des films pornographiques, où, selon lui, l'amateur aurait de savoureuses trouvailles à faire s'il n'avait pas les yeux fixés sur le centre de l'écran...

Goimard n'est pas seulement un théoricien soucieux d'ordonner un genre chaotique. Il ne se limite pas à classer la matière disponible en deux parties : le merveilleux et les genres traditionnels qui lui sont associés ; la fantasy et ses dizaines de variantes, dont il fournit les clés. C'est aussi un critique qui produit une réflexion personnelle, vit relationnellement avec les textes. Il prévient de sa partialité à l'égard de certains d'entre eux, qu'il n'a pu se résigner à abandonner à l'oubli. Ils doivent être pris comme autant de témoignages de son parcours même quand, il l'avoue, avec le recul, ils lui paraissent naïfs.

Dans ce vaste champ du merveilleux et de la fantasy, il faut picorer les nourritures gourmandes que Goimard a étalées partout, en passant de l'Atlantide à Hercule ou Flash Gordon, à des considérations sur La Bible et le merveilleux chrétien, nous faisant hésiter entre Tolkien et un film de Bunuel, aller de Superman à l'essai de Vladimir Popp sur le conte, flâner de la licorne à Ténébreuse. ..
La couverture de ce recueil, d'une érudition remarquable, est un autre hommage rendu à Siudmak. Comme ceux précédemment parus, ce livre est un outil de travail indispensable, et l'on attend avec impatience le dernier volume de la collection, Critique des genres. Plusieurs index en facilitent la lecture : noms des auteurs, acteurs, personnes célèbres, personnages de fiction ; des noms de lieux, sociétés et événements ; des thèmes et mots clés ; des titres de romans, nouvelles, essais, revues et films. Livre indispensable, comme ses frères, qu'on aura sous la main constamment.

La quatrième de couverture :
Le merveilleux éclairait les visages des primitifs ; il se reconnaît encore quelquefois sur les mines des petits enfants ; mais bientôt tout sera dit, et nous serons à jamais sérieux, ironiques et malheureux. Nous tolérons que le merveilleux inspire des études savantes aux ethnologues, théoriciens de l'enfance ; mais les surréalistes, qui le traquaient dans leurs poèmes, devaient bien être un peu fous, non ? Et la fantasy d'aujourd'hui, avec son bric-à-brac surnaturel, n'est-elle pas un genre débile ? Dans ce volume Jacques Goimard traite le merveilleux avec émerveillement et la fantasy avec davantage de fantaisie que ce qu'il se permet ordinairement. Pensez donc, il ose comparer Le Seigneur des Anneaux à Loft Story ! S'il est vrai que la philosophie naît de l'étonnement, les lecteurs de cet ouvrage sont promis à une belle carrière d'intellectuels...

Roland Ernould 2003

Jacques Goimard, né en 1934 à la Couronne, près d'Angoulême, est ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé d'histoire ; il a enseigné l'histoire du cinéma à l'université de Paris I et parallèlement, les littératures marginales à l'université de Paris VII.

TABLE DES MATIÈRES

Préface de Philippe Manoeuvre
Remerciements
Introduction

CHAPITRE I - UN EFFET : LE MERVEILLEUX

I. Histoire du merveilleux
II. Pour une définition
III. De l'effet merveilleux aux genres merveilleux

CHAPITRE II - LA TRADITION ET SES GENRES

I. Le mythe
1 - L'Atlantide selon Platon
2 - Mythe et science-fiction

II. La légende et l'épopée
1 - L'épopée, art d'images
2 - La Jérusalem délivrée du Tasse

III. Le conte merveilleux
1 - Propp
2 - Un conte-robot
3 - Le recueil d'Afanassiev

CHAPITRE III - L'IMAGINAIRE DANS LE PEPLUM .

I. Une tradition de la culture italienne
Coup d'oeil sur les revues

II. Hercule et la mythologie gréco-latine
Hercule à la conquête de l'Atlantide: Néo-mythologisme et paléo-science-fiction
Hercule contre les vampires: L'aube du roco-cosmique

III. Retour à Hésiode?
Les Titans: Place aux barbus!

IV. Maciste et la mythologie syncrétique
Trois petits Maciste
Le Géant à la cour de Kublaï Khan
Maciste, l'homme le plus fort du monde

V. Conclusion: Petit vade-mecum du peplocole amateur

CHAPITRE IV - MYTHES ET LÉGENDES DU CHRISTIANISME.

