. KING ....... contre. LA
GUERRE
.......
DU.......VIETNAM.
l'homme et le
conflit.
"Pour
moi, ce fut la fin d'un doux rêve... et le commencement d'un
cauchemar."
9
King fait partie de la
génération qui, en 20 ans, a vécu des
années dans le rêve de l'universalité
libératrice du pouvoir américain pour prendre
brusquement conscience de la fragilité de sa mission et de la
perte de ses valeurs humanistes. Au début des années
60, quand débute Coeurs perdus en Atlantide, le premier recueil à consacrer autant de place
au Vietnam, l'American way of
life paraît devoir
s'étendre sans limite, lié à
l'épanouissement du système industriel, aux
progrès à chaque instant visibles, au confort, à
la fois matériel et intellectuel, accordé à un
système de valeurs traditionnelles, fortement
rattachées à la tradition protestante ou puritaine, qui
paraissent intangibles au plus grand nombre. Mais, peu à peu,
des réalités désagréables sont mises en
évidence. Coeurs perdus en Atlantide est un titre symbolique2. Paré de multiples vertus, le continent mythique
de la prospérité, de la justice et de la paix
définitive, celui des jeunes années, qui a fait
rêver, a maintenant disparu sous les flots, comme la chanson
éponyme qui donne une partie de son titre au récit :
"Et j'entends Donovan Leitch
qui chante sa chanson douce et stupide sur le continent perdu de
l'Atlantide. (...)
Je dois faire l'effort de me
rappeler que nous n'étions que des gamins, encore assez petits
pour mener notre existence aux brillantes couleurs sous les
champignons, les ayant toujours pris pour des arbres, des abris sous
l'abri du ciel. Je sens bien que tout cela n'a pas vraiment de sens,
mais c'est le mieux que je puisse faire : Vive
l'Atlantide." (272)
.. du site ..
Photo de couverture du
Maine
Campus du 15 janvier 1969 :
King chevelu et barbu, avec un fusil à deux
canons.
King y avait sa rubrique
King's Garbage
Truck (le camion-poubelle de
King)
|
L'ATLANTIDE.
Les
États-Unis en crise.
Pendant les années de
formation et de transition à l'âge adulte aussi bien de
King que de Straub3 (en gros, de 1960 à 1975), les États-Unis
ont vécu la crise intellectuelle et morale la plus
déroutante de leur jeune histoire. Cette crise a
ébranlé le système de valeurs sur lequel se
fondait la civilisation américaine. Le mythe de la
démocratie et de l'égalité des chances est remis
en question par la course à la consommation, la corruption et
une éducation à plusieurs vitesses. Sur le plan
interne, les revendications des Noirs et les émeutes raciales
sapent le mythe de la démocratie et le dogme de
l'égalité des chances. La crise urbaine se
développe, avec la découverte d'une Amérique de
la pauvreté et de la dégradation des valeurs
(alcoolisme, drogues, criminalité), et de la marginalisation,
qui paraît irréversible, d'une partie non
négligeable de la population. L'espoir de l'enrichissement de
tous par la société industrielle avancée tient
difficilement devant la crise urbaine, la prise de conscience des
désastres écologiques et l'extension de la
paupérisation simultanément à la constitution de
fortunes fabuleuses.
Il faut ajouter à cela un phénomène social
particulier, dont les conséquences n'avaient pas
été appréciées, celui de
l'émancipation de la jeunesse. Les jeunes américains
des années 60 sont plus nombreux que ceux des
générations précédentes
(conséquence du baby-boom de l'après-guerre). Bon
nombre de ces enfants des classes moyennes ont été
élevés suivant les théories libérales
d'éducation du Dr Spock, dont le
livre Comment
soigner et éduquer son enfant (1952) s'est vendu à 24 millions d'exemplaires
et se trouve alors dans beaucoup de foyers américains :
méthodes d'éducation en douceur, plus grande autonomie
par rapport à la famille et à l'éducation
étaient devenus les préceptes éducatifs à
la mode, en rupture avec l'éducation plus contraignante des
générations précédentes. Et, autre
élément non négligeable, avec un pouvoir d'achat
plus élevé, une alimentation plus abondante et une
meilleure hygiène, la maturité physiologique et les
revendications sexuelles deviennent plus précoces.
