Henri Loevenbruck, La Moïra, tome 1 : La louve et l'enfant

éditions Bragelonne, 2001.

 

La sortie du film Le Seigneur des anneaux, et l'intérêt qui va se porter à l'occasion sur la fantasy, inciteront le lecteur à s'intéresser à une trilogie, La Moïra, dont le premier volume est paru il y a quelques mois. Le second sortira prochainement. Mixte de Croc-Blanc, de Jack London, et du roman de Tolkien, le roman mêle l'évasion et l'aventure, l'héritage des mythes, légendes et contes, en essayant de recréer une aventure initiatique qui n'a pas trop à rougir celles de ses prédécesseurs. Le récit se passe dans un monde celtique de fantaisie, une Irlande imaginaire, l'île de Gaelia, à une époque qui ressemble à notre Moyen-Âge, lors d'un conflit entre diverses puissances politiques ou religieuses sur lesquelles on reviendra.

Une première originalité de l'histoire est de mettre en parallèle deux êtres solitaires, une jeune fille, Aléa, treize ans, orpheline, abandonnée des siens, et une louve, rejetée par sa meute : leur destin finira par se rejoindre. La seconde consiste à choisir une fille comme héroïne d'une épopée, alors que tous les romans de fantasy initiatiques racontent l'histoire du garçon qui va devenir le sauveur du monde, du roi Arthur à Bilbo le Hobbit. Du fait qu'elle est une fille, Aléa rencontrera de multiples problèmes à Gaelia, gouvernée par une forme de destinée appelée la Moïra. Les filles n'ont guère de droit à cette époque. Or Aléa hérite sans le vouloir d'un don étrange et unique qui va la plonger au coeur des conflits politiques et religieux de l'île de Gaelia, et lui faire côtoyer tous ceux qui ont un pouvoir. Nombreux sont ceux qui redoutent le futur Samildanach, l'élu aux facultés uniques, qui pourrait changer la face du monde. La prédiction affirme que le pouvoir magique des druides, le Saîman, permettant de contrôler momentanément les éléments, est réservé à un homme, le Samildanach, qui a reçu le pouvoir de contrôler le Saîman de manière définitive. Le dernier sera le sauveur de Gaelia. Aléa vient ainsi bouleverser des coutumes bien ancrées et sera le centre d'un conflit entre l'Archidruide et le Conseil des druides, Maolmòrdha et ses terribles guerriers Herilims, et les divers pouvoirs d'état. Elle doit fuir, son avenir est incertain, les périls grands. Plusieurs convoitent cette puissance ou redoutent celui qui pourrait changer la face du monde. Aléa la débrouillarde est heureusement accompagnée dans sa recherche par Phelim le druide; Galiad, le Magistrel de Phelim; la barde Faith; le nain Mjolln. Elle est soutenue par son amour pour Erwan, le fils de Galiad.
Dans l'ombre, tel le reflet d'un miroir, Imala, la louve solitaire, vit une aventure identique à celle d'Aléa. La presse s'est beaucoup excitée sur le fait que Loevenbruck s'intéresse aux loups, est allé les voir pour son livre dans le Parc du Gévaudan, et a été aidé par la conservatrice de ce parc, Anne Ménatory, qui a passé sa vie parmi les loups, depuis sa plus tendre enfance et a écrit un ouvrage :
La Vie des loups

Ce qui m'a intéressé dans ce roman est la place particulière prise par Aléa. Ce n'est pas par hasard si Loevenbruck lui a ainsi donné la première place. Il reconnaît dans une interview avoir été fasciné par la novella de Stephen
King Le corps (The Body, dans le recueil Différentes saisons) et par le film de Rob Reiner, Stand by me. Il trouve merveilleuse la phrase qu'il cite approximativement : "«Je n'ai jamais eu d'amis aussi proches que les amis que j'avais pendant mon adolescence. N'est-ce pas le cas de tout le monde?», ou quelque chose comme ça". Loevenbruck se souvient de ses années de jeunesse avec nostalgie, bien qu'elles n'aient été ni pires, ni meilleures que celles des autres, et trouve merveilleux son monde de changements, de surprises, de découvertes et d'émotions : " Je voulais un personnage qui soit prêt à tout quitter, à tout abandonner pour découvrir le monde, lui donner un sens, et peut-être même essayer de le changer. Il me fallait donc quelqu'un d'assez jeune, mais aussi de responsable. Il s'agit entre autres d'un roman initiatique." Déjà son premier roman, Les Post-humains, un polar futuriste écrit sous le pseudonyme de Philippe Machine, racontait l'histoire d'une petite fille, et sa relation avec un homme plus âgé. La coïncidence est trop grande pour n'en être qu'une. Comme c'est le cas souvent pour King, ces deux personnages sont deux réflexions de lui-même, et, quand ils parlent ensemble, c'est l'adulte, qui parle avec la voix de l'enfant qu'il était : "Cela exprime tous mes regrets, tous mes souvenirs, comme si je voulais adresser - mais trop tard - un message à cet enfant, pour lui dire d'en profiter, de ne rien gâcher, de ne pas faire les erreurs que j'ai faites... Je crois bien que c'est cela. Et au fond de moi, les deux personnages continuent de cohabiter. Je n'ai jamais perdu le gamin qui est en moi. Je suis toujours très joueur, j'ai des crises d'insouciance, un grand besoin de reconnaissance, un esprit provocateur... Et pourtant, je suis aussi un adulte, heureux, heureux d'être bientôt papa, heureux de contrôler ma vie, autant qu'une vie peut l'être en tout cas..."

