Jean Bonnefoy & Gérard Briais,
La forteresse de
métal
Rivages/Fantasy, 2/2001
Qualifié sans complexe par ses
auteurs "metal - opéra
- médiéval et flamboyant"(!), ce roman, promis naturellement au succès,
surprendra et plaira sans difficulté. Mélange de SF
cyber et de fantasy, sa construction s'appuie sur d'incessants
va-et-vient entre le passé du XVè et un XXIè
proche, avec, pour compliquer, des interférences et de
l'uchronie. Ont dû bien s'amuser deux auteurs qui ont beaucoup
lu et vécu, qui connaissent bien leur siècle, baignant
avec jubilation dans une pop culture parfaitement assimilée.
Le roman rappelle des aspects de William Gibson, (le
père fondateur du courant steampunk avec sa nouvelle
Johnny
Mnemonic en 1982), Roland C.
Wagner et surtout Valerio Evangelisti, qui
avait montré la voie en brouillant les cartes entre les
limites de la SF, du fantastique et de l'histoire. À ces
modèle, ils ont emprunté des passages entre les
années 1400 et 2010/20, avec un côté hilare et
plaisantin que l'on ne trouve pas chez un Evangelisti,
beaucoup plus sérieux et didactique dans ses
chassés-croisés spatio-temporels tout aussi
érudits.
On apprend évidemment - ce
n'est plus un scoop - que notre monde comporte de multiples
dimensions, mais que ces dimensions ne sont pas simplement
juxtaposées dans un univers, qui n'est plus ni plat, ni
courbe, mais "fripé". Des plans spatio-temporels
interfèrent les uns sur les autres, ce qui permet
téléportation, glissements et décalques d'une
époque sur une autre. L'univers virtuel du web fait maintenant
concurrence au réel et ce monde virtuel a subi des changements
radicaux. Avec la possibilité de "pomper" le mental
d'êtres humains, de dématérialiser des hommes
pour les envoyer dans le virtuel et dans une autre dimension,
d'accéder à des périodes anciennes (pour
l'instant le Moyen-Âge est seul accessible), tous les paradoxes
deviennent possibles. À la suite de recherches
tâtonnantes, un certain nombre d'êtres "aspirés"
mentalement se promènent ainsi depuis quelque temps sur le
web, dématérialisés, dans l'irréel, comme
des fantômes, qui ont gardé conscience et désirs.
Il est maintenant devenu possible de «cloner virtuellement»
un homme ou une femme, en téléchargeant et en
reconstituant leur personnalité entière, et de leur
donner, à partir du web, des possibilités d'action dans
une sorte de métamonde. Le virtuel devient une autre
expérience du réel, imaginaire mais pas
irréel.
L'humanité, connectée
au web ou pas, subit ces répercussions liées au
"suintement" du virtuel dans le réel. Dans un temps
où prothèses, "orthèses", extensions électroniques des perceptions sont
devenues courantes, la barrière entre l'univers
matériel quotidien s'affaiblit, faisant courir le risque, avec
la surabondance des informations de plus en plus difficilement
maîtrisables, d'un effondrement de notre civilisation sous la
forme que nous lui connaissons. Comme deux stations
télé peuvent interférer avec leur brouillage,
leur fading, leurs vues déformées ou approximatives,
des parties d'un réel jamais réalisé et
resté sous forme de plans ou de projets peuvent
apparaître dans une fracture, une courte stase de temps.
Dans ce monde d'intérêts
liés au web ou à la politiques se livre une guerre
à couteaux tirés entre puissances matérielles,
États, armées, trusts multinationaux bancaires,
industriels ou pharmaceutiques, et les puissances virtuelles (Nikendo
Corpest une de ces puissances ludiques violentes), guerre qui
paraît aussi puérile que les jeux de poursuite des
jeunes enfants, mais bien plus dangereuse. Jean Bonnefoy a traduit des oeuvres cyberpunk et a été
marqué par l'utilisation d'un contexte socio-économique
particulier (rivalités sans merci pour la maîtrise du
web par les multinationales). Plusieurs personnages aux buts
antagonistes vivent dans ces spatio-temporels différents, avec
rencontres inopinées, soit sous forme d'êtres
effectivement réels, sous une forme clonée
virtuellement, d'égoplexes, ou sous des apparences
fantomatiques. Pour les auteurs, fini le temps où le romancier
contemporain s'embarrassait à définir ce que sont un
TGV ou un CD-rom. Aussi se dispensent-ils donc le plus souvent
d'explications, laissant aux lecteurs le soin d'être
intelligents et de combler les obscurités, par
déductions et recoupements de l'histoire qui lui est
racontée et dans laquelle ils sont brutalement plongés.
Quelques explications plus longues, sous la forme de cours
magistraux, sont cependant de temps en temps nécessaires, tant
les idées et inventions des auteurs sont variées. Les
messages électroniques jouent un rôle important.
