Ayerdhal, Keelsom, Jahnaïc, Cybione 3

Première édition>>>J'ai lu Poche, 2001>>>

 

Deux aventures de Cybione nous sont connues depuis bientôt dix ans, avec le premier titre éponyme, et un second, Polytan, paru deux ans plus tard en 1994, au Fleuve Noir comme le précédent. Les romans avaient surpris par leur banalité après le flamboyant La Bohême et l'ivraie, vaste space-opera de 1990 et Mytale. L'attitude réservée de la critique et des lecteurs avait dû refroidir Ayerdhal. Mais après le succès d'Étoiles mourantes, co-écrit avec Jean-Claude Dunyach (1999, Prix Tour Eiffel) et l'excellent accueil réservé à la réédition l'an dernier de La Bohème et l'ivraie, il s'est décidé cette année à donner une suite aux tribulations de Cybione.

L'originalité du sujet tient à l'existence de Nahm, ou Cybione, dont le nom vient de sa nature : CY (bernetic) BI(ologic) (cl)ONE, jeune femme tueuse à l'intelligence et aux capacités hors du commun obtenues par bionique. Quand Cybione meurt, les spécialistes d'Ender, sa planète d'origine, peuvent la régénérer. Devenue en quelque sorte immortelle, Cybione est ainsi envoyée pour réaliser des missions impossibles autant de fois qu'il est nécessaire. Ender est une organisation politico-paramilitaire déguisée en assureur mondial, qui expédie Cybione vers une mort assurée sur diverses planètes (Lem et Cham ont fait l'objet de sa visite dans les deux premiers tomes). Comme Cybione est régénérée à partir d'un modèle bionique, elle perd à chaque résurrection sa mémoire antérieure. Elle n'a aucun passé, bien qu'elle soit plus que centenaire, et doit recommencer comme neuve ses péripéties et ses amours. C'est une trouvaille pour un romancier paresseux que d'inventer ainsi une héroïne dont la série des aventures n'a pas de fin...

Pour la treizième fois et sans le savoir, elle se trouve à Keelsom, capitale de la planète Janaïc. Elle sait seulement que sa mission (suicidaire comme les précédentes) est contrariée par les Spads, de mystérieux mercenaires désireux de l'éliminer. Ender désire remplacer une république de paille en démocratie stable, par le biais d'une curieuse assurance sur la Constitution... Cybione y rencontre un artiste peintre, champion d'un sport qui est l'équivalent de notre football, et auquel elle offre son pucelage neuf. Elle s'assure, pour les besoins de son enquête, la collaboration du père, ex-policier devenu détective, qui a des relations partout. Elle rencontre une noire pittoresque, chez laquelle elle loge un certain temps, transformant, grâce à son programme génétique, sa peau blanche en noire pour mieux se fondre dans la population de Jahnaïc, ce qui permettra par ailleurs à
Ayerdhal d'assurer de façon plus astucieuse qu'efficace la fin de l'histoire. Elle rencontre aussi un chamane des temps passés, qui par la magie attachée à sa fonction lui fait recouvrer une partie de ses souvenirs disparus, savoir dont se servira efficacement Cybione. Ce qui laisse supposer que la prochaine Cybione pourra démarrer sur des bases renouvelées.

le premiervolume

 

Il faut être honnête et prévenir le lecteur qu'ils ne doivent pas s'attendre à un roman du niveau qu'Ayerdhal peut assurer quand il en a le temps ou le goût. Ayerdhal s'est plusieurs fois plaint qu'un romancier ne peut vivre qu'en faisant des romans courts et alimentaires. On trouve évidemment dans Keelsom, selon les convictions gauchistes d'Ayerdhal, l'étalage des magouilles des pays faussement démocratiques, et une vision très rousseauiste d'une guérilla anarchisante et non destructive, mais sans que l'auteur insiste beaucoup. Il faut admettre qu'Ayerdhal trouve son plaisir dans des recherches concernant le contenu de ses oeuvres littéraires : le space opera avec La Bohême et l'ivraie (1990), L'histrion (1993), Sexomorphoses (1994), Étoiles mourantes (1999), autant d'hommages à Dune, l'oeuvre magistrale de Frank Herbert. Balade choreïale (1994) space-opera aussi, est plutôt tourné vers la fiction politique; Demain, une oasis (1992) pratique l'anticipation spéculative; Mytale (1991) s'oriente vers la fantasy, Parleur ou les chroniques d'un rêve enclavé (1997) vers l'uchronie moyenâgeuse. Consciences Virtuelles (1998) donne dans le roman policier. Avec Cybione (1992), Polytan (1994) et aujourd'hui Keelsom, c'est le roman d'espionnage, qui intéresse Ayerdhal, sans qu'il y atteigne des niveaux antérieurs.

Ses personnages en effet sont plus caricaturaux que solides : la nana douée qui assure, les services d'une démocratie pourris, la bonne négresse, le potentat d'Ender horrible, le flic veuf inconsolable sorte de Job dont le dieu Jah est devenu l'adversaire personnel, son fils amoureux éperdu, le bon vieux chamane aveugle. Suspense, rebondissements, sexe, violence, gadgets électroniques, les aéros qui s'écrasent, tout y passe dans le seul souci du divertissement.
Keelsom est convenablement écrit et agréable à lire, des dialogues sont savoureux. Le lecteur passe un bon moment s'il n'en demande pas trop. L'année dernière, les tomes 1 et 2 (Cybione et Polytan) avaient été réédités par J'ai Lu Poche.

La quatrième de couverture :
En Jahnaïc, on chante le reggae, on boit du rhum, on joue au futchibol et on fume la ganja. Parfois on assassine aussi un ministre ou on fait sauter un commissariat...
Tout ça est cependant un peu réducteur. C'est en tout cas ce que pressent Elyia Nahm, sans comprendre vraiment quelles raisons poussent l'Agence Ender à s'intéresser à cette jeune et fragile république sans histoires. Encore qu'il paraisse normal que l'assureur des constitutions de mille mondes envisage de garantir la démocratie jahnaïcaine; après tout, c'est sa vocation.
Mais quels buts poursuivent alors ceux qui s'obstinent à lui mettre des bâtons dans les roues?

 

Auteur d'une quinzaine de romans remarqués, tout à tour lauréat du Grand Prix de l'Imaginaire, du Prix Ozone et du Grand Prix Tour EiffeI, Ayerdhal est considéré comme l'un des chefs de file de la science-fiction française. Avec La Bohème et l'Ivraie est l'un de ses meilleurs romans, il a ainsi montré que le Space Opera, qui jusque là était surtout un genre dominé par la SF anglo-saxonne, pouvait être abordé par les français, en y apportant une nouvelle fraicheur. "Son goût pour la politique, son sens des personnages - surtout les femmes-, sa gouaille provocatrice et son intérêt pour la stratégie lui ont permis de réaliser une synthèse idéale entre l'innocence nécessaire à l'exercice du roman d'aventure et la lucidité de l'observateur." Le Prix du Roman Tour Eiffel Science-Fiction 1999 a été décerné le 1er juin 1999 à Jean-Claude Dunyach et Ayerdhal pour Etoiles Mourantes (J'ai Lu). Lauréats à eux deux d'une dizaine de prix littéraires, Ayerdhal et Jean-Claude Dunyach se sont rencontrés pour mettre en commun leurs connaissances et leur imaginaire. Il leur a fallu quatre ans pour écrire et récrire Etoiles Mourantes, un livre-univers qui, de leur propre aveu, les dépasse tous les deux.

Roland Ernould © 2002

..

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

mes dossiers sur les auteurs

. . .. . .. . ..