Clive Barker Le jeu de la damnation

J'ai Lu, nouvelle édition, 2001.

Clive Barker ne s'est mis à écrire que tardivement, vers la trentaine d'années, en s'essayant d'abord sur les nouvelles qui formeront le premier recueil de Livres de Sang, que son éditeur morcellera en trois ouvrages successifs pour des raisons de longueur et d'opportunité commerciale. Son modèle était l'anthologie Dark Forces de Kirby McCauley, qui contenait, ce qui lui avait plu, des nouvelles d'inspiration très différentes (de King, Bradbury, I. Singer, Ted Klein). Il testait, en même temps que sa capacité à écrire des histoires, les limites de son talent narratif pour savoir jusqu'à quels degrés d'outrance il pouvait aller. Une pause dans l'écriture des Livres de Sang lui donnera l'occasion de tester le long parcours avec son premier roman, Le jeu de la damnation, paru en 1985, qui, bien que plus difficile à lire que ses nouvelles, lui vaudra la réputation d'un fantastiqueur original.

Dans ce roman se retrouve le goût pour les personnages déviants et compliqués, dans le prolongement des nouvelles d'horreur. Le motif des morts-vivants y tient la première place, avec non seulement le personnage central Mamoulian, étrange personnage qui s'est baptisé le dernier Européen et qui est un joueur invétéré, rebuté par aucune perversité. Il est capable d'animer pour ses basses oeuvres des zombies, dont un mort-vivant particulièrement répugnant, le mangeur de rasoirs - en fin de course, son corps, soutenu par des broches, tombe littéralement en morceaux. Avant Poppy Z. Brite, Barker a cherché à créer une esthétique du laid, de l'horrifiant, du rebutant et du repoussant. Son entreprise de l'exploration du monstrueux, dans ses représentations les plus hideuses, appartient à la même entreprise esthétique qui consiste à tirer du répugnant des charmes artistiques. Avec beaucoup d'ambiguïté, comme dans ce passage où le lecteur voit le monstre déliquescent et amoureux savourer une tasse de camomille, ou cet autre dans lequel est évoquée l'odeur appétissante d'une main brûlée...

Mais simultanément, le roman bascule dans la fantasy, qui deviendra le domaine de prédilection de Barker, sans qu'il abandonne cependant l'horreur. Mamoulian est un façonneur de formes, capable de créer des visions, ou une atmosphère particulière, et de créer toutes sortes d'illusions horribles. Il peut pénétrer le cerveau de ses antagonistes pour percer leurs pensées et les influencer, leur apporter des rêves ou des impulsions démobilisatrices. Il défie le temps, a passé les deux siècles derniers dans une vie d'aventures de joueur. Il a rencontré dans les ruines de Varsovie en 1945, à la fin de la seconde guerre mondiale, un autre joueur désargenté, Whitehead, qui à la suite d'une partie restée mystérieuse, est devenu après la guerre un richissime magnat des affaires, qui vit dans une luxueuse maison protégée par l'électronique et un garde du corps, prisonnier sorti de prison sur parole, joueur lui aussi, qui croit que la chance a enfin tourné pour lui. Un des moteurs du récit est en effet le jeu, sans lequel l'intrigue errerait sans perspectives la plupart du temps. Les personnages sont presque tous des joueurs passionnés, capables de modifier leurs projets dès qu'il s'agit de tenter le sort et de résoudre des incertitudes. Le hasard est un thème métaphysique du roman, avec l'importance de l'irruption du chaos dans l'existence, le gros problème de Barker, et de la difficulté à donner un sens aux choses en désordre.

Un autre moteur est la place de l'esthétique, non seulement dans le travail d'écriture de Barker, mais au travers des symboles qu'il utilise. La maison de Whitehead est un véritable musée, et des tableaux sont décrits de ci, de là. Whitehead est partagé entre une crucifixion sadique, correspondant à ses penchants; et un Matisse, correspondant au repos auquel il aspire à la fin de sa vie. Il a retourné contre le mur un tableau de Bacon, aux chairs écorchées, morbide, qui correspond au climat dans lequel vit Mamoulian. Les allusions littéraires sont nombreuses, de la rue Caliban où vit Mamoulian, à l'hôtel Pandemonium, l'hôtel infernal où prendra fin la lutte entre les adversaires. L'enfer moderne, pris dans un noeud autoroutier, souillé, sale, ravagé partiellement par un incendie, est le nouvel enfer imaginé par notre génération, qui croule sous les biens matériels et les ordures.

Ce premier roman, parfaitement achevé, captive le lecteur par son histoire surprenante et sa mise en scène réussie. Goût pour le sang et les êtres étranges, désirs et cruauté allant aux extrêmes, un sens particulier de l'esthétique macabre, le lecteur trouve étendu aux dimensions d'un roman ce qu'il trouvait en raccourci dans les nouvelles. Ce qui nous entoure n'est plus celui que nous croyions, l'horreur et la mort peuvent surgir inopinément, dans un monde où n'existent que les lois du jeu et du hasard.

La quatrième de couverture :
Quand Marty Strauss, petit criminel sans envergure, est libéré sur parole de la prison de Wandsworth pour être engagé comme garde du corps par l'énigmatique Joseph Whitehead, il croit que sa chance a enfin tourné et que le hasard va jouer en sa faveur.
Mais les jeux de hasard - Marty va le découvrir- peuvent prendre une toute autre tournure que ceux auxquels il doit sa déchéance. À mesure qu'il se familiarise avec le domaine de Whitehead, ses habitants et Carys, la fille du millionnaire, créature tourmentée et secrète dont il tombe amoureux, il découvre qu'une menace pèse sur eux. Cette menace s'incarne sous les traits de Mamoulian, un étrange personnage qui s'est baptisé le Dernier Européen et qui, au coeur des ruines de Varsovie à la fin de la seconde guerre mondiale, a joué avec Whitehead une partie dont il vient à présent revendiquer l'enjeu. L'affrontement entre les deux hommes plongera Marty et Carys dans des abîmes insoupçonnés...
Salué par la critique anglo-saxonne comme l'un des chefs-d'oeuvre du fantastique contemporain, Le jeu de la damnation est un extraordinaire roman, dans lequel le conflit primordial ne se joue pas entre le bien et le mal, mais entre la vie et le néant. Clive Barker décrit les épisodes de ce combat douteux avec une puissance d'évocation inoubliable, offrant au lecteur des scènes de terreur panique et d'émerveillement sans égales dans la littérature d'aujourd'hui.


Né à Liverpool en 1952, londonien pendant de longues années, vivant aujourd'hui à Los Angeles, Clive Barker est le plus américain des grands écrivains anglais. Artiste complet, homme de théâtre et illustrateur de grand talent, scénariste et réalisateur de films-cultes tels que la série des Hellraiser, Cabal et Lord of Illusions, Barker est désormais un auteur de référence. Tandis que ses magnifiques recueils de nouvelles Livres de Sang continuent de lui amener de nouveaux lecteurs, ses grands romans comme Everville, Imajica ou Galilée ont imposé son talent extraordinaire. Ce visionnaire à l'imagination sans limites développe pour l'instant plusieurs projets de films, tout en préparant de nouveaux recueils de nouvelles et trois romans. Bibliographie.

Mes autres notes de lecture :

Galilée - Abarat - Sacrement

Stephen King/Clive Barker : les Maîtres de la terreur

 

 Roland Ernould © 2002

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.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

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