Le titre du roman est donné
par le titre d'un morceau de rock d'un groupe Magnus Magister Rhodo, dont le nom se rattache à un
épisode du Moyen-Âge (la musique tient une place
importante dans le récit. Il y est beaucoup question d'un
Ordo devenu manipulateur de la toile
spatio-temporelle (un cycle d'Ordo
est annoncé); d'un magicien médiéval; d'un
château du Moyen-Âge, qui serait le siège d'un
ordre transtemporel, lieu de rencontre des initiés,
dépositaires de manuscrits anciens et de secrets
immémoriaux; et du mot Rex, qui
apparaît longtemps dans le récit comme un sigle
énigmatique. Un personnage important, musicien à ses
heures, érudit médiéviste, qui donne à
plusieurs reprises des explications importantes s'appelle
G-J, de la première lettre du prénom des deux
auteurs qui ont additionné leurs savoirs. On lira un peu plus
loin la biographie très particulière qu'ils ont
écrite eux-mêmes, où on retrouve leurs
intérêts très variés, accumulés
dans le récit.
Composé avec intelligence et
érudition, rédigé avec une écriture
électrique influencée par le rap, créant une
nouvelle imagerie et une nouvelle poétique auxquelles les
techniques modernes donnent leur substance, ce roman
techno-médiéval qui finit brillamment dans le chaos
total d'une déchirure du temps que les commentateurs du web
attribueront à un bogue spatio-temporel, sera lu avec
avidité par tous ceux qui s'intéressent au web et
à ses évolutions possibles.
La
quatrième de couverture :
La toile vous
permet de circuler dans l'espace... Mais si elle vous permettait
aussi de circuler dans le temps?
1436. Dans les campagnes dévastées par la guerre, le
capitaine Oudart de Fiel erre parmi les cadavres. Une bien curieuse
rencontre va faire basculer son destin...
2013. Lara Van Dyken reçoit un e-mail signé par un
mystérieux inconnu et daté de 1436 : «Au
commencement, il y avait... Qu'y avait-il
déjà?»
2019. Alors que l'empire des «sept soeurs», les plus
grandes corporations technico-industrielles, domine le monde, Madison
Carl Yarborough, adepte des jeux visuels, trouve la mort, une dague
plantée dans la gorge, au terme d'une partie
endiablée.
Et tout près de nous, en Xaintrie, se prépare un
concert exceptionnel qui changera à tout jamais le visage du
rock... et de l'histoire du monde.
Conçu comme un rock-opéra
techno-médiéval, La Forteresse de métal entraîne le lecteur dans les
recoins inexplorés de la réalité virtuelle,
à la rencontre d'Ordo, le grand webmestre qui gouverne la
toile spatio-temporelle.
Biographies.
Roland Ernould © mars 2001.
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Depuis sa naissance en 1950,
Jean Bonnefoy court après le succès et la
renommée internationale. Affligé (ou
gratifié ;-) ?) d'un ego pour le moins
surdimensionné, a cru un temps être un
urbaniste génial (72-75), puis un essayiste
génial (72-...), puis un auteur et un nouvelliste
génial (74-...), puis un journaliste génial
(75-76), puis un illustrateur génial (75-77), puis un
musicien génial (76-82), puis s'est résolu
à cocher la case "génie génial mais hélas
méconnu".
Entre-temps, s'est fait un petit nom comme traducteur (de
Gorbatchev à Douglas Adams,
de Clancy
à Gibson,
Jack Womack,
d'Asimov
à Neal
Stephenson),
chroniqueur, journaliste (Horizons du Fantastique,
Écrivains, Fluide glacial, Rail Miniature Flash,
L'Ordinateur individuel, Univers interactif,
Playboy), graphiste,
musicien de rock énervé avec Gaudí,
Neutrino, Dicotylédon, les Los Gonococcos, que ce
soit sur disque ou lors d'une tournée
mémorable, sans compter d'autres pitoyables
délires. Aux dernières nouvelles, il
sévirait encore...
Né en 1948, Gérard Briais
a retiré d'une enfance très solitaire une
forte tendance à la création de mondes
intérieurs complexes qui se traduisent très
tôt par une orientation artistique : Ecole des
Beaux-Arts, peinture, architecture, urbanisme avant de
s'orienter vers une carrière dans les couloirs
feutrés des ministères et des
responsabilités dans la fonction publique. Mais cela
ne l'a pas empêché de continuer à
exposer, écrire, voyager, créer des
entreprises (il a été parmi les premiers
à introduire en France le home-cinéma et les
techniques vidéo de pointe.) Incollable sur
l'histoire médiévale, le jazz, le
cinéma américain, l'automobile classique,
l'aviation et la marine de guerre, les whiskies pur malt et
les bourbons, autant de sujets qui nourrissent
également son imaginaire pictural.
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Roland Ernould © 2001
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