Laurent Botti
Pleine
brume
éd. Robert Laffont,
8/1998.
Journaliste de 31 ans, il avoue son
penchant pour le néogothique américain et surtout
Stephen King, dont il apprécie "l'atmosphère claustrophobique". C'est mon désir de connaître un
émule français kingien qui m'a incité à
acheter ce livre.
Ne vous laissez pas rebuter par les premières pages de
présentation: elles paraissent convenues, sans
originalité particulière, avec des clichés
("Sa longue silhouette
moulée dans un tailleur impeccable"...) Mais dès qu'on entre dans l'action,
le ton change: moins descriptif, plus nerveux, souvent haché,
entrecoupé de dialogues. Et peu à peu le rythme
s'accélère, l'emprise croît, et on se trouve
hâtant sa lecture pour connaître au plus vite le
dénouement. Dans l'Express, Marie
Tourres écrit que "la
littérature policière vient de gagner un nouveau
maître." Erreur: il y a
bien des policiers au coeur de l'action, une recherche, mais le roman
est avant tout fantastique. Si enquête policière il y a,
c'est à la façon de King dans des romans comme
Salem (que lit précisément un
personnage, 102), une recherche des informations qui permettent de
parvenir à la vérité. Mais cette
vérité connue, contrairement aux romans policiers qui
se terminent avec la découverte du coupable, tout est à
faire pour les forces du bien pour vaincre les forces du mal.
Nom ironiquement donné
à une ville qui est vouée aux forces du mal et de la
nuit, Laville-Saint-Jour est une ville bourguignonne, aux monuments
anciens, étrange, en marge de l'histoire. C'est une ville
lovecraftienne: "La ville en
tous cas exerçait sur lui une fascination
morbide" (19). Sa
particularité est la brume, purée de pois londonienne
dont elle est recouverte d'octobre à mars. C'est
peut-être cette brume, omniprésente, dense,
étouffante, qui donne aux visiteurs l'impression qu'il y a des
choses obscures, anormales dans cette ville
La ville a son secret, qu'on ne
trouve pas dans les bibliothèques et les chercheurs arrivent
difficilement à reconstituer son passé. La
bibliothécaire de la ville, qui s'y trouve depuis 30 ans,
pense que "l'endroit est
maudit" et son jugement est
confirmé par "les
lectures bizarres empruntées par de nombreux abonnés de
la bibliothèque."
(219) Les habitants se taisent, dans cette ville de secret et de
mystère, dominée par un milieu de notables, qui tient
la presse et les autorités entre ses mains et leur impose le
silence. Et qui arrivent même, un moment, à couper la
ville du monde pour perpétrer le plus sombre de leurs
forfaits...
Le résumé de la couverture:
<Au printemps, Claire Hermin s'installe avec son fils
Frédéric à Laville-Saint-Jour en Bourgogne. Dans
cette tranquille bourgade, elle espère oublier la sinistre
affaire qui l'a obligée à fuir Paris. Puis arrive
l'automne, et avec lui la brume. Et dans la brume, tout est possible:
qui peut vous voir? Qui devine ce qui se trame dans l'ombre? A l'abri
du brouillard, la peur rode. Les assassins aussi. Et quand tombe la
brume, deux enfants disparaissent. On retrouve leurs corps
mutilés dans des mises en scène de cauchemar. Pour
Claire, c'est une répétition du drame qu'elle a
déjà vécu. Lui a-t-on tendu un macabre
traquenard? Qui orchestre ces crimes dans le brouillard? Que cachent
ces façades bourgeoises et ces notables tout-puissants? Et
pourquoi s'en prend-on ainsi aux enfants? Claire plonge à la
recherche de la vérité. Au coeur de la brume, un
assassin aiguise ses griffes.>
La première piste est celle d'un psychopathe, mais peu
à peu les enquêteurs s'orientent vers des sacrifices
rituels. Puis apparaît une vérité impossible,
"surréaliste, devinée sans être
appréhendée". On sent que dans la coulisse des gens
puissants, désireux de garder le contrôle de la
situation, étouffent toute tentative pour percer le
mystère. Les meurtres des enfants ne sont pas cachés,
simplement ignorés, dans la complicité de la ville. Et
même quand leurs auteurs sont connus, on les découvre
intouchables. Une femme tire les ficelles, avec comme seul souci de
perpétuer l'ordre et de lui donner, avant sa mort, un
«Maître», son petit-fils. Et, sous ses ordres, des
"mystiques, inspirés,
illuminés... Théoriciens du mal, philosophes de la
luxure, historiens du démon." (283)
Des thèmes qui n'ont guère été
traités par King: sorcellerie et sabbats, pouvoirs
d'envoûtement, satanisme. Plusieurs sectes sont
connectées au cercle de Laville, aux cultes différents,
mais qui "toutes au final prônaient la
supériorité du mal sur le bien, enseignaient des
techniques de magie noire, avaient fondé leurs dogmes sur un
syncrétisme antéchristique." (226) Et des personnages qu'on n'oublie pas:
l'exécuteur des basses oeuvres de l'ordre, jadis
sanctionné par le feu pour une faute commise, et qui
apparaît chaque fois qu'un crime est à commettre:
"Une face inhumaine, sans
peau, sans traits, sans visage, boursouflée, grotesque se
fendit d'un sourire carnassier (...). Le type n'avait plus de
cheveux, et la peau de son crâne semblait aussi monstrueusement
lunaire que son visage."
(222) L'institutrice à la sexualité masochiste sans
tabous et sans frein. Et la maîtresse de l'ordre, qui tient
tout entre ses mains de fer, ne tolère pas la moindre
défaillance, et montre la pire sauvagerie sous les apparences
de la bourgeoise bon genre... Tous des tenants d'un culte d'un autre
âge, du diable plus fascinant que Dieu.