Un fossé va insensiblement se
creuser entre les générations avec la mise en
circulation des idées novatrices de philosophes marxistes et
freudiens, Wilhelm Reich, Herber
Marcuse, Eric Fromm. Quand la
génération de King et
Straub arrive à l'adolescence, l'influence de
ces idées, une musique plus politisée comme celle du
rock ou des nombreux courants musicaux qui apparaissent et
disparaissent sans cesse4, conduit à l'élaboration d'une
contre-culture, qui expérimente de nouveaux modes de vie
fondés sur la libération des tabous et la
convivialité5. Des formules comme : «interdit d'interdire»,
ou «faites l'amour et pas la guerre»,
répétées sans cesse par quelques
«libérés», modifient lentement les esprits.
Les premiers troubles étudiants éclatent pour des
motifs comme l'accès aux chambres des filles, ou
l'insuffisance de la liberté d'expression. Dès 1964,
à Berkeley, en Californie, surgissent des mouvements contre le
mandarinat universitaire, pour davantage de libertés, avec un
mot d'ordre : ne faites pas confiance aux plus de trente ans. Le
mouvement hippie apparaît quelque temps plus tard, revendiquant
le "flower
power" 6 : le droit à la différence, la
défense des minorités ethniques (nombreuses
manifestations pour les droits des Noirs), religieuses, sexuelles.
Les beatnicks, et un de leurs leaders, Jean Kerouac, mettent
en cause la course à la puissance économique, aux
armements, la fausse richesse matérielle. Le résultat
de ces diverses influences est que l'imagination et l'amitié
doivent prévaloir. Le travail et la réussite sont
désacralisés au profit de la vie dans l'instant.
Sur le plan externe, la doctrine
indiscutée de l'universalité de la mission
justicière et pacificatrice vole en morceaux avec la guerre du
Vietnam. À toutes les transformations internes à la vie
du pays et au quotidien des Américains, qui, on l'a vu,
marquent profondément la vie de cette époque, vient
s'ajouter cette guerre qui fut la première à
pénétrer quotidiennement dans les foyers par les images
télévisées. Ses effets sont amplifiés par
la concurrence des chaînes de télévision, qui
veulent étaler toujours davantage de spectaculaire pour mieux
diffuser leurs spots publicitaires. Cette guerre a paru, à ses
débuts, lointaine, en marge de la vie quotidienne, une de ces
opérations de maintien de l'ordre habituelle aux USA. Mais peu
à peu, avec l'envoi de plus en plus nombreux de jeunes gens
sur le théâtre d'opération, les morts qui
reviennent, le Vietnam devient source d'inquiétude et de
bouleversement. Dès 1966, date où commence la seconde
novella, la guerre du Vietnam prend le pas sur le problème
noir. Le mythe de la mission justicière et purificatrice de la
nation - qui pouvait justifier sa mission de gendarme
éclairé du monde - s'effondre à cause de la
guerre au Vietnam, les mensonges et le soutien à des
régimes corrompus. Le masque de la suprématie morale et
spirituelle des États-Unis tombe et révèle le
vrai visage d'un pays surtout préoccupé d'une
stratégie mondiale de contrôle, appuyé sur une
suprématie indiscutable dans le domaine de l'armement.
Conclusion de cette évolution : l'Amérique d'hier est
en crise. À la bonne conscience américaine se
substituent des interrogations, ou des constatations. Non, les USA ne
sont pas pacifistes, mais dominateurs et impérialistes. Non,
ils ne défendent pas les libertés des minorités,
mais cherchent leur soumission. Oppresseurs, sans égards pour
les droits de l'homme, les USA, pour la génération de
King, ne sont plus l'Amérique pionnière qu'on leur
proposait dans les années 50. Comme l'Atlantide
géologiquement jadis, cette grande île mythique disparue
sous les flots de l'océan, l'Amérique est en train de
sombrer.
Comment King
a-t-il vécu cette époque?
Tous ces bouleversements apparaissent
en filigrane dans l'oeuvre de King. Il a bien expliqué
dès 1981, dans Anatomie de l'horreur 7, que la fonction essentielle des romans ou des films de
fiction ou d'épouvante était d'expulser nos
démons intérieurs, y compris les politiques. Quels sont
les démons politiques de King ?
La
première fracture.
Enfant, comme beaucoup de jeunes
Américains, il a été imprégné de
l'esprit pionnier : "Nous
avions une formidable Histoire 8 à notre
disposition (...). Tous
les instituteurs de ce pays connaissaient les mots magiques qui
enchantaient leurs élèves; deux mots qui
étincelaient comme une splendide enseigne au néon; deux
mots d'une puissance et d'une grâce presque incroyables; et ces
deux mots magiques étaient : ESPRIT
PIONNIER."
Il est certain que les jeunes
essaient de construire mentalement leur vie future et que leur
idéalisme les pousse facilement à aimer les
idées de générosité, de grandeur et
d'enthousiasme. King est comme les autres enfants de son âge.
