Denis Mellier, Textes Fantômes, Fantastique et autoréférence


éd. Kimé, Collection «Détours littéraires»1er trim. 01.

Depuis sa thèse devenue essai sous le titre de L'Écriture de l'excès, Denis Mellier poursuit son travail d'analyse de la nature et de l'écriture de la littérature fantastique (sans s'interdire des références cinématographiques quand elles s'avèrent opportunes). Les méthodes et les fondements sous-jacents à la réflexion de ses articles copieux et riches, éparpillés en plusieurs revues, apparaissent au fil de ses productions, et sont en passe d'opérer une véritable révolution dans la manière d'aborder le genre.


Dans L'Écriture de l'excès, l'entreprise était d'envergure. Suivant les traces de la critique anglo-saxonne, Mellier ne se bornait pas à disséquer une littérature fantastique lieu de l'évitement, celle où le monstre évoqué reste derrière la porte. Il mettait en évidence les caractéristiques d'une esthétique de la monstration, à l'origine d'une nouvelle politique de la terreur. Dans cette perspective moderne, le monstre sature le regard, laisse le spectateur aveugle dans une représentation devenue fascinante, au sens où les anciennes survivances de la présence du sacré et de la force du mana resurgissent, en le laissant tremblant et médusé devant la force du mystère. Les anciens dieux ne sont pas tout à fait morts, ils laissent leur place aux monstres angoissants d'une peur inavouée.

Mellier poursuit sans perte de temps son interrogation de haut niveau sur la nature de l'oeuvre fantastique. La partie théorique de ce recueil de d'études se situe dans le prolongement du dernier chapitre du Memo consacré à La Littérature Fantastique, où il signale que le fantastique ne maintient pas seulement dans la thématique et les motifs fantastiques, mais aussi dans la poétique qui met en oeuvre le dysfonctionnement du texte, avec ses jeux de miroirs, sa mise en schèmes, ses distorsions et ses réponses. L'utilisation du métadiscours sur l'écriture montre clairement les limites du pouvoir défaillant du récit et les conditions de la maîtrise nécessaire à la réalisation de l'oeuvre. Tout le contraire d'une séduction immédiate du récit. Le fantastique ne peut s'analyser qu'au-delà de cette attitude, dans les artifices des autoréférences et des médiations qui forment le fond d'un texte au-delà des apparences.

Le fantastique repose sur un paradoxe, donner forme à ce qui n'en a pas, susciter une représentation réaliste et cohérente, pour ensuite la ruiner. Le fantastique devient ainsi une pratique de l'écriture qui se perpétue dans un processus vivant de questionnement permanent de sa propre matière. "
L'autoréférence fantastique exalte cet univers où le fait de la fiction s'impose à tout lecteur, dans l'excès des intrigues ou la retenue de ses moyens, où la textualité rend manifeste, au moyen de miroirs obsédants, les jeux d'écriture qui dessinent alors une identité du fantastique." (163)

Les essais rassemblés ici sont des examens de la relation du fantastique et les formes d'autoréférencement dans des textes choisis pour être propices à la manifester. Cette pratique permet de voir avec précision les hypothèses, les contours, les principes de fonctionnement concret du texte qui sert sa fable. Mode de fiction réflexif, métadiscursif ou métafictionnels, ces aspects du fantastiques ont été examinées à diverses reprises, mais pas théorisés encore avec cette force. Finalement le fantastique apparaît comme une littérature réflexive, qui s'expose comme son propre sujet et vit dans le questionnement permanent de sa propre matière. Dans la singularité d'un texte, l'oeuvre ose sur elle un retour et un renvoi, et expose son originalité dans son organisation interne, ses thèmes et ses structures, agents efficaces d'une propension réflexive.


Les auteurs proposés par Mellier peuvent être ainsi lus à travers les grilles adéquates. Le premier niveau se rapporte aux problèmes attachés à la thématisation de cette littérature, le degré le plus lisible de son autoreprésentation. Le deuxième niveau se relie davantage à la manifestation formelle de la matière narrative, des difficultés rencontrées, de l'assemblage et des maintiens du récit, des témoignages dans l'organisation du texte. Il relève du montage et de la composition fantastique. Le troisième niveau concerne davantage les formes de la contagion, de la dispersion, de la réécriture. La manifestation de liens transtextuels et déterminante, et la réflexivité textuelle déplace son effet vers une modalité de réflexivité fictionnelle : l'effet de fiction se voit interrogé par le travail de circulation des motifs, des textes et des écritures. Ces trois dimensions donnent le mouvement des essais proposés et chacun se voit, en application de la méthode, précédé d'un ensemble explicatif.

