Maurice G. Dantec, Babylone Babies
Folio SF, 2001(Gallimard 1999)
Dantec est un personnage hors-norme
Avec trois romans «policiers» à son actif, dont les
deux plus épais que la série Noire et la Noire de
Gallimard aient publiés, et un récent ouvrage
inclassable, paru cette fois dans la collection blanche, Dantec est
un personnage qui agace ou séduit. Ces ouvrages violents,
ambitieux, pleins de fureur et de sang, ne lui interdisent pas
d'écouter la nuit aussi bien que du Debussy, du jazz
ou de la techno, de lire les philosophes Nietzsche ou
Deleuze. Avec une apparente maîtrise des
données géopolitiques historiques du prochain avenir,
une époustouflante utilisation d'une riche documentation
scientifique, il préfigure les écrivains polyvalents
qui risquent de marquer le siècle à venir.
Les lecteurs de La Sirène Rouge vont retrouver 20 ans plus tard, en 2013, Hugo
Cornelius Toorop, devenu, la quarantaine bien vécue, un
mercenaire désabusé, praticien assidu de l'Art de la
Guerre de Sun Tzu, sniper solitaire et guérillero des causes
perdues. Comme son auteur éclectique, Toorop lit Nietzsche
entre deux meurtres. Devenu au Kazakhstan soldat de fortune
franco-néerlandais pour le compte du FLTO ouïgour, il se
voit chargé d'une mission dont il ignore presque tout. Il
accepte d'être le chef d'un commando qui doit convoyer une
inconnue, Marie Zorn, jusqu'à Montréal, sous haute
protection. Il ignore le motif et le temps que durera sa mission, qui
va l'entraîner des plateaux désolés de l'Asie
Centrale aux confins de la cybernétique. La Chine se
déchire alors dans une guerre ethno-civile, la Sibérie
menace de faire sécession avec la Fédération de
Russie et le Québec a accédé à son
indépendance.
L'histoire dépasse vite le
simple convoyage quand Toorop apprend trop tard que Marie,
schizophrène, a servi de cobaye à des chercheurs,
qu'elle est enceinte, et surtout qu'elle se trouve l'enjeu occulte
d'intérêts dépassant de très loin les
visées apparemment purement mercantiles des protagonistes.
Toorop, auquel le commanditaire a demandé en parallèle
de collecter sur Marie autant d'informations que possible, va vite
jouer un jeu personnel. Dantec multiplie les jeux de pistes et les
investigations policières, et complique la trame sombre de son
roman de débats scientifiques et d'interrogations
métaphysiques. Aux deux réseaux criminels en
présence à l'origine viennent s'ajouter diverses
mafias, des manoeuvres de sectes post-millénaristes rivales,
des guerres de clans de motards, un groupe de robots/cyborgs
perfectionnés utilisé par un spécialiste en
biochimie moléculaire et en hallucinogènes, un
écrivain de science-fiction visionnaire, ainsi qu'une
entité particulière, machine électronique
paradoxalement vivante car dotée d'un cerveau bionique et
d'organes de perception. La jeune femme court indiscutablement un
danger, mais n'incarnerait-elle pas le danger elle-même? Avec
ce qu'elle transporte, n'annonce-t-elle pas en effet un
véritable cataclysme biologique pour l'avenir des hommes, une
déflagration sans précédent dans l'histoire de
toute l'humanité?
Ce livre, ni polar ni roman de science fiction regorge d'indications
de matériel de demain : on se fait des trips sado-maso
virtuels à la néguentropine; on transfère des
données informatiques par terabits; on assiste à
l'activité délirante de cerveaux, humains ou
artificiels, pourvus de multiples personnalités envahissantes;
on truque le robot ménager; on convertit un immeuble
montréalais en bunker pour anarchistes cyber ou
informaticiens; chamanes amérindiens et hackeuses crackent les
réseaux au moyen de Joe-Jane, la neuromatrice ADN androgyne.
Plus de limite à la fusion des genres : l'imagination de
Dantec délire dans ce monde futuriste, dévie vers
l'espionnage-techno-politique avec la hargne du style, la
véhémence des images, la force de l'imagination. Il
fait fer des quatre pieds pour démontrer son propos, car cet
homme a des idées, et il tient à le montrer.