Quelques réflexions sur Bunuel et le christianisme (à propos de « Simon du désert») La Bible vue par John Huston

CHAPITRE V - PRÉSENTATION DU GENRE

I. Les univers de la fantasy

II. Court panorama historique

III. L'effet fantasy

IV. Le merveilleux dans le roman: le cas Barjavel

1 - La surprise et la grâce
2 - La sibylle
3 - La comédienne
4 - La licorne
5 - La fée
6 - La merveille généralisée

CHAPITRE VI - LA LOW FANTASY

CHAPITRE VII - LA SCIENCE-FANTASY

1. Edgar Rice Burroughs
Le grand Burroughs, c'est-à-dire Edgar Rice
Bon sauvage ou homme-dieu?
Le développement de la science-fiction d'aven--
tures

II. Flash Gordon Burroughs Jack Vance Howard Conan Tolkien et le temps
Conan
Flash Gordon, un mythe de notre temps
Flash Gordon : Trente ans d'épopée

III. Jack Vance et les chevaleries galactiques
Deux petits-fils de Guillaume d'Ockham
Derrière le fétiche, le néant
IV Épanouissements
Farmer et les jeux enfantins des hommes dieux
La forteresse perdue de Nathalie Ch Henneberg
Autres chevaleries galactiques : Les croisés du
cosmos de Poul Anderson

CHAPITRE VIII - LES SUPERPOUVOIRS
Superman, la BD

CHAPITRE IX - L'HEROIC FANTASY

1. Robert E Howard
Conan : le mythe vivra!

2. Au fil des générations : le cas Zelazny, entre l'heroic fantasy et la science fantasy
L'île des morts, de Roger Zelazny
Zelazny et l'éternité
3 - La comédienne
4 - La licorne
5 - La fée
6 - La merveille généralisée

CHAPITRE X - LA HIGH FANTASY : TOLKIEN

Le seigneur des lofts
Le hobbit
Du Seigneur des anneaux à la planète des singes
Un tableau : l'histoire d'Arda
Tolkien et le temps

CHAPITRE XI - LE JEU DE RÔLES ET LA GAMES FANTASY
(OU « LUDIC FANTASY »)

1 - L'aventure de TSR
2 - FASA, chroniques d'une supernova
3 - Envoi
4 - Annexes

CHAPITRE XII - LA ROMANTIC FANTASY

I. Marion Zimmer Bradley
La reine de jaune vêtue
La déesse-mère de Ténébreuse

II. Un univers partagé : Les Chroniques de Ténébreuse
1 - Le cycle des légendes
2 - Les Âges du Chaos
3 - Les cent Royaumes
4 - Les Amazones Libres
5 - Le Temps des Comyn ; l'Empire Débarque
6 - L'alliance : la fin des temps Comyn

III. Anne McCaffrey : Portrait de dame avec dragon

CHAPITRE XIII - LA LIGHT FANTASY :

Piers Anthony : rêver le rêver le cosmos et le protéger
La forêt où tout le monde est génial
Le roi et l'illettré
La source de magie

CHAPITRE XIV - STAR WARS
Aux sources de la saga : un cycle de science fantasy et de superpouvoirs

1 - Le conte merveilleux
2 - L'épopée
3 - La mythologie
4 - L'histoire contemporaine
5 - La théologie
6 - La réconciliation
Les mythes ne meurent jamais

I. CHAPITRE XV - Au cinéma, le merveilleux généralisé

I. Merveilleux classique
Les Grands-Bretons en quête de péplums

II. Merveilleux exotique
King Kong : un précis du sublime'
Cooper et Schoedsack : une longue complicité

III. Merveilleux préhistorique
Un million d'années avant Jésus-Christ

IV. Merveilleux archéologique
Atlantis, terre engloutie

V. Merveilleux politico-touristique
Docteur No : Tarzane et les dragons d'eau douce

VI. MERVEILLEUX ÉROTIQUE
Rapport moral au Centre d'études des coins de l'écran
VII. Le merveilleux nouveau est arrivé
Dark Crystal, Tygra

CHAPITRE XVI - BANDE DESSINÉE : LE MERVEILLEUX MODERNE

I. Forest, lecteur de Lewis Carroll
Barbarella dans V Magazine : le temps des coquins
Barbarella chez Losfeld : la déesse-fille
Barbarella selon Roger Vadim : le film

II. Druillet, lecteur de Moorcock
Lone Sloane par Philippe Druillet
Les Six Voyages de Lone Sloane, de Philippe Druillet
Druillet le visionnaire

III. Moebius, lecteur de Farmer
Major fatal

CHAPITRE XVII - UN PEINTRE : SIUDMAK

I. Cinq étapes sur la voie du merveilleux : préfaces pour les amateurs d'art
1 - Définir l'art de Siudmak
2 - L'homme qui fait exister l'impossible
3 - Notes pour un hymne à la joie
4 - Soulever le voile du rêve
5 - Renaissances, révolutions

II. Mémos pour l'illustrateur
Comment Hypérion devint image

III. Une enquête : Siudmak devant la nouvelle génération

APPENDICES ET PIÈCES JUSTIFICATIVES

Les viles aventures de Conic le capon
Souvenirs de leur expédition à Nancy (1631)

Index des noms d'auteurs, acteurs, personnes célèbres, personnages de fiction
Index des thèmes et mots clés
Index des titres de romans, nouvelles, essais, revues et films
Index des noms de lieux, sociétés et événements
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