Mais il y a chez lui une caractéristique psychologique, une
inquiétude plus importante que la moyenne, qui fait qu'il ne
peut être heureux que rassuré. Il a gardé cette
particularité à l'âge adulte et c'est une
composante de son oeuvre de première importance. Comme lui,
ses "contemporains ont grandi
dans la sécurité que conférait l'ESPRIT PIONNIER
américain, ils apprenaient par coeur toute une litanie de noms
qui en étaient le symbole. (...)
C'étaient des
Américains gorgés d'ESPRIT
PIONNIER. Nous étions,
nous avions toujours été les meilleurs d'entre les
meilleurs. Et quel avenir grandiose nous attendait!".
C'est en 1957, année de
l'envoi par les Russes de leur satellite Spoutnik, qu'une partie de
l'univers mental du jeune Stephen est atteint. «L'esprit
pionnier» fut "le berceau
de théorie politique élémentaire et de
rêverie technologique qui a protégé mes
contemporains et moi-même jusqu'à ce jour d'octobre
1957, où le berceau est tombé par terre et que nous en
sommes tous sortis pour de bon. Pour moi, ce fut la fin d'un doux
rêve... et le commencement d'un cauchemar." 9. Les meilleurs ne sont plus les meilleurs, la
première puissance du monde est dépassée par sa
rivale... Il fallait réagir, ne pas se laisser
dépasser. Et contrer le communisme partout où il
pouvait gagner de l'influence.
La
deuxième fracture.
Depuis la guerre de Sécession
(1861-1865), aucun conflit n'a marqué plus profondément
les États-Unis que la guerre du Vietnam (1964-1975). Tous les
soirs étaient diffusées des images de combats, et le
nombre de correspondants de presse a été
particulièrement important, la plupart des grands journaux et
revues couvrant l'événement. Pour la première
fois, la guerre était introduite dans les foyers, mais en
même temps banalisée par les images publicitaires qui
s'y inséraient, à tel point que les sociologues ne se
sont demandé si elles n'ont pas contribué à
anesthésier plutôt qu'à révolter les
téléspectateurs. Les dirigeants ont alors compris que
les images de violence et de sang étaient les meilleurs moyens
d'attirer les téléspectateurs. Comme
simultanément la télévision était
dénoncée par Nixon et le pouvoir, les
téléspectateurs ont éprouvé des
difficultés à trouver leurs repères.
Largement diffusée par la
télévision et la presse, elle a perturbé
gravement l'esprit de millions d'Américains. En divulguant les
drames et les horreurs qui régnaient au Vietnam, les
médias amenèrent la contestation du rôle de
l'État et un large refus de la guerre et des activités
économiques qui lui sont liées (ce qui rejoint par
ailleurs l'écologisme).
Quelques
faits pour se retrouver dans les textes.
De 1963 à 1968, le contingent
américain est passé des 16.000 conseillers
militaires» au Sud-Vietnam à 1/2 million de
combattants.
Contre le Nord-Vietnam (VietnamN),
les Américains firent rapidement usage du napalm, puis des
défoliants en quantité importante (agent
orange)10, pour lutter contre la guérilla.
Les Américains ont
été longtemps dans leur majorité favorables au
gouvernement (Johnson bénéficiait selon les sondages de
67% des voix). La guerre froide a pris de l'intensité et les
USA ont eu peur de la guerre atomique et d'une troisième
guerre mondiale. Leur grande crainte est d'éviter que le
Vietnam-Sud tombe entre les mains des communistes, aidés
à la fois par l'URSS et la Chine. D'autant plus que le
régime du Vietnam-Sud est devenu corrompu, et que se constitue
contre lui un Front National de Libération (Vietcong), qui
bénéficie d'un soutien populaire de plus en plus large.
La guerre prendra d'abord une forme diplomatique. Une aide importante
(armes, vivres, argent) sera apportée massivement. Les USA
représentent alors la démocratie hésitant
à employer les grands moyens et multipliant les
déclarations et les rodomontades pour ne pas utiliser sa
force.
Puis à partir de 1967,
l'hostilité ira grandissante. Peu à peu la lassitude
des horreurs de la guerre, montrées à
satiété, laissa la place à un mouvement en
faveur d'une paix. Les Américains furent sensibles au fait que
les civils furent les principales victimes de la guerre. Ils prirent
aussi conscience que l'impressionnante puissance de feu
américaine était vainee devant les méthodes de
guérilla et la foi des adversaires et que, faisant de moins en
moins dans le détail, les Américains devenaient
à leur tour des fauteurs de guerre et non des combattants de
la paix.
