Patricia Jauliac,
Ailleurs et
autres errances
Outre-part éditions, janvier
2000.
Alors que tant d'oeuvres de la
littérature de l'imaginaire font actuellement de la
surenchère dans la monstration, accumulant les gros effets,
voire le gore, voici le premier recueil d'une auteure qui se situe
dans la voie opposée : celle de la tradition d'Edgar
Poe, de Guy de Maupassant ou
d'Henry James, en utilisant des thèmes et une forme
littéraire propices aux jeux de l'incertitude. Il est
rafraîchissant de retrouver de temps à autre ce type de
fantastique qui suppose que l'interprétation du texte soit
faite par le lecteur. L'écriture passe par
l'euphémisation des représentations de la surnature, et
ne permet que des lectures où le sens profond est à
déterminer.
Dès la première
nouvelle, Ailleurs, qui
donne son titre au recueil, les rapprochements avec Le Horla de Maupassant s'imposent, encore que l'esprit et le ton
soient différents (c'est une collégienne qui raconte).
La situation est la même dans son principe, avec des narrations
qui se contrarient et rendent le lecteur perplexe. Le récit
rédigé de la «petite» (on ne connaît
pas son nom) mêle des informations contradictoires, dont elle
essaie de pénétrer le sens, de manière parfois
paranoïaque. Le lecteur partage les sentiments et les
perceptions de la jeune narratrice-scriptrice, exposées avec
candeur et simplicité, pour se trouver dérouté
par les deux dernières pages, où brusquement le
récit actoriel cesse, pour laisser la place à deux
brèves interventions supposées être objectives,
sans donner la solution pour autant. Le fait que la
«petite» relate ses aventures étranges avec
spontanéité donne un caractère de
crédibilité à ses énonciations,
l'explication du surnaturel n'intervenant alors qu'en focalisation
interne. Encore que des indices manifestement
interprétés et des apostrophes paranoïaques
laissent des incertitudes et font interrogation.
Les options poétiques
privilégient la retenue et la litote, des effets de suggestion
(comme les yeux transparents des êtres de l'autre monde, ou le
tableau dont la maison tombe en ruines) et proposent une lecture
hésitant sans cesse entre le rationnel et le fantastique.
L'indécidabilité caractérise le récit.
Les détails réalistes de la soignante cassant son bocal
de cornichons et détruisant accidentellement ainsi les textes
de la «petite» se justifient moins bien, l'auteur reprenant
brutalement sa place dans l'action, laissant disparaître le
mystère qui aurait pu entourer l'apparition d'un récit
mystérieux où la dominante est le passage du miroir ou
du tableau cézannien. Jauliac aurait pu laisser dans l'ombre
le mystère de la découverte des pages de l'adolescente
et leur charge de sens. Mais ce n'est qu'un détail :
l'impression laissée par cette nouvelle, la meilleure du
recueil, et la plus longue, est profonde.
Le
rendez-vous, la seconde nouvelle,
en boucle, reprend le principe d'Ailleurs, en jouant sur la
présence et la tension de deux interprétations, celle
de la psychose et de la fantasticité. Que le récit soit
la narration d'événements fantasmés, que le
personnage soit délirant ou psychopathe jaloux, ruminant une
sorte de rêve éveillé perpétuel, sa
conclusion conduit à une relecture pour une
réinterprétation globale dans le sens de la fiction
choisie, qu'instaurent une mise en crise du récit, la mise en
doute de la fiabilité narrative, la suspicion de manipulation.
Deux nouvelles sont liées au
monde de la création. L'une littéraire avec
Béance,
qui est une habile variante du thème éculé de
l'auteur en proie à ses inventions. Cette métaphore du
vide mental et du trou noir, de la perte de substance du
démiurge lors de la gestation ou de la naissance de ses
créatures, la vacuité de l'esprit et le néant de
la page blanche, se concrétisent par la représentation
médicale inversée de la perfusion
régénératrice. C'est l'essence imaginative du
créateur qui passe littéralement, brillante et
pailletée, dans l'esprit des engendrés ou de ceux qui
sont en peine de l'être ou qui avortent... L'autre nouvelle,
musicale,
L'artiste, d'un imaginaire
délirant, à coloration surréaliste, où
les artifices de l'art, les codifications et le symbolisme humains
sont opposés à la puissance créatrice des
éléments naturels. Avec des surprises étonnantes
: le rêve d'un homme, la joie, le piano, là, sur une
plage, le bonheur (la piano à cette place rappelle le film de
Jane Campion, La
leçon de piano). Mais le
bonheur pour qui connaît la musique... Variation sur le
rêve de l'inaccessible perfection artistique qui viendrait ici
naturellement, sans artifices, en écoutant
littéralement l'ordre des choses.