Babylon
Babies est le récit de la
naissance de Toorop à un monde éclaté par la
réalité cyber, avec la création d'un homme
nouveau, aussi différent que nous le sommes au singe. Dantec a
lu Deleuze et Guattari et ne
dissimule pas, au contraire, cette influence (le surhomme de
Nietzsche et le schizo de Deleuze-Guattari font
bon ménage). Il tente de nous communiquer les idées
qu'il a sur le monde de demain : les hommes sont cruels et leur
programme les condamne à être des prédateurs. Ils
ont besoin de leur instinct de tuer pour pouvoir survivre et tout le
problème des civilisations est de gérer cette pulsion
de mort. Ce roman est en quelque sorte un manuel de survie
déguisé pour le XXIème siècle
puisque"le travail de
l'écrivain du XXIème siècle (est d') assembler un explosif métaphysique qui prenne
littéralement corps dans le «matériel»
humain.". L'art n'est pas
seulement, selon lui, le "dernier rempart contre la connerie", mais au contraire le moyen de la contrer. Ce
que veut nous signifier ce livre, c'est qu'en réduisant les
différences entre le vivant et la machine, l'organique et
l'artificiel, Marie Zorn, création romanesque assez fascinante
en dépit de sa schizophrénie ou à cause d'elle,
représente une ouverture vitale dans toute
société asphyxiée par une représentation
trop limitée du temps. De nouveaux états de conscience
s'offrent désormais à nous.
Dans ce livre politique et polémique, vite compliqué,
un peu lent parfois, touffu, imbrication de SF, de philosophie et de
techno-sciences, le lecteur est heureusement aidé par Toorop,
son self-control de glace, sa répartie cinglante et sa riposte
brutale, par l'homme d'action qui cherche comme le lecteur à
comprendre, prend l'initiative et fait souvent le bon choix. La toile
tissée dans Babylon Babies
est immense, l'action truculente, la fiction décapante.
Dantec, écrivain controversé apparu presque par
génération spontanée, est un de ces rares
artistes qui ont patiemment édifié leur imaginaire,
avant de le livrer au public, poussé par la déferlante
de ses lectures et la virulence de son humour, un peu de confusion,
un certain goût du paradoxe. Dantec mêle théories
scientifiques (évolutionnisme, physique quantique,
relativité), concepts philosophiques et violences
apocalyptiques. L'homo sapiens a fait son temps pour bientôt
laisser la place à l'homo sapiens «création
Maurice G. Dantec», neuromatrix, mélange d'homme machine
et de machine humaine? Le monde qu'il nous dépeint est
impitoyable : en 2013, la planète est encore plus mal en point
qu'aujourd'hui, et l'avenir plus incertain. On ne peut pas voir
Maurice G. Dantec d'un oeil froid. Une génération en
attente d'un nouveau messie un peu décadent en fait le prince
du neuro-polar, le maître du thriller cyberpunk,
annonçant la littérature de demain. D'autres, moins
enthousiastes, voient en lui un fossoyeur du roman noir, un
mégalo de la plume, un escroc falsificateur, une Cassandre de
papier, le pape du roman techno pop. oeuvre produite par pessimisme
sincère ou astuces de création d'un auteur qui s'est
donné l'attitude de rejeter le contemporain pour mieux
accoucher du futur? Mystère. En tous cas, ses personnages,
humains ou artificiels élaborés en laboratoire, qu'il
qualifie volontiers de «monstres», font froid dans le
dos.
La
quatrième de couverture :
Un mafieux
sibérien collectionneur de missiles. Un officier du GRU
corrompu et lecteur de Sun Tzu. Une jeune schizophrène
semi-amnésique et trimballant une arme biologique
révolutionnaire. Des scientifiques assumant leur rôle
d'apprentis sorciers et prêts à transgresser la Loi. Une
poignée de soldats perdus à l'autre bout du monde et se
battant pour des causes sans espoir. Des sectes
post-millénaristes à l'assaut des Citadelles du savoir.
Des gangs de bikers se livrant à une guerre sans merci
à coups de lance-roquettes. De jeunes technopunks
préparant l'Apocalypse. Un écrivain de science-fiction
à moitié dingo prétendant recevoir des messages
du futur. N'ayez pas peur. Oui, il y a tout cela dans Babylon
Babies.Non, il n'y a pas d'autre issue.
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Né le 13 Juin 1959 à Grenoble,
Maurice G. Dantec vit aujourd'hui à Montréal
après avoir passé une vingtaine
d'années en banlieue parisienne, parents communistes
: père journaliste et mère couturière.
Au lycée, il rencontre Jean-Bernard Pouy (futur
créateur du Poulpe), alors animateur culturel, qui
lui fait connaître la science-fiction des
années 60/70. Il quitte la faculté de lettres
après quelques mois, se consacre à la musique
(Artefact, punk pour l'attitude contre-culture, techno pour
le son) et gagne sa vie avec un emploi de rédacteur
publicitaire. Il s'essaie à toutes sortes de drogues
dures pour calmer ses crises d'asthme. Il travaille dans la
publicité, le marketing téléphonique,
et crée en 1992 une agence multimédia, qui ne
dure pas. Il se consacre désormais à la
littérature et au groupe qu'il a formé avec
Richard Pinhas de Heldon : Schizotrope. Il a écrit,
outre ce roman : La sirène rouge, 1993; Les racines du Mal, 1995; Le théâtre des
opérations, journal métaphysique et
polémique, 2000.
Pour le cinéma, Olivier Megaton
met actuellement en scène La sirène
rouge.
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Roland Ernould © 2001
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