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Espérez n'être pas
né «ardent». Surtout pas ardent contrarié:
quoi que vous fassiez et quelles que soient vos illusions, votre vie
serait sévèrement contrôlée par des
puissances obscures dont vous seriez le hochet. Vous passeriez, sans
rien y comprendre, des tourments de l'enfer aux joies du paradis. Ou
vice-versa...
Ce récit singulier,
écrit avec la clarté et l'élégance de ton
qui caractérisent Alain Delbe, se présente d'abord sous
la forme d'un coquin roman libertin du XVIIIè s. Il nous conte
les mésaventures de François, puceau
écartelé entre ses besoins de luxure
(considérée comme diabolique par sa mère et son
curé), et son conditionnement à une vie de
sainteté impossible à réaliser. Ses
interrogations surgissent: qu'est-ce que ce monde où le bien
peut surgir du mal? Et le mal conduire au bien? Séduit par la
multiplication des approches, certaines insolites, par les
comportements inattendus du personnage, le lecteur perçoit que
François n'a pas le contrôle de sa vie. Ainsi surgissent
au bon moment des protagonistes familiers, mais suspects, dans des
rôles louches d'incitateurs. Ou viennent à
François, à sa grande surprise, des talents
cachés et des dispositions inattendues. Mais la connaissance
du grand secret du sexe féminin complique sa vie au lieu de la
simplifier. L'initiation à la découverte spirituelle
d'un ordre alchimiste le conduit dans une impasse...
Ce roman picaresque, se
déroulant linéairement, est remarquablement
agencé. Il multiplie les approches prévisibles comme
les rencontres surprenantes, dans une remarquable construction
contrapuntique, où prend sa place chaque dessin, dont
l'importance apparaîtra plus tard, et discrètement
suggéré. Et il n'est pas insignifiant que, pour son
intelligence des choses cosmiques, François soit passé
par les rôles d'inspirateur d'une pièce de
théâtre, jouée par des comédiens
ambulants. Qu'il ait été lui-même acteur, quel
meilleur moyen pour comprendre que le monde n'est qu'une danse
d'illusions, conduite par le suprême magicien?
Car François a parcouru un long chemin qui l'a conduit, dans
l'effarement, de la crainte de la sexualité à la
compréhension de ses mystères. Il sait maintenant
décoder, comme des inscriptions hiéroglyphiques, les
secrets de sa destinée enfouis dans les replis du sexe
féminin. Sans pour autant donner une direction à sa
vie: quel sens lui donner? On aurait pu croire un instant que le
roman se bornerait à des interrogations morales, conduisant
François de l'intolérance à l'acceptation; en
fait, là où il était obligé d'aller, dans
un cycle d'éternel retour où chaque
élément prend sa place.
Suggérer que, dans la grande
histoire du monde, les êtres diaboliques, comme les
angéliques, ne sont que des moyens utilisés par une
divinité joueuse et manipulatrice, n'est pas une
réponse bien originale. Qu'elle soit donnée au terme
d'un roman, d'abord grivois et leste, devenant de plus en plus
métaphysique, l'est moins. La fin du récit surprendra.
Et dans la mesure où un puissant sentiment
d'étrangeté accompagne les doutes et les craintes de
François; où les questions posées comme les
problèmes à élucider troublent; où
l'approche de la sexualité est insolite et inquiétante,
cette oeuvre originale, dédiée à Claude
Seignolle, appartient bien à la grande famille du
fantastique.
La 4 de couverture:
En cette seconde moitié du XVIllè siècle, le jeune François Dautrec ne doute pas de son avenir : il sera un saint pareil à ceux dont la Légende Dorée raconte les vies miraculeuses. Sa mère Augustine et son précepteur l'abbé Sardine ne pourraient connaître là de plus grand bonheur, n'en déplaise à son père, le jovial et quelque peu paillard Antoine.
Mais c'est oublier que les voies qui mènent à Dieu n'appartiennent qu'à Lui, et qu'il Lui arrive parfois de les rendre bien étonnantes.
Un truculent roman métaphysique.
«... Elle ouvre les yeux, paraît surprise. Son regard croise celui de François. Va-t-elle appeler pour qu'on chasse l'indiscret? Non, son visage s'illumine d'un sourire gourmand, elle lui tend les bras! D'un soupir, sa bouche muette l'invite à s'approcher, à l'embrasser. François sent son corps parcouru des pieds à la tête d' un frisson brutal. Que faire? Est-ce un piège? Va-t-il perdre la tête? Est-ce cela le désir? Quelle violence! Au prix d'un effort inouï, il se tourne vers le crucifix. Horreur! Le Fils de Dieu lui-même tient son regard rivé sur la femme, une grimace lubrique déforme ses traits... Non! Blasphème! Blasphème! ...»
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Roland Ernould © 1999
Dossier Delbe