Un autre thème fantastique
classique, celui du chat maléfique, avec ses rapports entre la
femme-chatte grossissante à l'affût, qui piège
les mâles, et dont la seule joie de la vie est la
séduction et un acte amoureux sans sentiment qui ne la comble
pas. Le chat lui a été donné par une de ses
conquêtes, un homme étrange, aux mains glacées,
qui lui fait l'amour extraordinairement, mais la frappe et la conduit
bien vite aux perversions et aux messes sataniques. Ce motif de la
rencontre amoureuse avec le diable et le chat noir qui en est l'Ïil
(Luc et Lucifer), liés mais jamais présents
simultanément, est puissamment évocateur. Comment
échapper aux Yeux du chat? Ce
n'est pas si facile : le précipice est-il la seule issue?
Cette nouvelle glauque rappelle par sa brutalité Le
rendez-vous, mais elle se caractérise par son climat sexuel
particulier, qui surprend dans ce recueil plutôt sage sur le
plan érotique.
Parmi les souvenirs, les plus
puissants et les plus efficaces sont les images nostalgiques
d'autrefois, le monde de l'enfance surtout, état paradisiaque,
loin de la loi du temps qui se déroule et fuit; ou encore
celui de l'adolescence et de ses découvertes fortes, et du
théâtre de l'amour. Dans le royaume souterrain du monde
des souvenirs, chacun protège ainsi des bulles de
fraîcheur ou de force. Et que dire quand ces souvenirs
réapparaissent métaphoriquement sous la forme de boules
flottantes dans l'air, couvertes d'écriture, avec leur
fragilité, leur coloration et leur prégnance sur les
sens? L'invasion. Mais
la vie préfère les cicatrices des souvenirs à
ses enchantements. Elle n'aime pas les hommes qui ressassent leurs
souvenirs au lieu de vivre le présent, et et elle cherche
impitoyablement à les détruire, ou à les rendre
moroses. Aussi bienheureux sera le personnage d'Invasion qui trouve
au moins une de ces bulles préservée
miraculeusement.
Les nouvelles de ce trop bref recueil
ne laissent pas indifférent. La plupart jouent le jeu de
l'indécision, ne tranchant pas l'alternative entre explication
naturelle ou l'exploration d'un monde autre, à
côté, ou ailleurs. Pour comparer à celui d'une
autre femme du même âge, mais «dans le vent»,
ce fantastique de l'indécidable est à l'exact
opposé de celui de Poppy Z. Brite, dont le
succès vient de ce qu'elle recherche la beauté dans
l'horrible, le sanguinolent, dans ce que beaucoup d'autres personnes
estiment horrible ou choquant. Au désir de Brite
de révéler avec des mots la beauté
esthétique potentielle que l'on peut trouver dans la violence,
de sortir le grand spectacle de l'horrible pour en mettre plein la
vue, avec des personnages hors du commun, Patricia Jauliac s'oppose radicalement, avec un art de la suggestion et
de la discrétion dans une réalité ordinaire. Son
fantastique joue beaucoup sur l'ambiguïté des
perspectives, des visions et des focalisations. Le recueil constitue
une sorte de répertoire des possibilités de la
narration suggérée, dans l'indécidable, la
dualité demeurée irrésolue et porteuse de
mystère, le contraire de la monstration à la mode. Des
images récurrentes réapparaissent
régulièrement : la musique, la nature, un bestiaire
où apparaissent le chat et les insectes (Béance), les mouches (Le rendez-vous), les papillons noirs (Les yeux du chat). Le monde-autre, parallèle ou imaginaire, est
constamment évoqué. Jauliac manifeste une nette
orientation vers l'idéalité. Elle se montre habile en
jouant sur le langage, en rendant le lecteur complice. Elle aime
aussi le motif de la communication des mondes et leurs
imprévisibles correspondances. Ses récits sont
variés, de l'étrangeté de la «petite»,
au monde fortement caractérisé du Rendez-vous ou des Yeux du chat.
