George S. Viereck, La Maison du Vampire

traduit et présenté par Jean Marigny, La Clef d'Argent édit., 2003.

Cherchez Viereck dans les récents guides de lecture Atlas des brumes et des ombres de Patrick Marcel ou dans Critique du fantastique et de l'insolite de Jacques Goimard et vous ne le trouverez pas. J'avais vu ce nom dans Le Panorama de la littérature américaine de Jacques Finné, il y a une bonne dizaine d'années, et je n'en avais retenu que Viereck, Allemand émigré aux USA, zélé propagandiste des théories nazies et emprisonné pendant la guerre, semblait connu pour une trilogie centrée sur le thème du Juif errant, rédigée avec l'aide de son ami Paul Eldridge, une lourde parodie germanique et un monument d'ennui selon Finné. J'étais passé sur les trois lignes consacrées à The House of the Vampire (1907), roman ayant comme personnage un vampire psychique dont Jean Marigny déplorait déjà alors le peu de succès auprès du public. Marigny y accordait une bonne place dans son dernier essai exhaustif Le vampire dans la littérature du XXe siècle. Il nous donne maintenant la traduction du livre de Viereck, avec une présentation qui situe l'auteur dans la littérature vampirique.

Le roman est un des tout premiers ouvrages du XXe siècle traitant du vampire psychique, qui est le plus souvent un homme apparemment ordinaire. Viereck élargit le mythe de Dracula avec un vampire qui délaisse le sang, pour se nourrir des autres par des moyens en apparence plus doux, mais tout aussi terrifiants. Le sang a symbolisé longtemps la chaleur et l'essentiel de la vie : perdre son sang, c'était perdre l'existence. Le sang avait un caractère sacré, et l'ancienne tradition chaldéenne du sang divin mêlé à la terre donnant la vie aux êtres a été reprise dans bien des croyances, et notamment dans l'eucharistie chrétienne avec la communion par le pain et le vin, le sang du Christ. Pris pour le principe de la génération, témoin de la filiation devant rester pure, appui de serments indestructibles, le sang était aussi le symbole du courage, de la vaillance. Mais de nos jours, le sang répandu par le guerrier pour protégeant son peuple ou sa terre sang a perdu son prestige en faveur de l'intelligence et de l'esprit. Notamment de l'esprit créatif, non seulement à l'origine de l'art, mais aussi de la recherche scientifique et de ses conséquences techniques.

Dans ce roman, le vampire est un littérateur célèbre qui produit ses oeuvres appréciées par tous en «pompant» littéralement ses idées de la tête de jeunes artistes ou écrivains qu'il héberge provisoirement. Sous des dehors séduisants, c'est un homme sans scrupules, qui s'appuie sur les grands créateurs auxquels il veut ressembler, tout en se justifiant par le fait que l'oeuvre d'art nouvelle se fonde sur des emprunts aux prédécesseurs. Il est une variété littéraire du vampire psychique, et consacre de longs passages à se justifier auprès de ses victimes, qui ne se rendent pas compte de son action nuisible et sortent épuisés mentalement de leurs relations avec le Maître. Sauf un, talentueux et averti, qui se rebellera après avoir longtemps douté.

Ce roman sur le vampirisme octroie une aussi grande place à la fonction de l'imaginaire qu'au vampirisme. L'imaginaire sous deux formes. Sa forme positive et créatrice, la venue de l'inspiration, son épanouissement dans une vie ordinaire en proie aux soucis quotidiens, sa labilité, sa tyrannie. Cet imaginaire noble enrichit d'abord les mondes intérieurs du créateur comme celui de ses lecteurs ou de ses spectateurs, et devient ensuite collectif, produit d'une évolution mentale qui n'est malheureusement pas à la portée de tous les hommes. L'autre imaginaire, celui qui exprime les passions aveugles qui nous conduisent, nous entraîne à fabuler, et à rationaliser ce qui n'existe que dans notre imagination. Il peut conduire ses visionnaires égarés à la terreur et à l'holocauste.

