Michel de Pracontal, L'imposture scientifique en dix leçons

La Découverte, 2001.

 

Aux États-Unis particulièrement, mais aussi dans tous les pays développés soumis aux médias, une culture scientifique et technique développée cohabite avec des fausses croyances, des pseudo-sciences, des imposteurs et des charlatans de tout acabit. La télévision et le cinéma présentent quantité d'oeuvres de fiction qui mélangent sans problèmes l'imaginaire de la science à celui de la magie, des forces obscures ou de l'au-delà. Le succès de séries comme les X-Files, ou de films mettant en scène l'insolite, l'étrange ou des êtres irréels, montre que pour les jeunes générations, habituées très tôt à ces mondes différents, la frontière entre le surnaturel et l'esprit scientifique comme le «high tech», est plutôt floue, malgré les connaissances données à un plus grand nombre d'entre eux par l'enseignement. Ce n'est pas parce qu'il y a de plus en plus de jeunes à l'université que les jeunes ont l'esprit mieux formé et l'esprit critique ne se développe pas en fonction du savoir accumulé. Au contraire semble-t-il, l'adhésion aux pseudo et para-sciences ne cesse de se renforcer dans le public cultivé, comme d'ailleurs le nombre de fraudes et de mauvaises conduites scientifiques. Notre culture sur-médiatisée, soumise à la pression du marché et de l'audimat, y trouve un sujet d'excitation semeur de trouble. Parallèlement, la popularité des fausses découvertes est en hausse, liée aux retombées financières de la renommée et à la concurrence des scientifiques.

Car il faut le reconnaître, le paranormal, très médiatique, séduit et discrédite la science. L'esprit critique est-il si difficile à mettre en place? Car le progrès des sciences et des techniques s'est accompagné d'un autre phénomène qui est l'imposture scientifique. Comment, face à la profusion des pseudo-sciences et des fraudes scientifiques, séparer le vrai du faux, accorder une plus grande attention à la démarche scientifique et à ses moyens de preuve, garder ses distances quand il s'agit de vérité et non d'art? La démarche est la même pour celui qui croit aux forces surnaturelles et compte sur elles pour plier la réalité à ses désirs, et le savant tricheur qui recourt à une tromperie ou une falsification pour obtenir le même résultat. Les hommes de science ne sont pas mieux armés que les autres pour résister à la tentation de prendre leurs désirs pour la réalité. L'exercice de la science est difficile, même pour les scientifiques. Les résultats scientifiques actuellement acquis sont des étapes sur la voie du progrès vers plus de vérité, et les méthodes scientifiques ne comportent aucun dogmatisme, même si les savants et leurs institutions se montrent souvent rigides.

Résultat d'une longue évolution historique de l'obscurantisme archaïque, d'un monde de superstitions et de croyances vers un autre récent dans lequel des méthodes efficaces ont été inventées pour accéder à des vérités vérifiables, la plupart des hommes continuent à être marqués par leurs atavismes. Découragés par l'accès à ces méthodes compliquées et exigeantes, insatisfaits de ne pas avoir de réponses définitives à leurs questions, ils sont toujours plus excités par des phénomènes qui n'ont pas d'explication scientifique, pour lesquels on leur propose des solutions définitives, que par ceux que l'on présente comme des vérités provisoires sans cesse révisables. Pracontal rappelle les règles posées par le philosophe Karl
Popper : "Le critère de scientificité d'une théorie réside dans la possibilité de l'invalider, de la réfuter ou encore de la tester." La science n'est pas un bloc de savoir immuable. Elle progresse par le jeu des hypothèses, même les plus farfelues, et de la vérification de ces hypothèses. Pracontal, à son exemple, nous invite à l'exercice son esprit critique, à remettre systématiquement en question les fausses vérités qui nous sont présentées. Il ne faut plus se contenter des termes ronflants qui reposent sur un abus de langage cherchant constamment à donner un vernis scientifique à leur démarche (pour un esprit non averti, les mots : médecines parallèles, parasciences, parapsychologie sonnent de la même manière que ceux des sciences existantes, et ne renvoient pas à ce que l'on devrait appeler au mieux «pseudo-sciences»). Les peudoscientifiques dénoncent systématiquement l'absence d'intérêt des scientifiques pour un domaine qu'ils prétendent justifié par de nombreux écrits, conférences, émissions audio-télévisuelles, alors que n'existe pour leurs doctrines aucune preuve scientifiquement satisfaisante, ou qui soit en accord avec les cadres et les démarches de la science. Ils font référence à toutes sortes de laboratoires, instituts et prétendus professeurs, dont l'existence et les titres ne sont pas vérifiables, à moins qu'ils trouvent un scientifique égaré qui conforte leurs dires (alors qu'un savant isolé ne constitue aucune garantie scientifique, c'est la vérification et le jugement de la collectivité scientifique qui comptent)

