Cherchez Viereck dans les
récents guides de lecture Atlas des brumes et des ombres de Patrick Marcel ou dans Critique du fantastique et de
l'insolite de Jacques Goimard et
vous ne le trouverez pas. J'avais vu ce nom dans Le Panorama de la
littérature américaine de Jacques Finné, il y a une bonne dizaine
d'années, et je n'en avais retenu que Viereck, Allemand
émigré aux USA, zélé propagandiste des
théories nazies et emprisonné pendant la guerre,
semblait connu pour une trilogie centrée sur le thème
du Juif errant, rédigée avec l'aide de son ami Paul
Eldridge, une lourde parodie germanique et un monument d'ennui selon
Finné. J'étais passé sur les trois lignes
consacrées à The House of the Vampire (1907), roman ayant comme personnage un vampire
psychique dont Jean Marigny déplorait déjà alors
le peu de succès auprès du public. Marigny y accordait
une bonne place dans son dernier essai exhaustif Le vampire dans la
littérature du XXe siècle. Il nous donne maintenant la traduction du livre de
Viereck, avec une présentation qui situe l'auteur dans la
littérature vampirique.
Le roman est un des tout premiers ouvrages du XXe siècle
traitant du vampire psychique, qui est le plus souvent un homme
apparemment ordinaire. Viereck élargit le mythe de Dracula
avec un vampire qui délaisse le sang, pour se nourrir des
autres par des moyens en apparence plus doux, mais tout aussi
terrifiants. Le sang a symbolisé longtemps la chaleur et
l'essentiel de la vie : perdre son sang, c'était perdre
l'existence. Le sang avait un caractère sacré, et
l'ancienne tradition chaldéenne du sang divin
mêlé à la terre donnant la vie aux êtres a
été reprise dans bien des croyances, et notamment dans
l'eucharistie chrétienne avec la communion par le pain et le
vin, le sang du Christ. Pris pour le principe de la
génération, témoin de la filiation devant rester
pure, appui de serments indestructibles, le sang était aussi
le symbole du courage, de la vaillance. Mais de nos jours, le sang
répandu par le guerrier pour protégeant son peuple ou
sa terre sang a perdu son prestige en faveur de l'intelligence et de
l'esprit. Notamment de l'esprit créatif, non seulement
à l'origine de l'art, mais aussi de la recherche scientifique
et de ses conséquences techniques.
Dans ce roman, le vampire est un littérateur
célèbre qui produit ses oeuvres
appréciées par tous en «pompant»
littéralement ses idées de la tête de jeunes
artistes ou écrivains qu'il héberge provisoirement.
Sous des dehors séduisants, c'est un homme sans scrupules, qui
s'appuie sur les grands créateurs auxquels il veut ressembler,
tout en se justifiant par le fait que l'oeuvre d'art nouvelle se
fonde sur des emprunts aux prédécesseurs. Il est une
variété littéraire du vampire psychique, et
consacre de longs passages à se justifier auprès de ses
victimes, qui ne se rendent pas compte de son action nuisible et
sortent épuisés mentalement de leurs relations avec le
Maître. Sauf un, talentueux et averti, qui se rebellera
après avoir longtemps douté.
Ce roman sur le vampirisme octroie une aussi grande place à la
fonction de l'imaginaire qu'au vampirisme. L'imaginaire sous deux
formes. Sa forme positive et créatrice, la venue de
l'inspiration, son épanouissement dans une vie ordinaire en
proie aux soucis quotidiens, sa labilité, sa tyrannie. Cet
imaginaire noble enrichit d'abord les mondes intérieurs du
créateur comme celui de ses lecteurs ou de ses spectateurs, et
devient ensuite collectif, produit d'une évolution mentale qui
n'est malheureusement pas à la portée de tous les
hommes. L'autre imaginaire, celui qui exprime les passions aveugles
qui nous conduisent, nous entraîne à fabuler, et
à rationaliser ce qui n'existe que dans notre imagination. Il
peut conduire ses visionnaires égarés à la
terreur et à l'holocauste.
On peut contester le fait que Viereck s'appuie sur un fonctionnement
très particulier de la création d'un littéraire
capable de concevoir une oeuvre dans son esprit - une pièce de
théâtre, un roman -) et dans les moindres détails
avant même d'avoir couché une ligne sur le papier. Je
pensais que ce travail mental n'était possible que pour une
oeuvre courte comme un poème : chacun sait que presque tous
les créateurs ont avec eux de quoi noter des idées et
des images qui ne demandent qu'à s'envoler. Admettons le cas
particulier. Une deuxième difficulté naîtra chez
certains de l'âge du roman qui se traduit par une expression
vieillie, une mise en scène paresseuse qui contraste fortement
avec les publications plus récentes, encore que le suspense
n'en soit pas absent. La scène finale, où en quelques
lignes le vampirisé sort de la maison du vampire à
l'état de zombie marque l'esprit. Viereck multiplie aussi des
considérations intellectuelles et philosophiques parfois
dépassées, ce qui ne gênera que les lecteurs
résolument attachés à la littérature
moderne. Il permettra aux autres de goûter des
réflexions sur la création artistique et de se laisser
aller à une autre mentalité maintenant disparue,
désuète mais qui a son charme. Ceux qui ont lu Dracula
ne seront pas dépaysés, d'autant plus que le roman est
court - une bonne centaine de pages. Les amateurs de vampirisme
seront eux comblés par un livre dont ils ne connaissaient
l'existence que par ouï-dire et il faut remercier Jean Marigny
d'avoir pris la peine de le traduire, comme à son
éditeur, petit mais efficace, qui s'efforce de
rééditer des classiques aujourd'hui disparus de nos
bibliothèques.
Roland Ernould © 2003
La quatrième de couverture :
Reginald Clarke, écrivain célèbre, esthète, mécène et homme du monde, aime à s'entourer de jeunes artistes talentueux qu'il dit vouloir aider. Mais que penser de tous ceux qui ont déjà croisé sa route et qui ont tout perdu : inspiration, talent, jusqu'au goût de vivre? Le jeune Ernest Fielding, qui ambitionne de devenir romancier, voue tout d'abord une admiration sans bornes à son mentor. Mais, peu à peu, le doute s'insinue en lui. Reginald Clarke ne volerait-il pas tout simplement l'âme des artistes qu'il héberge? Car comment expliquer autrement que le nouveau roman que Clarke vient de lire devant le petit comité de ses admirateurs correspond, jusque dans ses moindres détails, à l'oeuvre dont Ernest vient tout juste de terminer l'ébauche dans son esprit? Ethel Brandenbourg, l'ancienne maîIresse de Reginald Clarke, est sans doute la seule personne au monde qui connaisse la vérité. Émue par ce jeune garçon dont elle sent qu'il s'est épris d'elle, elle tentera de le soustraire à l'influence de Clarke, et tous deux connaîtront la véritable nature de celui qui habite... la Maison du Vampire. La Maison du Vampire de G.S. Viereck, roman écrit en 1907, est un classique méconnu de la littérature fantastique américaine. C'est pourtant l'un des premiers romans du XX. siècle à aborder le thème passionnant du vampire psychique. Il est traduit et présenté pour nous par Jean Marigny, spécialiste du thème du vampire en littérature.
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