Pierre Bordage, Les derniers
hommes, 6 épisodes, Librio E.J.L., 2000
Pierre Bordage est un grand. Ce n'est
plus à démontrer. Mais il est bon de le redire.
Il y a quatre ans, les
éditions Librio ont commencé à publier le
roman-feuilleton
La ligne verte de Stephen King.
Le succès phénoménal de la série de six
épisodes, tirée à plus de 1.5000.000 exemplaires
a incité l'éditeur à publier un second
feuilleton, toujours en six épisodes et dans le genre
fantastique, de John Saul,
Les Chroniques de
Blackstone, qui n'a pas
rencontré le même succès. La tentative de Pierre
Bordage est donc la troisième, cette fois dans
le domaine de la science-fiction, pour ressusciter ce genre
défunt, qui semble retrouver ainsi une nouvelle jeunesse. La
parution s'est échelonnée mensuellement de janvier
à juin.
Il n'est pas possible d'entrer dans
les détails des errances de la tribu des Aquariotes, le peuple
de l'eau. Après une troisième guerre mondiale
cataclysmique, chimique, nucléaire et génétique,
ne restent plus que quelques poignées de survivants qui
vivent, mal, de leurs échanges. Chaque groupe a sa
spécialité, nécessité oblige. Rares sont
la nourriture non contaminée, l'eau potable; tout est
pollué, empoisonné. La société des hommes
s'est donc réorganisée autour d'échanges
annuels, les uns apportant de la nourriture saine, d'autres de l'eau
pure, détectée par des sourciers, la
spécialité des Aquariotes. Eau transportée dans
d'énormes camions-citernes de récupération, par
des hommes retournés au nomadisme. Et puis, entre autres, il y
a les vendeurs d'armes...
Car un humaniste comme Bordage ne
saurait se satisfaire d'un riche et prenant récit.
L'humanité n'a malheureusement pas changé depuis
l'Armageddon, et les tribus survivantes continuent à
s'arnaquer et à se déchirer. Chaque peuple sauvegarde
ses intérêts avant tout, rusant pour bafouer les
décisions du Grand Rassemblement des peuples annuel. Les
conflits s'aggravent, menaçant la stabilité collective
relative. Une autre menace se précise, étrangère
celle-là. Une force mystérieuse existe, qui se sert de
certains hommes pour réaliser son dessein, l'extermination des
survivants trop impurs. Les Anges de l'Apocalypse agissent
clandestinement, et la fin de ce qui reste de l'humanité
serait proche, sans la voyance d'un jeune boiteux malingre, Solman,
qui déjouera les desseins de ses adversaires et
empêchera le piège de se refermer, au prix de sa propre
mort.
Très beau récit,
prenant et intéressant par les perspectives
métaphysiques qu'il dégage. La Bible, l'Apocalypse de
Saint Jean, les anges, les 12 tribus, et de nombreux symboles d'une
religion qui n'a pas su imposer ses vues dans le passé,
ressurgissent. Est-il donc impossible d'instaurer une humanité
enfin ouverte à tous?
On se rappellera que Les derniers
hommes sont parus en feuilleton,
genre qui a ses exigences. Bordage ne semble pas s'être
soucié des transitions, que King avait
particulièrement travaillées. Il se borne à
s'arrêter à un endroit crucial du récit, en
jouant sur la typographie des différents épisodes.
L'attente a paru particulièrement longue entre le
troisième et le quatrième épisode, et entre le
quatrième et le cinquième. Le récit est dans la
ligne des romans (on se rappelle la trilogie des Guerriers du
Silence ou Abzalon) : riche en péripéties, rythmé,
direct, sans longueur, parfois déroutant, toujours prenant.
Peu de personnages, mais bien typés et aisément
mémorisables, que l'on retrouve facilement d'un épisode
à l'autre. Solman sort de l'adolescence, avec ses
problèmes sentimentaux, mais surtout l'écrasante
responsabilité de conduire un peuple versatile, qui
tantôt le porte aux nues, tantôt veut le faire
disparaître. Seul à voir les invisibles guerriers de
l'Apocalypse sous leurs apparences humaines, est-il le grand voyant,
ou le détraqué, qui donne à sa tribu des
directives incompréhensibles? On sera sensible à cet
autre être exceptionnel, Kadija la Parfaite, qui vient de ce
monde-autre, envoyée par Benjamin qui pense qu'il y a quelque
chose à retenir des hommes, et qui se retrouve divisée
entre son amour physique pour Solman et la pureté des
préceptes de l'Eskato. Et aussi à la mutante
Raïma, la guérisseuse, atteinte d'une horrible maladie
génétique incurable, ou encore le petit peuple des
camionneurs, avec surtout Moram, réaliste, solide, et
indéfectiblement fidèle à Solman.
Le lecteur passera outre les ficelles
du genre pour se laisser aller à ce qu'il lira maintenant
comme un roman. Pierre Bordage, plusieurs fois primé, a du
souffle et de l'envergure. Et un message, le renoncement aux
comportements destructeurs, aux vieilles croyances, pour s'en
remettre à mère Nature, qui saura bien guérir
les blessures que des inconscients égoïstes lui ont
infligées pour que les hommes puissent retrouver toute la
beauté du monde.
Roland Ernould © 2000
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Né en 1955 en
Vendée, auteur d'une trentaine de romans et de
quelques nouvelles de science-fiction, Pierre Bordage a
connu, en moins de dix ans, une ascension fulgurante.
Lauréat du prestigieux Prix Tour Eiffel dès sa
création en 1997 pour Wang et du Prix Paul Féval de
littérature populaire 1999 pour Les Fables de
l'Humpur, il a su
conquérir un large public grâce à son
talent de conteur et à une thématique à
la fois personnelle et universelle qui en fait un
visionnaire formé par les mythologies. Loin d'une
science-fiction dure ou des mondes cyberpunks, il a
créé un univers personnel où la
spiritualité tient une grande place. Après un
séjour aux USA, il s'est réinstallé
dans la région nantaise, où il écrit un
roman de science-fiction qui s'intitulera Griots
Célestes. Il y
sera question de l'initiation d'un jeune griot, disciple
d'un artiste conteur plus âgé, qui aura fort
à faire pour que jamais les humains qui ont
essaimé à travers l'univers n'oublient leur
histoire et leurs mythes.
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Bibliographie
Note de
lecture L'Évangile du
serpent.
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.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. du site Stephen King
mes dossiers
sur les auteurs
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