Le futur a
déjà commencé
anthologie
présentée par Michel Le Bris, Librio,
avril 2000.
La
quatrième de couverture :
La science-fiction
n'a jamais rien fait d'autre que de parler de nous, du monde autour
de nous qui change et nous change, de l'inconnu qui nous effraie - de
l'inconnu dans le regard de l'autre, qui nous renvoie à notre
part d'inconnu, en nous : puisque ces mondes imaginaires qui nous
révèlent le nôtre, dans l'écart même
qu'ils aménagent, sont les nôtres, produits de nos
rêves, de nos peurs, de nos fantasmes. Un art de la
frontière, en somme, au sens que les pionniers donnaient
à ce mot. Ces êtres verts, aux yeux globuleux, qui nous
faisaient frissonner dans les années cinquante,
n'étaient que notre miroir. Les créant, nous nous
interrogions sur nous-mêmes - et sur l'altérité
en nous. La S-F est plus que jamais vivante, puisque le futur a
déjà commencé.
On peut juger le titre usurpé
: plutôt qu'une anthologie, ce volume est un recueil,
disparate, qui mêle à part égale des nouvelles
d'auteurs et des écrits critiques, six au total. Si
l'intérêt des textes pris isolément n'est pas
discutable, l'ensemble fait davantage penser à un
numéro de revue qu'à une anthologie.
Michel Lebris est bien
connu pour être l'inspirateur du festival Étonnants
Voyageurs de Saint-Malo, qui se tient habituellement en mai. Auteur
de romans et d'essais, il vient de composer successivement deux
anthologies de la science-fiction. L'une parue chez Hachette,
intitulée Utopies SF
(thème du festival cette année), aligne un sommaire
prestigieux réunissant entre autres J. C. Ballard,
Bradbury, Matheson, Connie Willis, Norman
Spinrad et Pierre Bordage. La
deuxième anthologie, ici présentée, est de
dimensions plus modestes.
Qui mieux que les auteurs de SF
peuvent scruter, en toute liberté d'inspiration, les
transformations d'un monde en devenir? Et pourtant le genre continue
à être frappé d'ostracisme par les
spécialistes littéraires. "Fille indigne de la
littérature", la SF est condamnée à être
refoulée dans un mouvement d'exclusion qui touche d'autres
genres, comme le fantastique ou le roman noir. Le Bris consacre sa préface à déplorer une
fois de plus cette constatation : les jeunes aiment lire ces auteurs,
en dédaignant les écrivains classiques ou reconnus par
les jurys d'examen... Car notre monde change : cinéma, rock,
pop, vidéo, virtuel, toutes choses que les beaux esprits
feignent d'ignorer pour ne s'intéresser qu'aux belles-lettres.
On ne le dira jamais assez, certes, mais le sujet n'est pas
original.
Les trois nouvelles de ce recueil, de
Serge Lehman, Ayerdhal et
Jean-Claude Dunyach, ont
l'utopie pour dénominateur commun et sont de longueur
très inégale. Lehman, avec "Nulle part à
Liverion" occupe à elle seule la moitié du recueil.
Cette nouvelle d'un auteur reconnu (Grand Prix de l'Imaginaire, prix
Rosny Aîné), décrit avec un talent très
personnel une variation sur son sujet favori, le monde
ultralibéral qui naît à notre époque et
qui se développera au XIXè s. Sur un fond
économico-politique, elle narre les déboires d'un
personnage décalé aux prises avec les Puissances
Dominantes, des empires industriels qui ont leur propre force de
police et qui réalisent le rêve - ou le cauchemar? -
d'une terre entièrement aux mains des puissances rivales.
Heureusement avec Noirevi (anagramme de Liverion), peut se
créer un au-delà de la géographie, une Terre
Libre. La nouvelle, comme les autres du recueil, tourne autour de ce
passage d'Oscar Wilde : "Une
carte du monde qui n'inclurait pas l'Utopie n'est pas digne d'un
regard, car elle écarte le seul pays auquel l'humanité
sans cesse aborde".
La singulière histoire de
chrysalide et d'imago d'Ayerdhal, empreinte d'amour et de mort, veut
suggérer la pérennité des sentiments et leur
force dans un monde où tout est devenu organisé,
où les hommes se métamorphosent en niant la mort.
Ayerdhal est un auteur explorateur, qui a
touché à toutes les branches de la science-fiction, que
de nombreux prix ont consacré.
Déchiffrer la
trame, la brève nouvelle
de Dunyach, rédacteur adjoint de Galaxie, narre le long apprentissage de la connaissance de la
tisseuse d'un tapis du Kurdistan, morte depuis longtemps. Sa vie
devient transparente à des investigateurs aveugles du futur,
travaillant dans un Musée des civilisations passées,
qui ont passé une vie entière à analyser le
décodage du laborieux enchevêtrement des fils et des
noeuds, travail de la moitié d'une vie. Dunyach a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire pour ce
texte.
À ces nouvelles il faut
ajouter trois études. L'une de Jacques Chambon, directeur de la collection Imagine chez Flammarion,
est consacrée à des variations sur les images du futur
et la notion d'anticipation incluses dans un genre qu'il propose
comme moyen de conjurer le mal d'une époque en crise, et qui
devient la mythologie de notre temps. Marie Mazaurie,
directrice littéraire des éditions J'ai lu, recherche
les traces de la subversion de la «grande»
littérature par la SF dans des romans à succès
comme Truisme et
Les Particules
élementaires. Elle
renverse le motif habituel du ghetto par l'annonce d'une
littérature du futur, qui mixerait la littérature
générale à la SF. Enfin Stéphane
Nicot, rédacteur en chef de Galaxie, nous propose une interview au provocateur Norman
Spinrad , dans laquelle l'auteur rappelle sa critique
acerbe de l'american way of life.
Une fois admise la diversité
du recueil, le lecteur consommera ce mille-feuilles avec un grand
intérêt. Les rêveurs d'avenir ont encore un bel
avenir devant eux, et pourront continuer à faire leur plein de
rêves et de fantasmes, puisqu'ils parcourent le genre avec le
désir de s'interroger sur eux-mêmes et
l'altérité qui est en eux.
Au sommaire : Préface
de Michel Le
Bris
Serge Lehman,
Nulle
part à Liverion
Stéphane Nicot, lnterview de N. Spinrad
Ayerdhal, L'adieu à la nymphe
Jacques Chambon, La science-fiction au tournant
Jean-Claude Dunyach, Déchiffrer la trame
Marion Mazauric, La littérature du futur.
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Michel
Le Bris, né en 1944, est écrivain,
éditeur et directeur du festival de Saint-Malo
Étonnants Voyageurs. Il a publié en 2000 Pour saluer
Stevenson (Flammarion) et
Fragments du
royaume (La Passe du vent).
La Porte d'or a été
réédité en Points Seuil et Les Flibustiers de la
Sonore aux éditions J'ai
Lu.
Roland Ernould © 2000
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