Quelques
dates.
En 1954, la conférence de
Genève oblige la France à quitter l'Indochine,
divisée en deux : la République Démocratique du
Vietnam au Nord, pro-communiste; la république du Vietnam au
Sud, pro-occidentale. Les élections prévues en 1956
n'ont pas lieu. Sous Kennedy, envoi de conseillers. 1er
américain tué.
1964 : torpillage de 2 destroyers
américains dans le golfe du Tonkin). Le Vietcong attaque la
base de Biên Hoa. Le Congrès autorise l'intervention au
Vietnam.
Fév. 1965 : Johnson (1963-68)
ordonne le bombardement continu au nord du XXè
parallèle. Bombardement d'Hanoï.
1966 : raids sur Hanoï,
Haïphong et des places-fortes communistes.
Les négociations entreprises depuis 1965 par Johnson sont
arrêtées.11
1967. Le VietnamN attaque le
Laos.
Janv-fév. 1968 : offensive du
Tet par le VietCong. Lourdes pertes.
1969 : Nixon (1968-1972-1976). Marche
pour la Paix (250.000 manifestants) à Washington. Début
du retrait des troupes américaines.
1970 : bombardement de la piste
Hô Chi Minh.
1971 : l'offensive pour couper la
piste Hô Chi Minh est abandonnée.
1972 : le VietnamS envahi par le
Vietnam N. Les troupes américaines quittent le pays.
1973 : fin de l'engagement
américain au Vietnam.
déc. 1974 : les communistes
marchent sur Saïgon.
19 avril 1975 : chute de
Saïgon.
1976 : réunification du
Vietnam.
À noter la première condamnation (à la prison
à vie) du Lt William Colley en 1971, pour le meurtre
prémédité de 22 Vietnamiens à My Lai (en
1968)
Pertes américaines : 58.000
morts, 300.000 blessés, 2.273 officiers disparus.
KING ET CE
TEMPS.
King a 19 ans quand, boursier et vivant de petits boulots,
il entre à l'Université du Maine. Il vient d'un milieu
quasi-rural, conformiste, conservateur, à l'esprit solidement
religieux : "Lorsque je me
présentais à l'université du Maine, en 1966, il
y avait encore un autocollant Goldwater 12, en lambeaux et
décoloré mais cependant tout à fait lisible
(AuH2O-4-USAi)
13 sur le
pare-chocs de la vieille Oldsmobile familiale dont mon frère
m'avait fait cadeau."
Il subit, comme beaucoup d'étudiants
américains14, une sorte de cataclysme mental, mélangeant dans
ses revendications, sans trop se soucier de cohérence, les
libertés universitaires, le droit de porter les cheveux longs
et de s'habiller à sa guise, la libération sexuelle, le
droit de vote à dix-huit ans, la responsabilité de
l'industrie en matière de pollution, la dénonciation de
la corruption, la lutte pour la Paix et contre le Vietnam. Comme le
raconte une étudiante dans L'Accident :
"Durant toute cette longue
période, elle n'avait plus pensé à Dan, oubliant
jusqu'à son nom. Pendant huit mois, elle n'avait pensé
à rien. Le pays entier avait été en proie
à des désordres de toutes sortes sans qu'elle y ait
prêté attention. Ni aux flics, ni aux émeutes de
cet été de violence. La radicalisation politique des
dirigeants noirs, leur durcissement, les ghettos en proie aux
flammes, leurs habitants devenus les cibles des fusils à
pompe, Sarah n'en revenait pas d'être passée au travers
de tout cela dans l'inconscience la plus complète. Heureuse
simplement de s'en être si bien tirée. D'autant que
maintenant les choses étaient rentrées dans l'ordre et
qu'il n'y avait plus rien à redouter." (25) Les
étudiants américains - comme durant le même temps
leurs homologues français - vont rompre les ponts non
seulement avec leur société, mais aussi leur milieu
familial. Parents et enfants ne se comprennent plus, se
tolèrent tout juste. L'explication de l'homme de la rue des
désordres étudiants : "Ce qui débloque chez eux, je vais vous le dire :
ils font un empoisonnement au Vietnam. C'est un type nommé
Lyndon Johnson qu'a raté la tambouille. Alors ils sont
allés voir le docteur Nixon, qui leur a affirmé qu'il
allait régler ça. Faut bouffer davantage, leur a-t-il
prescrit. Et crac, ça a été
l'indigestion." (un chauffeur
de taxi, L'accident,
47).Les parents les plus conservateurs ont vu avec effroi
leur progéniture se transformer en monstres15.