On peut contester le fait que Viereck s'appuie sur un fonctionnement très particulier de la création d'un littéraire capable de concevoir une oeuvre dans son esprit - une pièce de théâtre, un roman -) et dans les moindres détails avant même d'avoir couché une ligne sur le papier. Je pensais que ce travail mental n'était possible que pour une oeuvre courte comme un poème : chacun sait que presque tous les créateurs ont avec eux de quoi noter des idées et des images qui ne demandent qu'à s'envoler. Admettons le cas particulier. Une deuxième difficulté naîtra chez certains de l'âge du roman qui se traduit par une expression vieillie, une mise en scène paresseuse qui contraste fortement avec les publications plus récentes, encore que le suspense n'en soit pas absent. La scène finale, où en quelques lignes le vampirisé sort de la maison du vampire à l'état de zombie marque l'esprit. Viereck multiplie aussi des considérations intellectuelles et philosophiques parfois dépassées, ce qui ne gênera que les lecteurs résolument attachés à la littérature moderne. Il permettra aux autres de goûter des réflexions sur la création artistique et de se laisser aller à une autre mentalité maintenant disparue, désuète mais qui a son charme. Ceux qui ont lu Dracula ne seront pas dépaysés, d'autant plus que le roman est court - une bonne centaine de pages. Les amateurs de vampirisme seront eux comblés par un livre dont ils ne connaissaient l'existence que par ouï-dire et il faut remercier Jean Marigny d'avoir pris la peine de le traduire, comme à son éditeur, petit mais efficace, qui s'efforce de rééditer des classiques aujourd'hui disparus de nos bibliothèques.

Roland Ernould © 2003

 

La quatrième de couverture :
Reginald Clarke, écrivain célèbre, esthète, mécène et homme du monde, aime à s'entourer de jeunes artistes talentueux qu'il dit vouloir aider. Mais que penser de tous ceux qui ont déjà croisé sa route et qui ont tout perdu : inspiration, talent, jusqu'au goût de vivre? Le jeune Ernest Fielding, qui ambitionne de devenir romancier, voue tout d'abord une admiration sans bornes à son mentor. Mais, peu à peu, le doute s'insinue en lui. Reginald Clarke ne volerait-il pas tout simplement l'âme des artistes qu'il héberge? Car comment expliquer autrement que le nouveau roman que Clarke vient de lire devant le petit comité de ses admirateurs correspond, jusque dans ses moindres détails, à l'oeuvre dont Ernest vient tout juste de terminer l'ébauche dans son esprit? Ethel Brandenbourg, l'ancienne maîIresse de Reginald Clarke, est sans doute la seule personne au monde qui connaisse la vérité. Émue par ce jeune garçon dont elle sent qu'il s'est épris d'elle, elle tentera de le soustraire à l'influence de Clarke, et tous deux connaîtront la véritable nature de celui qui habite... la Maison du Vampire. La Maison du Vampire de G.S. Viereck, roman écrit en 1907, est un classique méconnu de la littérature fantastique américaine. C'est pourtant l'un des premiers romans du XX. siècle à aborder le thème passionnant du vampire psychique. Il est traduit et présenté pour nous par Jean Marigny, spécialiste du thème du vampire en littérature.

 

George Sylvester Viereck (1884-1962), écrivain américain d'origine allemande, s'est installé avec ses parents dès 1895 aux États-Unis. Journaliste, dramaturge, essayiste, poète et romancier, on lui doit dans le domaine de la littérature fantastique, outre La Maison du Vampire, une trilogie écrite en collaboration avec Paul Eldridge sur le thème du Juif errant.

Actuellement retraité, Jean Marigny a été professeur de littératures anglaise et américaine à l'Université Grenoble III où il a dirigé le GERF (Groupe d'Études et de Recherches sur le Fantastique). Il continue à faire partie de son comité de lecture. Outre sa thèse et l'ouvrage aujourd'hui recensé, il a publié deux anthologies, Histoires anglo-saxonnes de vampires (1978) et Vampires : Dracula et les siens (1997) en collaboration avec Roger Bozzetto (note de lecture), et un essai Sang pour sang. Le réveil des vampires, 1993, tiré à 100.000 exemplaires (note de lecture). Il a également dirigé deux ouvrages collectifs, Les vampires (1992) en collaboration avec Antoine Faivre, et Dracula (1997). Il vient de publier Le vampire dans la littérature du XXème siècle, 2003 (note de lecture)

 

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