Poppy Z Brite, Le corps exquis, 1999, éd.
J'ai lu.
Le droit à la
différence, dès l'instant où la divergence n'est
pas préjudiciable à autrui, a mis des décennies
à être reconnu. Brite, qui ne
met en scène que des «différents», a
elle-même dû lutter pour s'imposer aux États-Unis,
restés majoritairement puritains. Les directeurs de
supermarchés et de bibliothèques, comme pour Stephen
King naguère, sont nombreux à refuser de
présenter ses ouvrages, sous la pression des ligues familiales
et des censeurs. Cette force tranquille des «braves gens»,
bâtie sur l'ordre moral, ne veut pas entendre parler de ses
bas-fonds. Exquisite corpse, jugé choquant et révulsif, a
fait dresser une levée de protestations aux USA. Refusé
par son éditeur habituel, qui rejeta ce roman trop hard.
Heureusement les éditeurs Simon & Schuster
relevèrent le défi et le publièrent. La
traduction de Jean-Daniel Brèque
provoqua en France les mêmes réactions, créant
des perturbations chez l'éditeur de Brite. On trouvera sur la
quatrième de couverture un extrait des interventions de
Virginie Despentes et de
Marie Darrieussecq,
qui ont, jointes à d'autres, finirent par faire franchir le
pas à la direction des éditions J'ai Lu, elles aussi
hostiles à la publication du roman.
Effectivement les errances malsaines et sanglantes d'un duo de
psychopathes, homosexuels, cannibales et nécrophiles, a de
quoi choquer.Elles ont pour caractéristique de se passer dans
un milieu entièrement masculin. L'histoire de ces tueurs en
série de jeunes gens et d'adolescents provoque souvent la
répulsion. Il est certain que le cannibalisme, par exemple,
qui est suggéré proposer une réponse et une
compensation à la solitude, un moyen de s'approprier le corps
de l'autre faute de pouvoir le fréquenter, n'est pas un sujet
à approfondir lors des veillées des chaumières.
Brite a emprunté son modèle au serial
killer Jeffrey Dahmer, condamné à vie et tué en
prison par un de ses co-détenus. Brite,
provocation sans doute, dit dans une interview qu'elle aurait bien
voulu le rencontrer : pour savoir quel goût avait la chair
humaine... Avec Brite, l'horreur
change de signification et c'est la manière ordinaire de vivre
de certains qui s'inscrit dans des perspectives monstrueuses. Plus
besoin, dans ce monde décalé, des monstres imaginaires
de naguère : le meurtre, les affections et les goûts
hors nature, la réalisation des pires fantasmes sulfureux
produisent leurs monstres naturels.
Ce roman violent, brutal, excessif, témoigne d'une fascination
de la violence qui, compte-tenu de son succès de scandale,
pourrait bien être le révélateur d'une
société déboussolée, ayant
goûté à tous les plaisirs ordinaires,
n'étant plus satisfaite de rien, et cherche de plus en plus
à reculer la limite de ses appétits. Même la
contamination de l'autre par le sida devient un inappréciable
cadeau, puisqu'au lieu de l'assassinat simple, le sida laisse un
certain pourcentage de chances... Il n'y en a évidemment
aucune quand on se fait dépecer et dévorer. Le film
American
Psycho, le roman Hannibal de Harris -
admiré par Brite -qui
rencontre depuis sa sortie un succès considérable,
dû à la réputation du Silence des agneaux, maintenant Corps exquis, quelle synergie! Cette fascination pour la
révulsion fait se souvenir de l'encanaillement de ces
bourgeois européens blasés qui allaient se plonger dans
les bas fonds des capitales au XIXè siècle. D'autant
plus qu'il faut le reconnaître, le personnage en quête
d'affection qui utilise les plans les plus déments pour garder
auprès de lui ses victimes mortes, est présenté
avec sympathie, un humain comme les autres, peut-être à
plaindre plus que les autres, qui fait paraître les hommes
ordinaires singulièrement routiniers et
demeurés.
Nul doute que ce roman restera un témoignage, difficile
à dépasser ,du succès de tout ce qui touche la
culture underground dans nos sociétés qui ont perdu
leurs repères. Il faudra désormais faire attention
à ses fréquentations, quel que soit leur
séduction. En s'interrogeant avec perplexité sur les
raison qui ont poussé Brite à épouser un
cuisinier... Qui écrit des livres de recettes.
La quatrième de couverture :
Née en 1967 à La Nouvelle-Orléans,
récompensée en 1994 par le British Fantasy Award, elle
fait figure de chef de file d'une nouvelle génération
d'auteurs entre littérature underground et terreur. Son oeuvre
provocatrice dévoile la réalité froide et crue
d'une société puritaine à la
dérive.
"Le corps exquis est un roman ambitieux, une troublante histoire
d'amours. C'est probablement une des oeuvres phares de ce que les
Anglo-saxons ont accompli en littérature : donner des lettres
de noblesse à leur culture underground."
Virginie
Despentes
"Poppy Brite est une sorcière de l'écriture : elle
mélange dans son chaudron moderne des ingrédients dont
l'assemblage, aujourd'hui, illustre notre fin de siècle par le
biais de la métaphore violente."
Marie
Darrieussecq
Perversion des
âmes et poésie du macabre au service d'une des fictions
les plus noires jamais publiées sur les serial killers: sans
concession, choquante, répulsive. Un roman fascinant et
extrémiste. Un livre violent dont aucun lecteur ne sortira
indemne.
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Notice
biographique: Née en 1967 à la
Nouvelle Orléans, auteur de nombreuses nouvelles
parues dans la revue The Horror Show, récompensée dès 1994 par
le British Fantasy Award, Poppy Z. Brite
fait figure de chef de file du gothique moderne des
années 90. Entre littérature underground et
terreur, son oeuvre provocatrice (Sang d'encre {1992, à 25 ans},
les
Contes de la fée verte, Corps exquis...) dévoile la
réalité froide d'une société
puritaine à la dérive. Le fantastique de
Brite, Grand Prix de l'Imaginaire 98,
fascine ou révulse, mais ne laisse pas
indifférent.
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Roland Ernould © 1999
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