Alexandre Dumas,
Histoire d'un
mort racontée par lui-même
anthologie
présentée par Guy Astic
Éditions du Seuil, Points
Virgule, 2002.
Ce recueil de textes d'un auteur dont
on va célébrer dans quelques mois le bicentenaire de sa
naissance excitera l'intérêt pour au moins deux raisons.
La première est de nous rappeler que Dumas n'est pas seulement
l'auteur de théâtre oublié et surtout un
prestigieux romancier d'aventures. Le Dumas auteur fantastique et de
terreur mérite d'être mieux connu1. Le propos de ce livre est d'y contribuer en
proposant aux lecteurs des textes variés, courts ou extraits
de romans, dont les éditions ne sont guère accessibles.
D'autre part, les textes de Dumas ont été
regroupés en fonction d'une focalisation originale : nous
donner l'image d'un esprit vraiment avancé pour son temps,
d'un Dumas aussi humain que peut l'être Victor Hugo.
Les écrits fantastiques de
Dumas se ressentent des mouvements occultistes du début du
XIXème siècle qui s'opposent au développement de
l'esprit scientifique et au «positivisme« qui en
résulte. En France comme en Allemagne, l'irrationnel est
prêché avec une sensibilité différente
liée au romantisme donnant une nouvelle perception du monde.
Hugo, Nodier, Balzac, Nerval ont été marqués par
ce courant, comme Dumas2. Dans l'extrait de Les Mille et Un Fantômes 3 qui nous est proposé, un médecin est
longuement opposé à partisan du surnaturel qui se
double d'un expérimentateur, comme le faisaient les
occultistes de l'époque. Les références à
Hoffmann sont fréquentes, et Astic propose des rapprochements
pertinents avec Edgar Poe, écrivant à la même
époque.Comme lui, dans Histoire d'un mort racontée à
lui-même, Dumas est
fasciné par ce qui se passe après la mort et
attiré par les impressions qui peuvent naître d'un tel
passage. L'enterrement d'un vivant ou ce qui se produit dans les
parties séparées du corps lors d'un crime ou
institutionnellement par la guillotine suscitent des
réflexions renouvelées. L'animation de la mort stimule
Dumas. Dans les nouvelles d'horreur comme Le Quarantième Ours, les morts-vivants ou fantômes ne sont
pas nécessaires, la cruauté froide et suffisante d'un
père tuant un fils peureux est renforcée par une
narration impassible. D'autres récits, caustiques ou
poétiques, témoignent de l'ampleur du registre de leur
auteur.
On ne peut pas dire que ces
récits, dans leur traitement littéraire, apportent
beaucoup à l'évolution du fantastique. Les enfants que
Dumas fait au genre sont bien plus chétifs que ceux qu'il a
faits à l'histoire... Le fantastique de Dumas est daté,
marqué par la mode hoffmannienne des années 1830-40.
L'auteur est un peu confus et lourd par moments, n'a pas le brillant
pas de Nodier4, sa forme n'est pas toujours très
étudiée. Mais ces textes se lisent avec agrément
parce que Dumas a gardé du théâtre le goût
de la mise en scène et des événements
imprévus. Quoique leur mouvement et leur vivacité
soient de temps en temps malheureusement freinés par des
dialogues qui ne figurent pas là uniquement pour le suspense,
mais sont le produit d'une déformation
professionnelle5. Dans ces textes courts, ces passages sont heureusement
peu nombreux.