Certains sont d'ailleurs sincères, et croient vraiment à ce qu'ils racontent. Les attaques de leurs adversaires renforcent leurs certitudes. Mais la plupart sont des escrocs et des truqueurs. Les parasciences ne sont pas une inoffensive récréation. Elles constituent un domaine très lucratif, exploitant financièrement autrui, et leur crédulité. Elles provoquent quelquefois des drames, en exploitant la détresse et la crédulité de personnes en difficulté, qui pensent trouver dans le surnaturel ce que la réalité leur a refusé. De la même manière, les scientifiques ne sont pas des saints. Comme les autres hommes, en dehors de leurs travaux, ils montrent les mêmes faiblesses, et comme eux, volent autrui quand ils s'approprient indélicatement leurs découvertes ou monnaient des résultats controversés. Des faux remèdes entraînant lésions et décès aux extorsions de fonds, à l'emprunt du savoir d'autrui au retard apporté aux recherches scientifiques égarées sur une mauvaise voie, nombreuses sont les conséquences de l'imposture scientifique.

Michel de Pracontal nous expose dans son livre comment fonctionnent les pseudo-sciences (astrologie, homéopathie, parapsychologie...) et leurs mécanismes de propagation. Il nous montre comment leurs spécialistes usent de termes obscurs et d'explications confuses, font appel ou référence à des expériences falsifiées pour défendre leurs supercheries. ll dénonce aussi la tendance de certains scientifiques sérieux, tenants de disciplines tout aussi sérieuses, à user de ces mêmes ficelles pour faire passer, parfois, des théories frauduleuses. Il nous montre le danger de l'évolution actuelle, suscitée par les médias, qui neutralise les progrès de l'instruction et de la connaissance parmi les jeunes : "
Loin de se présenter comme un phénomène marginal, l'imposture scientifique tend aujourd'hui à devenir la norme intellectuelle, et c'est la démarche scientifique qui apparaît comme une pratique déviante." Présenté comme "l'indispensable manuel du pipeau", L'imposture scientifique en dix leçons, qui fait intervenir Uri Geller comme Rika Zaraï, passe en revue avec beaucoup d'humour des dizaines de cas, illustrés d'exemples concrets et d'anecdotes. Au terme d'analyses souvent fines, il nous propose des conseils utiles pour comprendre comment on peut convaincre le grand public de la faiblesse d'une théorie fantaisiste et nous apprendre à nous en méfier, à pratiquer l'art du doute contre ses marchands d'illusion. L'obligation intellectuelle de la collectivité scientifique, c'est de ne pas se laisser discréditer par les pseudo-sciences. Et la responsabilité de chaque individu, c'est de refuser l'idée que certains seraient leur supérieurs en raison de mystérieux dons et de pouvoirs surnaturels. Car, question majeure, à quoi bon lutter, si les déshérités que nous sommes n'avons que les questions à nous poser, quand d'autres, exceptionnellement liés au surnaturel, ont déjà toutes les réponses?
Dans les dix chapitres plaisants à lire - clin d'oeil aux commandements du Décalogue -, souvent amusants, vous trouverez, avec bien d'autres problèmes évoqués, les matériaux et les conseils qui permettront, souhaitons-le, de ne plus laisser vous abuser.

