Nicolas Bouchard, Colonies parallèles,
éditions Encrage, avril 1999.
Il est peu fréquent de croiser
quelqu'un qui connaisse et sache s'inspirer du mythique Kalevala nordique, cette grande épopée populaire
de la cosmogonie finnoise qu'un patient travail de recueil des
récits oraux par le docteur Lönnrot avait permis de
sauver dans la première moitié du XIXè. Il doit
être plus rare encore de rencontrer, dans un choc original de
cultures, des descendants futurs de cette mythologie du froid faire
connaissance, en une singulière uchronie, de la civilisation
sumérienne d'il y a cinq millénaires. Et de les voir se
livrer occasionnellement à des comparaisons poétiques
entre leurs conceptions de la création du monde
réciproques... Car ces lointains descendants de la
déesse Luonnotar vivent maintenant dans un avenir
surpeuplé, devenu invivable, et se préoccupent surtout
de s'évader tout en s'enrichissant par la colonisation, tandis
que leurs enfants rêvent toujours d'animaux fantastiques les
poursuivant dans le Tuonela (ou Manala), la terre des morts. Et c'est
bien au hasard d'un choix colonial qu'ils rencontrent, les
descendants de Ninhursag, la mère de tous les dieux qui a
créé les hommes.
Pour rendre ce télescopage
compréhensible, il faut imaginer que, dans un futur
miné par une pollution ravageuse, les «familles»
(les anciens clans) ont dû coloniser des endroits supportables.
Ces hommes de 2130 disposent de possibilités de s'enrichir
différentes de la colonisation de notre planète qui a
cessé à la fin du XIXè, faute de terres à
conquérir. Ils ne sont plus limités par l'espace
géographique puisqu'ils ont les moyens de se déplacer
dans le temps en utilisant leurs «portes sidérales».
Et ainsi de choisir les endroits du passé terrestre les plus
opportuns à exploiter, où ils s'imposeront en se
faisant passer pour des dieux. Si bien que ce roman surprenant, qui
rassemble déjà les genres fantastique et
science-fiction, touche maintenant à
l'économie-fiction. Dans ce monde futur où on
achète des cités glorieuses du passé comme des
marchandises, ne règne plus que la loi du profit, dans des
systèmes d'échanges complexes où il faut par
tous les moyens garder ses marchés et le pouvoir. L'auteur
peut ainsi renouveler le thème de la colonisation, et
dénoncer les atteintes aux droits élémentaires
de l'humanité dont nos descendants semblent avoir perdu le
souvenir. Il est vrai qu'à leurs yeux, les habitants de Sumer,
berceau des civilisations proche-orientales qui se
développèrent dans l'antiquité et dont nous
sommes les héritiers, ne sont pas des hommes. Ce sont des
"parallèles", considérés avec le même
mépris et la même avidité qu'ont subis les noirs
et les indiens jadis: le massacre étant le
procédé le plus radical.
Si l'on veut connaître les
aventures de Marie-Aïno, le jeune fille du chef de la
parentèle de la «famille» Suinkoïnen, il faudra
suivre ses péripéties picaresques dans un monde
où elle ne s'en sortira que parce qu'elle a vite appris,
malgré son jeune âge, toutes les ruses que la vie
impose. Devenue reine d'Ur, elle aura à affronter un
mystérieux "homme noir" révolutionnaire venu d'un
avenir encore plus lointain pour brouiller le jeu...Des barbares
germains -eh oui!- seront également de la partie. Et aussi un
double spatio-temporel de Marie-Aïno inattendu, venu de son
futur proche pour l'aider à survivre dans un moment difficile.
Le souvenir de Marie-Aïno persistera finalement à Sumer
dans les traits de la déesse Ishtar, que l'on retrouve au
panthéon des dieux sumériens dans l'équivalent
du Kalevala,
l'épopée de Gilgamesh...
Dans cette intégration
intelligente de troublants voisinages historiques et futuristes,
l'invention est là, et de qualité exceptionnelle.
L'humour aussi. Il reste maintenant à ce jeune auteur, dont le
livre Terminus
Fomalhaut avait été
particulièrement remarqué, de trouver un style et une
expression plus personnels à la hauteur de son
imagination.
La 4ème de
couverture:
Pour la jeune
Marie-Aïno, voici venu le jour du grand départ. Toute sa
parentèle se rassemble. On prépare caisses et cartons
pour quitter le Dévonien si calme et s'installer ailleurs,
dans une nouvelle colonie parallèle. Mais pour la
première fois de l'histoire de la colonisation
parallèle, la famille Svinkoïnen venue d'un futur
surpeuplé, va devoir coexister avec d'autres êtres
humains : une civilisation sumérienne auprès de
laquelle elle va essayer de passer pour des dieux. Ce n'est pas sans
danger, comme l'apprendra bientôt Marie-Aïno.
Dans ce
troisième roman, l'auteur nous emmène 3000 ans avant
Jésus-Christ visiter Sumer, sans oublier de nous projeter dans
un futur étouffant, où l'argent-roi ouvre grand les
portes de la colonisation parallèle. Avec son sens de l'humour
et sa capacité à créer des systèmes
économiques complexes, ce jeune auteur a une belle
carrière devant lu.
Roland Ernould ©
1999
L'auteur : Nicolas Bouchard habite la région de
Limoges. Avant Colonies parallèles, il a publié deux romans, Terminus Fomalhaut (Ed. Encrage, Coll. Lettres SF, oct.97 ),
Astronef aux
enchères (Ed. Fleuve Noir,
coll. Space, avril 99,) et une nouvelle, Escapade théologique (revue Bifrost n°
12, Ed. Du Bélial, février 99).
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