Dumas a une réputation de
prodigalité qui se justifie par la flamboyance de sa vie,
l'ampleur de ses dépenses, mais on sait moins qu'il est aussi
l'homme des générosités humaines,
inséré dans son temps qu'il vit avec la même
passion que sa vie personnelle. À moins de trente ans, il fait
le coup de feu sur les barricades lors des Trois Glorieuses de
juillet 1830, lors de la publication des ordonnances (dont une
renforçant la censure) qui amenèrent au pouvoir
Louis-Philippe. Démocrate libéral, il espérait
jouer un rôle politique en remplissant des missions diverses,
mais sans succès. Dès lors, en parallèle avec
l'écrivain socialiste Eugène Sue, il charge ses romans
d'idéologie, dénonce les «méchants»
qui ont construit leur carrière sur la fin de la
Révolution et le chute du premier Empire. Le comte de
Monte-Cristo se confond avec son auteur, vit comme lui sous la
Restauration une société où la voie est grande
ouverte aux gredins sans scrupules. La condamnation de Dantès
n'est pas le résultat d'une erreur judiciaire, mais le
résultat d'un complot conduit par des canailles qui gravissent
peu à peu les plus hautes positions sociales. De la fuite
à Bruxelles (il échappe aussi à ses
créanciers, il faut bien le signaler) quand Napoléon le
Petit prend le pouvoir, jusqu'à l'aide apportée au
révolutionnaire italien Garibaldi, Dumas sera du
côté des généreux6 .
Guy Astic a choisi ces textes pour
nous donner un éclairage complémentaire, qui fera
qu'après la lecture de ce recueil, le nom de Dumas restera
associé à celui d'un combat permanent contre la peine
de mort ou le crime, la guillotine comme l'infanticide, l'assassinat
conjugal comme le crime politique. L'authenticité de ses
indignations n'est pas contestable, et les textes s'étendent
de 1844 à 1961, la période de maturité de Dumas,
moment où il va participer à l'entreprise de Garibaldi,
son héros et ami. Comment mieux réunir fantastique et
respect/mépris de l'humain que dans ce dialogue entre le
narrateur et le valet du bourreau qui a giflé la tête
décapitée de Charlotte Corday : " - Mais, lui
dis-je, vous n'avez donc pas compris qu'il y a presque un crime dans
cette violation du respect dû à un mort? - Ah,
ça! me dit Legros en me regardant fixement, vous croyez donc
qu'ils sont morts, parce qu'on les a guillotinés, vous? - Sans
doute. - Eh bien, on voit que vous ne les voyez pas dans le panier
quand ils sont là ensemble; que vous ne les voyez pas tordre
les yeux et grincer des dents pendant cinq minutes encore
après l'exécution. Nous sommes obligés de
changer les paniers tous le trois mois, tant ils en saccagent le fond
avec les dents. C'est un tas de têtes d'aristocrates,
voyez-vous, qui ne veulent pas se décider à mourir, et
je ne serais pas étonné qu'un jour quelqu'unes d'elle
se mît à crier : «Vive le
roi!»" (140/1)
Son champ de contestation n'est pas
aussi étendu que celui de Victor Hugo, un écrivain
vraiment engagé se déployant dans tous les domaines
où la liberté et les possibilités d'instruction
sont menacées. Dumas est nettement en retrait par rapport
à ce modèle. À l'arrivée de l'Empire, il
fuit à Bruxelles pour échapper à ses
créanciers autant que par opposition, et il revint très
tôt, alors qu'Hugo s'infligea un exil de vingt ans.Il y a aussi
des points d'ombre concernant ses rapports avec
l'argent7. Mais l'utilisation du fantastique sert ici une cause
évidente, en dénonçant une opposition à
la peine capitale qui n'a trouvé en France une solution que
récemment, et qui a encore cours dans la plupart des pays du
monde.
Non seulement ce recueil nous donne ou nous remet en mémoire
des faits concernant Dumas, mais encore il nous en montre un aspect
humain négligé. Le lecteur appréciera ces textes
oubliés, qui sont intelligemment présentés, de
leur date de parution à l'analyse du contenu aussi bien
littéraire que philosophique. La préface, brillante,
est centrée sur la formule qui correspond le mieux à la
personnalité de ce flambeur : l'immobilité, c'est la
mort.
La
quatrième de couverture :
En marge des
récits de cape et d'épée, la plume d'Alexandre
Dumas trempe ici dons l'encre d'un genre inattendu: le fantastique.