À l'intérieur
même de l'université, la nature de l'enseignement s'en
ressent16. Dans Ça, Bill
Dendrought, étudiant à l'Université du Maine
où se trouvait King à la
même époque, fréquente un singulier cours
d'écriture créative : "Il y a un petit gros qui ne peut pas (ou ne veut pas)
s'exprimer autrement qu'en grommelant. Il a écrit une
pièce avec neuf protagonistes. Chacun ne dit qu'un seul mot.
Peu à peu, les spectateurs se rendent compte que lorsque l'on
met les mots à la queue leu leu, on obtient : «La guerre
est l'arme des marchands de mort sexistes.» La pièce a
reçu la meilleure note, A, du type qui enseigne en Eh-141
(séminaire supérieur d'écriture
créative). Ce prof a lui-même publié quatre
volumes de poésie, outre sa thèse, tout ça aux
Presses de l'université. Il fume du hasch et porte un badge
pacifiste. Le grommeleur obèse voit son oeuvre montée
par un groupe de théâtre guérillero, pendant la
grève contre la guerre du Vietnam qui a réussi à
fermer tous les campus en mai 1970. Le prof joue l'un des
personnages." (133)
King fait parfois de singulières comparaisons, comme
dans Le
radeau, où la tache
mystérieuse qui vit sur l'eau d'un lac a capturé un
adolescent : "Lorsqu'il
regarda à nouveau, la cage thoracique de Deke était en
train de disparaître dans la fente. Ses bras, levés et
écartés, le faisaient ressembler à une
obscène parodie de Richard Nixon exécutant ce V de la
victoire D qui avait rendu fous les manifestants des années
soixante et soixante-dix.
Il avait les yeux ouverts. Il tirait la langue en direction de
Randy." (326)
Plusieurs fois, King
reprend sa propre situation, la découverte de la politique
à l'entrée de l'Université et notamment de la
lutte contre la guerre du Vietnam : "Les seuls prêtres dont l'action politique ne
l'avait pas indisposé, c'étaient ceux qui avaient
milité contre la guerre au Vietnam. Maintenant que leur cause
était périmée, ils passaient leur temps à
évoquer les marches et les rallyes, comme les vieux couples
évoquent leur lune de miel ou leur premier voyage en
train." (155),
pense un prêtre dans Salem. Ou encore
: "Johnny ne s'était
jamais intéressé à la politique, sauf pendant la
guerre du Vietnam."
(L'accident,
250)
Il semble que King,
entré en fac en 1966, date où se passe Coeurs perdus en
Atlantide, ait mis quelque temps
à réagir, et la novella témoigne que sa prise de
conscience politique n'est pas très nette pendant les premiers
mois d'université : "A
l'époque, je me trouvais à l'Université du
Maine, et bien que je sois entré en fac avec des opinions trop
conservatrices pour devenir un gauchiste pur et dur, ma vision du
monde s'était altérée dès 1968
après que je me fus posé certaines questions
fondamentales."
17
L'homme qui en sort (encore que
King soit une sorte d'éternel adolescent) n'est plus
celui qui est entré :
"En 1970, quand je quittais l'université, je ne
possédais plus de voiture; j'avais par contre une barbe et des
cheveux qui me descendaient jusqu'aux épaules, ainsi qu'un sac
à dos avec un collant qui proclamait : RICHARD NIXON EST UN CRIMINEL DE GUERRE."
(271)18 Entre autres lectures, il a été
marqué par un roman de Jack Finney19,dont il cite un passage qui l'a particulièrement
frappé : "Je
suis (...)
un homme ordinaire; comme les
autres, j'ai gardé de mon enfance le sentiment que ceux qui
nous dirigent sont mieux informés que leurs concitoyens, que
leur jugement est supérieur au nôtre; en un mot, qu'ils
sont plus intelligents que nous, simples mortels. Il a fallu le
Vietnam pour que je comprenne enfin : les décisions majeures
émanaient parfois d'hommes qui n'étaient ni plus
intelligents ni mieux informés que nous, simples
mortels." 20
Ce fut pour lui une "découverte
bouleversante", mais il ne
lui fut pas possible d'adhérer au "mouvement de paranoïa galopante" qui avait envahi le pays et qui avait
"complètement
déboussolé" sa
génération. Le républicain qu'il était se
transforme en indépendant, puis en "scummy radical bastard" 21 (traduction libre : en un bâtard radical
merdique). À noter qu'il se déclare cependant fier
d'être américain et de croire en la Déclaration
d'Indépendance et la Constitution22.
King et le
Vietnam dans son oeuvre.
2. 2.