Certains reconnaissent se laisser volontiers emporter par les pseudo-sciences sans résister, parce que le réel scientifisé, déterministe, mécaniste, aux règles intangibles, leur paraît trop contraignant, qu'il leur semble agréable de s'abandonner parfois à l'idée qu'il y a «autre chose». Le conseil suivant n'est pas de Pracontal, mais je le donne volontiers, et il explique ma position de cartésien passionné par les lectures de l'imaginaire. Les systèmes d'interprétation mythologiques ou symboliques des événements existent depuis longtemps. Ils nous sont transmis par la culture, les arts, le cinéma, la littérature. À ceux auxquels le monde scientifique donne des envies d'échappées vers ailleurs, de chercher d'autres modèles de compréhension, pourquoi ne pas trouver dans ces activités culturelles l'illusion momentanée qui leur fera échapper quelque temps au réel sans pour autant tomber dans l'abdication aux croyances magiques ou néo-magiques comme aux différentes formes de tricherie intellectuelle.

La quatrième de couverture :
Plus de 50 % des Français croient à la transmission de pensée et à la guérison par magnétiseur, près de la moitié fait confiance à l'astrologie, 35 % aux rêves prémonitoires. De l'horoscope sur Internet au phénomène «X-Files», de la mémoire de l'eau aux «paramédecines», de la réincarnation aux «expériences NDE», la patrie de Descartes se passionne plus que jamais pour l'irrationnel. Le progrès des sciences et des techniques s'accompagne d'un essor des pseudo-sciences et des fraudes scientifiques. Des savants renommés accréditent la téléportation et le voyage dans le temps. Des autodidactes inventifs proposent des théories «alternatives» à celles de Darwin et d'Einstein.
Loin d'être marginale, l'imposture scientifique est devenue une nouvelle norme intellectuelle. Baigné d'ondes positives, planant au-dessus des basses arguties de la raison, l'homme nouveau du XXe siècle goûtera-t-il le vrai bonheur? Pour s'y préparer, voici l'indispensable manuel du pipeau et de la baliverne. Cet ouvrage vivant et didactique remet (totalement) à jour sa première édition, publiée en 1986. L'honnête citoyen comme l'apprenti charlatan y trouveront tous les conseils utiles, illustrés d'exemples concrets et d'anecdotes captivantes.
Le lecteur s'instruira en s'amusant, et apprendra comment départager le vrai du faux dans une culture surmédiatisée, régie par la dictature du marché et de l'audimat. Quand l'impact du message finit par l'emporter sur son contenu, le réel s'affaiblit. L'univers orwellien de 1984, où le charbon est blanc et où deux et deux font cinq, a cessé d'être une pure fiction. Contre un tel danger, la dernière arme est peut-être l'humour.

Table des matières :
Leçon 1 : Les Vraies Questions, tu poseras.
Leçon 2 : Ton créneau, avec soin tu choisiras.
Leçon 3 : La science officielle, tu conspueras.
Leçon 4 : Des médias, avec art tu useras.
Leçon 5 : Les faits, tu manipuleras.

Leçon 6 : L'Histoire, tu réécriras.
Leçon 7 : Dieu et ses saints, tu honoreras.
Leçon 8 : Esprits et démons, tu invoqueras.
Leçon 9 : Des pièges du langage, tu abuseras.
Leçon 10 : Réfutable, point ne seras.

Michel de Pracontal, 46 ans, est titulaire d'une maîtrise de mathématiques et d'un doctorat en sciences de l'information sur la vulgarisation scientifique. Journaliste scientifique depuis vingt-deux ans, et depuis 1990 au Nouvel Observateur, il est aussi l'auteur de Les Mystères de la mémoire de l'eau (La Découverte, 1990) et de La Guerre du tabac (Fayard, 1998).

Roland Ernould © 2001

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