C'est la Terreur, et Dumas avertit son lecteur: «vous permettrez
que, lassé de ce que je vois passer tous les jours dans le
monde réel, j'aille chercher mes récits dons le monde
imaginaire». Et les corps démembrés de se mettre
à bouger, les têtes décapitées de
parler... Inquiétantes et fascinantes: autant d'histoires
à foire frémir, autant de nuits blanches garanties,
hantées par l'ombre d'un Dumas en révolte contre les
injustices de son temps.
Huit nouvelles présentées par Guy Astic.
Alexandre Dumas
(1802-1870), le maître du roman de cape et
d'épée est l'auteur de plus de cent romans et
pièces de théâtre qui ont donné
lieu de nombreuses adaptations cinématographiques :
Les
Trois Mousquetaires,
Le Comte
de Monte-Cristo,
La Reine
Margot.
Guy Astic
est maître de conférences à
l'université de Nice et rédacteur en chef de
la revue Simulacres, consacrée au cinéma
fantastique. Il prépare un doctorat de
littérature comparée sur Les mouvances du
roman moderne européen. Passionné de fantastique, il collabore
à un grand nombre de revues universitaires ou grand
public. Il publie Relic,
le bulletin des amis du CERLI. Il a lancé fin 1999 la
revue Simulacres, revue d'esthétique du
cinéma. (Au
sommaire du #1 un dossier Stephen King).
Il a publié un livre sur Le Fantastique et a coordonné un collectif,
Stephen
King, premières approches, éd. du Cefal, 2000. Infos.
|
Table des matières :
Introduction, 7
Histoire d'un
mort racontée par lui-même, 17
Les Bonnets de
coton, 49
Les Mille et Un
Fantômes, 65
Les Mariages du
père Olifus, 175
Le
Quarantième Ours, 197
Une
légende de la forteresse de
Saint-Pétersbourg, 205
Les
Étoiles commis voyageurs,
233
Désir et
Possession, 257.
Notes:
1 Par exemple, on ne trouve pas de textes fantastiques de
Dumas dans les anthologies générales récentes,
comme La Grande Anthologie du
fantastique, de Jacques
Goimard et Roland Stragliati, 3 volumes, Omnibus, 1996/97 ou
Les Maîtres de
l'étrange et de la peur, de l'abbé Prévost
à Guillaume Apollinaire, anthologie établie par Francis Lacassin,
Laffont, Bouquins, 2000.
2 Des romans, comme Joseph Balsamo,
en sont directement inspirés.
3 Dans Les Mille
et Uns fantômes, divers
interlocuteurs prennent la parole à tour de rôle,
racontant chacun son histoire. La première, reproduite ici,
raconte le cas d'une femme décapitée au sabre par son
mari, dont la tête lui mord lui la main un certain temps
après la décapitation. Le recueil est un
répertoire des motifs fantastiques les plus souvent
rencontrés.
4 Dumas a composé des drames avec Nodier et ils
ont publié en commun des textes dans des anthologies, comme
Les Cent Une Nouvelles des
Cent et un.
5 La parution des romans en feuilletons a souvent
suscité des longueurs, par le désir d'aller à la
ligne et de gagner de l'espace, donc de l'argent pour un auteur qui
en manquait constamment...
6 La pièce de théâtre Les Mohicans
à Paris fut interdite en 1964 par la censure à cause de
ses allusions trop «libérales», comme on appelait
alors les opinions politiques de gauche.
7 Il n'a cessé de ruser avec ses
créanciers, et ses dettes, énormes, dont une grande
partie ne fut jamais remboursée. Il s'est fait construire un
château, bâtir un théâtre personnel, gagna
durant sa vie 18 millions de francs-or, vécut toujours
à court d'argent et mourut à la charge de ses enfants.
Garibaldi l'avait nommé conservateur du musée de
Naples. Il en fut chassé par les Napolitains qui le
considéraient comme un insupportable profiteur.
L'appréciation de Guy Astic sur le conte Les Bonnets de coton prête à discussion : certes Dumas y jette
un coup d'oeil critique sur sa société obnubilée
par le commerce, mais en ce domaine il était fin
connaisseur...
Roland Ernould © 2002
..
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. du site Stephen King
mes dossiers
sur les auteurs
. .
.. .
.. . ..