Loevenbruck n'est pas historien, et il ne s'est servi de la culture celtique que pour colorer. S'il a bâti soigneusement sa trame, il n'a pas fait un travail de recherche historique et ne s'est pas soucié d'exactitude culturelle. Il a cherché à mettre en scène, dans un cadre dépaysant, des personnages haut en couleur, et à créer une ambiance picaresque. La Moïra est un monde imaginaire, où on trouve cependant quelques références à d'autres cultures, nordiques, et parfois même grecque et latine, mais où le christianisme a pris pied. Ce qui intéressait l'auteur, c'était de mélanger le tout, de le déformer, et de n'utiliser leur forme que pour leur force évocatrice. On ne trouve pas de grand message philosophique dans le roman. Si Loevenbruck fait intervenir un clone du christianisme comme un clone du druidisme, c'est avec un espoir très général : il faut apprendre à vivre ensemble, l'enjeu, c'est la cohabitation. Loevenbruck ne s'attaque qu'à ceux qui font des religions l'excuse de leur esprit belliqueux.
Anthologiste et critique, fasciné pour l'instant par la fantasy, la forme la plus moderne du roman d'aventures selon lui,
Loevenbruck a décidé de tenter sa chance aux côtés de ses illustres devanciers, qu'il a pratiqués assidûment : avant Tolkien, Stephen King, qu'il a aimé tout jeune, et qu'il a presque lu en entier; Lovecraft. Les romans d'aventure lui plaisent : Dumas, Verne, London, Doyle, Mac Orlan, Stevenson... La fantasy lui a ainsi permis de faire une fresque assez large,rassemblant ces diverses influences. En tant qu'écrivain, il est aussi intéressé par le thriller investigatif : outre la suite de sa trilogie, bien avancée, il travaille sur deux autres romans. L'un en collaboration avec Emmanuel Baldenberger, un gros polar historique qui se déroule au quatorzième siècle. Et un roman plus personnel, sorte de polar ésotérique, qu'il porte en lui depuis longtemps.

Il manque peut-être de la personnalité à ce roman, et on peut espérer que les suivants seront plus originaux. Ce premier tome, agréable à lire, est fort classique et sent un peu le déjà vu. Quand, dans les premières pages du roman, Aléa découvre dans la lande un cadavre avec un anneau qui va faire d'elle la championne du bien contre le mal, on sait que la panoplie traditionnelle du roman de fantasy va s'étaler. Et en effet, elle rencontre sans surprise un druide puissant, un ménestrel nain, une jolie conteuse, un guerrier solide et sans peur, et tous les clichés de la fantasy se rassemblent, le bien, le mal, l'enfant dépassé, le nain pittoresque et un peu ridicule. Mais on se laisse toutefois rapidement charmer par le rythme et la magie de l'histoire que nous propose l'auteur, plaisant divertissement de vacances et histoire humaine. Sans atteindre des sommets dans son art, Henri
Loevenbruck nous fait passer un bon moment, dans l'attente d'une suite encore meilleure.

La quatrième de couverture :

Jeune orpheline de treize ans, Aléa hérite involontairement d'une force mystérieuse et se retrouve alors au centre d'intrigues qui la dépassent. Sur l'île de Gaelia, nombreux sont les politiciens et les religieux qui convoitent cette puissance ; nombreux sont ceux qui redoutent le Samildanach, l'élu aux facultés uniques, qui pourrait changer la face du monde.
Alors qu'au sud, une armée est en marche pour reconquérir cette île volée à ses ancêtres, la jeune Aléa doit fuir de nouveaux ennemis, qui voient en elle un nouveau danger.
Prise au coeur d'un conflit colossal, Aléa fuit la mort qui la traque sans pitié.
Dans l'ombre, tel le reflet d'un miroir, Imala, une louve solitaire vit une aventure étrangement parallèle à celle de la jeune fille... Une destinée unique attend la louve et l'enfant.

Henri Loevenbruck est né à Paris en 1972. Journaliste, musicien, ancien co-rédacteur en chef de Science Fiction magazine pendant trois ans, il a fait une incursion dans le monde de l'anthologie avec son complice Alain Névant (Fantasy, 1998) Il a également écrit, sous le nom de Philippe Machine, un premier roman en 1999, Les post-humains. Il vit à Colombes, dans la banlieue parisienne et se consacre aujourd'hui à l'écriture de romans et de scénarios pour le cinéma, avouant son penchant pour le thriller investigatif et pour la Fantasy. Pour l'écriture de La Moïra, l'auteur a étudié la vie des loups, avec l'aide d'Anne Ménatory, conservatrice du Parc des Loups du Gévaudan

Fantasy, anthologie sous la direction de Eric Boissau, Henri Loevenbruck, Alain Névant. L'avis de la Fnac :"Cette anthologie de «dix-huit récits merveilleux» comblera les amateurs de fantasy. Dix-huit talents confirmés ou écrivains prometteurs (les auteurs ont entre 24 et 55 ans) choisis par les rédacteurs en chef du Science-Fiction Magazine nous livrent des histoires sous plusieurs formes, qui se situent aux frontières du réel ou complètement en marge de notre monde. En guise de postface, les anthologistes proposent une analyse du genre fantasy, dont ils visent la reconnaissance et dont ils proposent pour père français l'inépuisable Rabelais".

 

 Roland Ernould © 2001

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