Si les études consacrées aux auteurs sont accessibles, bien que denses, de nombreux lecteurs seront découragés par la compacité des idées et la technicité du vocabulaire de Denis Mellier. Plusieurs relectures de passages de l'introduction et de la conclusion sont souvent nécessaires pour bien comprendre le sens d'une considération. Ses analyses sont parfois subtiles. Alors que son introduction traitait surtout de l'autoréférence, notion qu'il examinait sous ses divers aspects et qui a servi de guide à son recueil d'essais, il revient sur cette constatation dans sa conclusion, où il montre les questions qui subsistent quant à l'articulation de cette notion fantastique, avec laquelle il se demande si elle est bien compatible. La pertinence interne de la littérature fantastique utilisant l'hyperbole passe par une artificialité du texte, de la fiction et de l'écriture, par la circulation architextuelle des oeuvres. L'évidence de l'artifice des textes fantastiques n'est ainsi pas à prendre comme limite ou défaut, mais comme condition même de leur possibilité. Ils trouvent dans leur exhibition un moyen de questionnement privilégié, et ne sont pas les seuls à voir, dans leurs travestissements, les conditions de leur possibilité : n'est-ce pas le cas de tous les textes de fiction? Vaste question pour l'instant irrésolue, qui renvoie bien au-delà de la seule littérature fantastique.

Roland Ernould avril 2001

La quatrième de couverture :
Fiction réflexive par excellence, le fantastique est saturé de mises en abîme et de jeux de miroirs, de distorsions et de reprises. Sans cesse, Ies citations, les références et les réécritures exhibent le jeu des artifices dont procèdent les textes. Le métadiscours sur l'écriture y abonde, accusant Ie pouvoir défaillant du récit et les conditions de sa maîtrise, figurant ouvertement une limite des représentations, des formes ou des discours. Autant de traits autoréférentiels qui finissent par apparaître comme la matière même du fantastique. Spectres, doubles ou vampires seraient alors des figures manifestées de l'écriture, revenant hanter la scène fantastique.
Rarement, la conscience du texte, de l'écriture et de la fiction aura été à ce point requise, jusqu'à peut-être constituer la condition propre à ce type de fiction dont on dit pourtant, souvent, qu'il ne tire son effet que d'une immersion dans l'imaginaire et d'une séduction immédiate du récit. Essentiellement autoréférentiel, le fantastique ne s'écrit que dans l'interrogation constante des médiations qu'il met en oeuvre alors qu'il s'agit de donner forme aux figures indicibles, indéterminées ou irreprésentables qui le caractérisent.
À partir des récits de Seignolle, Lovecraft, Béalu, Leroux, du Dracula de Stoker ou du Malpertuis de Jean Ray, mais aussi en examinant la postérité de la figure du vampire ou la question politique dans le champ fantastique, le projet de ce livre est de qualifier ce questionnement complexe et riche que le fantastique déploie quant à son écriture, ses moyens ou ses effets, I'enjeu de sa fiction et de la relation critique qu'elle entretient avec le réel.

Table des matières.
Introduction : Fantastique et autoréférence.
Chap. I : Vertige des doubles : Claude Seignolle et le reflet fantastique, 27.
Chap. II : Le rhéteur et le pornographe, 41.
Chap. lll : Malpertuis,du lieu au livre, 55.
Chap. IV : Dracula et les machines ou comment faire du Comte un roman? 67.
Chap. V : Les mémoires de l'ombre, le fantastique au fragment, 89.
Chap. VI : Gaston Leroux, le sublime et le rigolo, 101.
Chap. VII : La maladie-vampire ou de la dissémination en fiction, 117.
Chap. VIII : Les remparts d'Elseneur : Politique de la hantise, 135.
Conclusion : De la suffisance du fantastique, 157.
Bibliographie, 165.
Notes.

Maître de conférences à l'université de Poitiers où il enseigne la littérature comparée et le cinéma, il a publié L'Écriture de l'excès : poétique de la terreur et fiction fantastique (Champion, 1999) et dirigé le volume Sherlock Holmes et le signe de la fiction (Éns-Èditions, 1999). Les Écrans meurtriers, Essais sur les scènes spéculaires du thriller est à paraître aux éditions du Céfal. Il est également directeur de la revue Otrante. Il vient de publier une synthèse indispensable : La littérature fantastique, Seuil mémo, 2/2000.

Grand Prix de l'Imaginaire 2001 pour : la Littérature fantastique. Denis Mellier. le Seuil, 2000; l'Écriture de l'excès , Fiction fantastique et poétique de la terreur , Honoré Champion, 1999.

Roland Ernould © 2001

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