Il reste à Patricia
Jauliac de passer la cap de la nouvelle au roman. Il
faut souhaiter bonne chance à ce jeune auteur, qui
présente, dans un registre plus moderne, des correspondances
dans les techniques du récit avec Claude Seignolle qui ne lui ont pas échappé puisqu'il la
parraine.
La quatrième de couverture
:
Il faut prendre
à la lettre le titre de ce recueil qui entraîne le
lecteur dans un univers fou, où toute vie bascule vers des
mondes insoupçonnés où se mélent
rêve et réalité, présent, passé et
futur, raison et délire...
Suivez Patricia JAULIAC
...
Lalssez-la vous emmener...
Ailleurs !
J'écris,
dit-elle.
"Parce que c'est comme
ça... Comme je respire, comme j'aime ..
Parce qu' écrire fait
partie de ma vie depuis toujours.
Parce que ma tête et mon
cÏur sont pleins de rêves de tendresse, de tristesse et de joie
aussi... Parce que, dès que je vois un paysage, dés que
j'entends une musique, dès que je croise un regard, dès
que je vis, pour tout dire, un autre univers se crée en moi,
cÏur, âme et esprit, même à mon insu, et que je
n'ai de bonheur que de l'écrire.
Écrire me rend heureuse.
Partager me rend heureuse...
Faire plaisir me rend
parfaitement heureuse...
Alors, j'écris!"
Outre-Part Éditions,
Patricia.Jauliac@ifrance.com
Les auteurs
ont peur de ne plus vendre ?
OUI, et il y a de quoi...
J'étais enseignante. J'ai mis
fin à ma "carrière" pour écrire. J'ai
pésenté, par jeu, mes écrits sur mon
premier site. J'ai eu la chance qu'un éditeur visite
mon site et soit intéressé par mes nouvelles
fantastiques. J'ai eu le bonheur d'être
éditée. Nous avons eu, mon éditeur et
moi la peine de voir les distributeurs nous abandonner
(maison trop petite, auteur inconnu). J'ai tout pris en main
depuis le mois de décembre 1999. Je distribue
moi-même dans de nombreuses villes de France, je fais
toute la pub que je peux faire, et je tente de vendre un peu
par mon site, via un bon de commande. J'ai eu la chance
d'entrer en contact avec Claude Seignolle que
vous connaissez peut-être et qui est reconnu par les
universitaire etc comme un des grands maître du
fantastique. Il aime ce que je fais et me parraine. Il a lu
les publications que je prévoie quand je serai sortie
de l'auberge avec mon premier livre qui, de toutes
façons ne me rapportera jamais ce qu'il m'a
coûté. En passant, même si j'en ai assez
des soucis d'argent, je m'en moque : je ne veux que pouvoir
continuer d'écrire ! Bref, pas facile, tout
ça, que ce soit les relations avec les libraires,
avec la presse et j'en passe. Dernièrement, monsieur
Ernould, membre du C.E.R.L.I, après m'avoir fait
un article élogieux sur son site, m'a dit qu'il ne me
fallait pas rêver : avec ce que j'écris
(marginal etc.) je ne dois pas envisager de survivre de ma
plume et au mieux j'aurai le succès que Alain
Delbe a connu avec Les îles jumelles que je vous conseille de lire si vous aimez le
fantastique et si vous ne connaissez pas. Le succès ?
Tant pis : je répète, il ne sagit pour moi que
de pouvoir écrire en paix ! R. Ernould me pilote
pour que j'écrive des nouvelles pour des revues ou
des fanzines. Pas facile non plus de passer la porte quand
on n'est pas connu ! Mon site est très bien
référencé et largement visité
mais personne ou presque ne commande mon livre !
Attention, je ne me lamente pas : je
me bats et je ne baisserai pas les bras !
Mais oui, nous avons peur de ne plus
être lus !!
Mon site : Vous pouvez y commander mon
livre de façon à savoir si je fais partie des
auteurs qui ont un peu de "talent" !
http://www.chez.com/imaginations/
Cordialement
Patricia
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Roland Ernould © 2000
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.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. du site Stephen King
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