Aussi, quand King se met à écrire, c'est
tout naturellement que des idées contestataires de cette
société décriée vont apparaître
dans certains de ses romans. Quand lors de l'écriture de
Le
Fléau, il note :
"Nous souffrions de la
première crise de l'énergie de l'histoire, nous venions
d'assister à la débâcle de l'administration Nixon
et de la première démission présidentielle de
notre histoire, nous venions de subir une défaite humiliante
en Asie du Sud-Est, et nous avions à affronter tout un tas de
problèmes intérieurs, de la controverse sur
l'avortement à la spirale inflationniste." 23
Les notations concernant le Vietnam et l'utilisation de situations
s'y référant sont nombreuses dans King,
en disparaissant après les Tommyknockers,
après avoir atteint un plafond dans Simetierre. Elles réapparaissent dans Désolation, en 1996, avec l'écrivain Marinville,
allé au Vietnam, dont l'utilisation de certaines conduites est
plus littéraire que précédemment. Enfin
récemment, le Vietnam est utilisé trois des cinq textes
de Coeurs perdus
en Atlantide. Il semble ainsi que
les notations concernant le Vietnam ont été abondantes
dans l'oeuvre de King tant que le
conflit était d'actualité. Le Vietnam
réapparaît avec l'âge de la maturité et du
retour fréquent à cet âge sur les jeunes
années.
On sait que King, pour
donner de la véracité à ses récits, tient
à les situer dans le temps. L'emploi de noms ou d'appellations
de marques d'aliments, de boissons, de voitures, de vêtements,
de chansons de rock, d'équipes de base-ball, est
permanent24. Il est normal que les références au
Vietnam s'insèrent dans les récits, même quand
elles ne sont pas en elles-mêmes importantes : "Il transpirait. Il transpirait comme au
Vietnam, autrefois."
(Désolation, 485) D'autres expliquent pourquoi certains
partent, parce qu'ils ont engrossé une fille ou ont fait des
bêtises; ou encore parce qu'ils sont las de la vie qu'ils
mènent : "Je pars pour
le Vietnam.
- Quoi!
Fébrilement il s'était mis à chercher sa feuille
de route qu'il avait fini par trouver sur une étagère.
La convocation émanait d'un centre de mobilisation.
(...) J'en ai marre.
je suis fatigué de tout. j'ai pas envie de trouver un job, pas
plus que de rester avec une bonne femme." (L'accident,
24). Ensuite ceux qui ont fait la guerre et s'en sont
sortis avec les honneurs, comme dans La Nuit du Loup-garou, l'oncle A : "avait combattu au Vietnam, et il en était revenu
décoré."
(101). D'autres, qui en reviennent, profitent de leur
situation pour réclamer au restaurant par exemple : il
"s'écria d'une voix
vibrante de honte et d'indignation :
«J'ai combattu au Vietnam. Mon frère a combattu au
Vietnam! Je vais écrire à mon député!
Attendez un peu, vous allez voir!»" (Charlie,
114). Plusieurs de ceux qui en sont revenus ont
gardé des aspects de leur formation, et, curieusement, la
fonction d'infirmier revient la plus souvent. Le personnage des
Enfants du
maïs a fait "la guerre du Vietnam comme
ambulancier." (336)
Certains ne sont pas compétents : "Il avait fait partie du corps médical au
début du Vietnam, et il savait se servir d'un
défibrillateur, en théorie du moins. En pratique,
ça s'était plutôt mal passé et le gosse
leur avait claqué entre les pattes." (Charlie,
60) Ce qui pourrait s'expliquer par le fait qu'ils n'y ont
pas fait grand chose25. Dans Simetierre,
l'étudiant copain de chambre de Louis se drogue au
"Train du
rêve" en
écoutant un disque de Creedence et invite Louis à y
prendre part :"La plupart du
temps, Louis déclinait poliment, et il avait sans doute bien
fait de se montrer circonspect; son camarade de chambre
s'était fait lamentablement recaler à tous ses examens
et son «Train du rêve» l'avait finalement
débarqué au Vietnam, où on l'avait
affecté comme brancardier au Service de Santé.
Quelquefois, Louis l'imaginait dans son antenne de campagne,
défoncé jusqu'aux oreilles et écoutant Creedence
dans Ru Trou the Jungle."
(91) Une mère compare la maturité de ses
enfants à celle des soldats envoyés là-bas:
"«Johnny, reprit-elle,
prenant peut-être son silence pour un refus, il n'y a pas si
longtemps que cela, des garçons à peine plus
âgés qu'eux se battaient au Vietnam.
