Denis Mellier, La littérature fantastique

Seuil mémo, 2/2000.

Ce mince volume a un contenu inversement proportionnel à ses dimensions : il est bourré d'idées, de considérations et de vues pénétrantes. Il présente sous une forme claire, très didactique, avec divisions et subdivisions repérées, la quintessence de ce qu'il est nécessaire de connaître pour approfondir et circonscrire le fantastique. C'est que le fantastique, par la diversité des thèmes potentiels, des procédés utilisés et des effets de mise en scène forme un ensemble si vaste qu'il est difficile d'en définir correctement les limites.

Ce n'est pas une compilation d'idées, empruntées aux théoriciens classiques du genre. Mais plutôt une re-création, une mise en perspective personnelle, où se font jour les préférences de l'auteur pour les oeuvres troublantes, insidieuses. Elles suggèrent et permettent des interprétations contradictoires à la différence de celles qui assurent au surnaturel une présence spectaculaire, destinée à effrayer le lecteur, renforcée par des descriptions terrifiantes, des décors écrasants et des personnages horrifiés qui ne parviennent pas à échapper à la fascination des dangers qui les menacent. Mais l'auteur reste objectif : chacune de ces tendances, qui correspond à un discours tenu sur le réel à partir des possibilités offertes par le surnaturel, est traitée avec la même efficacité.

En trois chapitres brillants (5 à 7), sont analysés le fantastique de l'indétermination et le fantastique de la présence. Le premier utilise des thèmes de l'intériorisation, mis en crise dans l'indétermination et la suggestion. Il se situe généralement dans une représentation de l'inconscient schizophrénique dans laquelle le personnage se sent étranger à lui-même, dans un monde angoissant et incompréhensible. Généralement les auteurs de ces romans sont les plus sophistiqués dans leur écriture, ce qui permet à certains d'être admis dans l'institution littéraire académique. Le fantastique de la présence s'affirme inversement par l'extériorisation et l'objectivation, avec des motifs classiques (vampires, loups-garous, ou des monstres plus ou moins effrayants). Les auteurs visent les effets de terreur, et l'émotionnel l'emporte sur l'intellectuel, avec des effets descriptifs hyperboliques. Les récits, à caractère paranoïaque, dominés par la crainte de l'autre, font le plus souvent partie de la littérature populaire, et sont mal reçus par la littérature académique.

Mais nombreuses sont les oeuvres qui se situent entre la suggestion et la monstration sans retenue. Les modèles extrêmes, analysés par l'auteur avec finesse et pénétration, sont plutôt à prendre comme des tendances, qui détermineront un système de contradictions permettant de lire les oeuvres dans leurs nuances, en appréciant, dans une sorte de fantastique de l'entre-deux, des récits qui font alterner successivement indétermination et objectivation, provoquant le questionnement sur leur sens fantastique ou un saisissement lié à l'effet de terreur. Le plaisir du fantastique viendrait ainsi de l'expérience faite par le lecteur d'une incapacité à maîtriser complètement le sens ou la lettre du texte. Ainsi va le fantastique entre ces deux pôles. Il peut être aussi bien un moyen essentiel de représenter la crise d'un homme problématique, qui voit son identité et son expression se défaire. Que d'apporter des textes qui permettraient de reconnaître par leurs artifices la matière même de l'illusion fantastique, donnant à voir, en les grossissant et en les déformant, les paradoxes et les contradictions humaines préalablement grossies et transformées.

La difficulté de mettre en oeuvre le fantastique pose de multiples problèmes, celui des contenus sémantiques de la fiction, de la poétique textuelle, comme du pragmatisme de la lecture, en fait un genre dont la typologie est difficile à établir. Ce qui en fait l'intérêt nouveau que lui portent les littéraires, pour lesquels le fantastique est devenu un domaine feint, analysable, symbolique, objet de travaux de plus en plus nombreux. Le fantastique permet ainsi de poser divers problèmes d'esthétique (Alain Chareyre-Méjan) comme de théorie littéraire au sens plus large (Roger Bozzetto, Jean Fabre ou Charles Grivel).

Que le fantastique soit une littérature de la subversion, voilà ce qui est établi depuis longtemps. D'où, sans doute, sa place importante dans le monde scientifico-technologique dans lequel nous vivons, dont l'ambition est de parvenir à une rationalité qui serait à même d'expliquer les phénomènes sensibles de notre univers. Cette disparition du possible et de l'imaginaire liée au rationalisme ne va pas sans réaction de rejet romantique, dont le fantastique est un bon témoignage.

Il faut enfin évoquer des développements particuliers, mais toujours pertinents, consacrés au roman gothique, genre stéréotypé, mais qui a eu une influence fondamentale sur le roman populaire comme sur le surréalisme. Ou encore à Hoffmann, qui, pour Mellier, représente la modernité du fantastique, tentative poursuivie par Maupassant, Cortázar, Calvino et Henri James. Enfin sont vues rapidement des figures de l'altérité fantastique, avec l'énumération d'un certain nombre de thèmes et de motifs, avec des vues fines sur le corps et les amours fantastiques. Une place non négligeable est octroyée au thème du double, cher à l'auteur. Autant de raisons de s'intéresser à l'oeuvre fantastique, cette écriture de l'impossible qui doit donner forme à ce qui n'en a pas. Ce qui fait sa richesse, puisqu'on peut l'explorer aussi bien à partir de l'imaginaire d'un auteur et de sa symbolique, qu'au niveau des représentions sociologiques collectives de son époque.

Voilà un livre utile, à garder précieusement sous la main quand on désire éclaicir ou préciser un point de détail, ou vérifier au cours d'un travail si rien n'a été laissé de côté. Aucun étudiant ou amateur du genre ne pourra plus s'en passer. D'autant plus que son prix, dérisoire par rapport à la richesse de son contenu, ne devrait pas être un obstacle.

Présentation :

De manière spontanée ou intuitive, on emploie le terme « fantastique » pour parler de récits aussi différents que Le Moine de Lewis, les contes d'Hoffmann, Le Horla de Maupassant, La Métamorphose de Kafka, les contes de Borges ou, aujourd'hui, les récits d'épouvante de King. Mais, dès que l'on se place dans une optique théorique, la diversité de leurs thèmes, de leur style et de leurs procédés de leur conception, des,relations entre monde représenté dans la fiction et celui du lecteur, fait immédiatement sentir la difficulté de définir strictement le fantastique en littérature.

Maître de conférences à l'université de Poitiers où il enseigne la littérature comparée et le cinéma, il a publié L'Écriture de l'excès : poétique de la terreur et fiction fantastique (Champion, 1999) et dirigé le volume Sherlock Holmes et le signe de la fiction (Éns-Èditions, 1999). Les Écrans meurtriers, Essais sur les scènes spéculaires du thriller est à paraître aux éditions du Céfal. Il est également directeur de la revue Otrante. Il vient de publier une synthèse indispensable : La littérature fantastique, Seuil mémo, 2/2000.

Grand Prix de l'Imaginaire 2001 pour : la Littérature fantastique. Denis Mellier. le Seuil, 2000; l'Écriture de l'excès , Fiction fantastique et poétique de la terreur , Honoré Champion, 1999.

Roland Ernould © 2000

..

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

mes dossiers sur les auteurs

. . .. . .. . ..