Et des trouvailles aussi, comme la gargouille de l'église
(King a rédigé le texte d'un album de photographies sur
les gargouilles) qui obsède le futur maître avant qu'il
connaisse son destin. Elle revient dans le récit comme un
leitmotiv, et révèle le véritable aspect de la
maîtresse de l'ordre:
"Il les trouvait effectivement sinistres, ces
gargouilles. Ou plutôt non, il les trouvait
menaçantes.
Les légions de Satan. L'image s'imposa à son
esprit.(...)
Il leva à nouveau la tête vers les gargouilles,
s'attardant sur une créature légèrement à
l'écart des autres. Elle n'avait l'air ni bestial, ni
anormal.C'était une femme parfaitement constituée. Ses
traits lui rappelaient même vaguement un visage familier. En
revanche son corps semblait directement issu des contes les plus
morbides et tenait à la fois du reptile et du félin...
Une sorte de dragon. Et c'est justement ce qui était
dérangeant: le contraste entre la normalité du visage
et la monstruosité du corps." (79) Seule parmi les autres, cette gargouille a
été parfaitement épargnée par le
temps...
Et, témoignages d'un auteur
influencé par un illustre inspirateur, plusieurs citations de
King. Celle d'un livre relevée plus haut. Pour
caractériser un Américain: "Authentique produit de l'Amérique,
élevé aux productions Disney le jour et aux romans de
Stephen King la nuit." (227)
Le policier qui repousse "l'idée de conduire son enquête comme le
personnage d'un roman de Stephen King aux prises avec une meute de
vampires." (344)
Avec son imagination féconde, tissant sa toile comme une
araignée, Laurent Botti nous propose un roman passionnant,
captivant, dans le style des grands maîtres américains
du suspense qu'il cite: Stephen King, Anne Rice, Mary Higgins Clark.
Avec de temps en temps des réflexions philosophiques
kingiennes sur la place de l'irrationnel dans la vie des hommes:
"Il ne faut pas être
hermétique au bizarre" et "bizarre ne rime pas nécessairement avec
inexplicable." (348)
Une maîtrise stupéfiante pour un premier roman, qui
laisse augurer un bel avenir si l'imagination continue à
être à la hauteur de l'efficacité de la
construction. Retenez le nom de ce jeune auteur.
|
Notice bibliographique: 33 ans, né à Dijon, a
passé ses premières années au Maroc
avant de retrouver la Bourgogne à l'âge de cinq
ans. Je suis un produit mixte : "pied noir" Espagnol/Corse
par ma mère, Bourguignon par mon père... Et un
peu sans racine, car ma famille est dispersée aux
quatre coins du monde. Titulaire d'un DEUG de droit (Dijon),
et d'une Maîtrise d'Information et communication
(Paris II Assas) qui l'a conduit, au journalisme : biographe
de Serge Gainsbourg (NRJ Éditions), ancien
journaliste "grand-public" (chroniqueur Tendances sur Europe
1), collaborateur du magazine Gala . Pleine brume a été vendu à plus de
80.000 exemplaires. Son second roman, La Nuit du Verseau, vient de paraître aux
éd. Laffont (note de
lecture).
|
07/08/1999
Un courrier de l'auteur:
<J'ai
été très touché par vos éloges...
Toutefois, si vous le permettez, je souhaiterais apporter quelques
précisions. Pleine brume n'est pas un roman policier, vous
avez raison, mais pas un roman fantastique au sens "kingien" du terme
non plus. C'est avant tout un thriller : contrairement aux polars
classiques, on ne suit pas juste l'évolution de
l'enquête, mais tout autant celle de la victime ou du
meurtrier... Or, c'est bien sur cet élément narratif
(le point de vue de la narration) que se fait la principale
différence entre les deux genres. Et contrairement aux King et
traditionnels romans néogothiques, la vérité
n'est découverte qu'à la toute fin du roman, dans les
20 dernières pages (on est donc très loin de Salem, par
exemple, qui nous dévoile la vérité à la
première moitié pour ensuite nous raconter comment la
situation dégénère. De même pour Shining
-la question n'est pas : que se passe-t-il?, car on le devine assez
vite; mais plutôt : vont-ils s'en sortir?).
Si je le
précise, c'est parce qu'il s'agissait là d'un choix
délibéré : je ne pensais pas le public
français mûr pour un roman 100% fantastique, et je me
refusais à écrire un thriller "plat" du point de vue de
la psychologie des personnages ou de l'atmosphère - comme bon
nombre des productions de M.H.Clarck, par exemple. Le but
était donc bel et bien d'appliquer les règles
américaines du thriller, façon Clarck, Robin Cook,
etc... à une atmosphère néogothique. A cet
égard, le roman se situe à la croisée des
chemins (du moins m'y suis-je employé).
Enfin, j'ajoute que
si le climat du livre contribue à son atmosphère
fantastique, je laisse au lecteur de choisir "son chemin". Certains,
peu amateurs de fantastique, ont d'emblée
préféré l'explication rationnelle que je donne :
une petite ville aux prises avec une bande de notables fous.
Après tout,
j'ai écrit en pleine affaire Dutroux, qui, si elle ne m'a pas
inspiré, m'a confirmé ceci : tout est possible dans
l'horreur. Le réel est sans limite.>
Roland Ernould © 1999
..
.. du site Imaginaire : liste des auteurs
.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle
.. du site Stephen King
mes dossiers
sur les auteurs
. .
.. .
.. . ..