- On en trouvait même de plus jeunes, répondit-il. J'y
étais, et j'en ai vu.»" (Désolation, 192). Le passé militaire de Burt
(Les Enfants du
maïs) revient sans cesse
dans son comportement : dans la nature, observation, prudence,
vigilance face à un danger incertain. Ou pour donner des
leçons de combat : "Aucun sergent
instructeur n'avait
enseigné à l'assassin la meilleure façon de tuer
proprement à l'arme blanche." (325) Certains y sont restés. Un prof pense
au sort tragique d'un de ses élèves : "Billy Royko, mort dans un accident
d'hélicoptère au Vietnam deux mois avant le
cessez-le-feu." (Salem, 165) Ce qui n'empêche pas certains de
considérer malgré tout le Vietnam comme une direction
touristique : "J'ai pris
l'avion pour Saigon, comme touriste. C'est bizarre? Pas tant que
ça. Malgré la guerre de Nixon, des milliers de gens
visitent encore ce pays chaque année. Il y en a bien qui se
déplacent pour voir des accidents de voiture ou des combats de
coqs." (Le goût de
vivre, 462) La guerre donne
évidemment des idées de jouets, comme la boîte de
soldats de Petits
Soldats : "En blanc sur le fond vert se
découpaient ces mots : G.I. JOE -
BOÎTE VIETNAM. Et juste en
dessous figurait cette inscription : 20 fantassins, 10
hélicoptères, 2 hommes avec mitrailleuse, 2 hommes avec
bazooka, 2 ambulanciers, 4 Jeeps. Puis, encore en dessous : un
drapeau en décalcomanie." (168)
On rencontre les
préjugés ou les idées toutes faites sur
l'ennemi. Todd, dans Un élève doué, "avait entendu parler de la guerre, bien sûr - pas
la guerre imbécile qui se déroulait actuellement,
où les Américains se faisaient botter le cul par un tas
de nyaquoués en pyjama noir -, de la Deuxième guerre
mondiale." (123) Ou
les noms particuliers liés à l'équipement :
"Rainbird avait troqué
ses vêtements civils contre un treillis - qu'ils appelaient
parfois piège-à-citrons, au Vietnam." (Charlie,
383) Car les Vietnamiens ne sont pas comme les
Américains : "Le gosse
était sur le dos, mort. (...) Ses yeux
étaient ouverts. C'est ça le pire, vous
comprenez. (...)
Comme les yeux des gosses de
Viets qu'on voit sur les photos. Mais un gamin de chez nous avec des
yeux comme ça, non.",
affirme le père du Croque-mitaine
(140)
Des notations sont historiques et se
rapportent à des faits qui venaient de se passer :
"Nixon faisait bombarder
Hanoï. On montrait des photos prouvant que les bombes
américaines ne touchaient jamais les hôpitaux, ni les
jardins d'enfants vietnamiens, et le Président se
déplaçait à bord d'un hélicoptère
de l'armée, comme ses troupes." (L'accident,
68) Ou, plus tard : "Nixon fut réélu les doigts dans le nez, au
sens littéral. Les enfants de l'Amérique
commencèrent à rentrer du Vietnam." (L'Accident,
76) D'autres sont les conséquences
(expériences?) des images télévisées :
"Ils enlevèrent la
housse du canapé et l'étendirent sur les corps. Ben
essaya de ne pas les regarder et de ne pas penser à ce qu'il
faisait, mais c'était impossible. (...) On
distinguait parfaitement sous la housse la forme des corps; il n'y
avait pas moyen de s'y tromper. Il se souvint en les regardant des
photos de la guerre du Vietnam où on voyait aussi des morts,
tantôt écroulés sur le lieu du combat,
tantôt portés dans d'affreux sacs de caoutchouc noir qui
ressemblaient absurdement à des sacs de golf."
(Salem, 367) D'autres profitent plus heureusement de la
guerre, comme Johnny auquel on propose une opération
médicale délicate : "Rassurez-vous, ces techniques ont déjà
été testées pendant la guerre du Vietnam. On n'a
pas manqué de trouver des cobayes parmi les
vétérans qui encombraient les hôpitaux
militaires." (L'accident, 113)
Curieusement, les notations
concernant les problèmes psychologiques graves qui ont
marqué la vie de certains vétérans ne se
trouvent que dans Coeurs perdus en Atlantide. Dans les premiers romans, il y a bien des allusions
à des situations militaires difficiles, mais elles sont
davantage liées à ca qui préoccupe King alors,
les situations de terreur : "Hank se sentait envahi d'une crainte telle que
même au Vietnam il n'en avait pas éprouvé de
semblable. Et pourtant, là-bas, il n'avait pas cessé
d'avoir peur. Mais c'était une peur qui avait ses raisons. La
peur de marcher sur un bambou empoisonné et de voir son pied
devenir comme un ballon vert et purulent, la peur qu'un de ces petits
bonshommes en pyjama noir vous fasse sauter le caisson avec un fusil
russe, la peur de se voir ordonner par un officier hystérique
d'exterminer tous les habitants d'un village où les Viets se
trouvaient une semaine avant. La peur qu'il éprouvait
aujourd'hui était irrationnelle, infantile. Rien qui puisse
positivement la justifier. Une maison était une maison - des
planches, des gonds, des clous, du plâtre. Pourquoi s'imaginer
que des fentes du parquet s'exhalaient des odeurs maléfiques?
Quelle stupidité! Des fantômes? Il ne croyait pas aux
fantômes. Pas après le Vietnam." (Salem,
95) Ou pour expliquer un Frankenstein, dont l'apparence
est devenue effrayante : "Une
mine Claymore lui avait explosé à la figure durant sa
seconde période au Vietnam et son visage n'était plus
qu'un festival d'épouvante, tissu cicatriciel et chair
dégoulinant." (Charlie,
99).
L'évocation du sang
est toujours efficace : "Le
sang sortait à flots de son crâne fendu, de son visage
écrabouillé. II était gravement blessé,
mais bien qu'il ait été percuté de plein fouet,
puisqu'on lui ait roulé dessus, il ne semblait pourtant pas
près de mourir. Cela ne surprit pas vraiment Johnny. La
plupart du temps, il en faut beaucoup pour tuer un homme - il l'avait
vu à maintes reprises au Vietnam. Des types en vie avec la
moitié de la tête emportée, des types en vie avec
leurs boyaux se déversant sur leurs genoux et attirant les
mouches, des types en vie avec leur carotide se vidant entre leurs
doigts sales. Les gens ont en général du mal à
mourir. C'est ce qu'il y a de plus horrible." (Désolation, 172)
Une critique
de l'action américaine.
Par rapport à l'opinion
hostile que King a toujours manifestée à l'égard
du Vietnam, les notations réalistes ou pittoresques sont plus
nombreuses que les critiques humanitaires à propos des
comportements américains à l'égard des
populations indochinoises. On rencontre de brèves allusions
à certaines méthodes militaires expéditives :
"Ça me rappelle la
manière dont nous sauvions des
villages pendant la guerre."
(Les Enfants du
maïs, 322) Certaines
concernent des femmes, celles qui se prostituent pour survivre :
"Parfaitement belle, oui, mais
d'une beauté qui ne rayonnait pas et à travers laquelle
aucune âme ne s'exprimait. Il y avait quelque chose
d'indéfinissable dans son visage qui rappela à Jimmy
les filles de Saigon, dont certaines n'avaient pas treize ans, qui
s'agenouillaient devant les soldats dans les allées obscures,
derrière les bars, pour la centième ou la
millième fois. Mais, dans leur cas, ce n'était pas le
mal à proprement parler qui les avait corrompues, mais le fait
de devoir affronter trop jeunes les réalités de la vie.
Le changement qui s'était opéré sur le visage de
Susan était d'un autre ordre - mais il n'aurait pas su
expliquer pourquoi ni comment." (Salem,
327). Comme celles qui sont violées par la
soldatesque : "Il se tourne
alors vers la maison voisine. David Reed emporte la petite Carver
dans ses bras; la fillette hurle et se débat, les jambes
donnant de grands coups de ciseaux. Pie Carver, à genoux,
lance ces mêmes gémissements que Johnny a entendu
pousser par des femmes dans des villages vietnamiens, il y a bien des
années (sauf que, avec l'odeur de cordite encore dans l'air,
cela ne lui paraît pas si loin que cela)." (Désolation, 78) Des voleurs et des pillards se trouvent aussi dans
cette armée : "Pendant
un moment, il se fit moins l'effet d'un lion littéraire que
d'un pillard, comme il en avait vu à Quang Tri, à la
recherche de médailles religieuses en or au cou des cadavres,
écartant même parfois les fesses des morts dans l'espoir
de trouver un diamant ou une perle." (Désolation, 484)
Ces critiques qui portent sur les
droits humanitaires ne sont pas fréquentes. King
préfère insister sur les insuffisances de
l'armée américaine (quelques exemples en ont
déjà été donnés plus haut). On
trouve les deux dans ce que raconte Rainbird dans Charlie : "C'était la guerre, môme. La guerre au
Viêt-nam. Les Viets, c'étaient les mauvais. Avec des
pyjamas noirs. Dans la jungle. T'as entendu parler de la guerre du
Viêt-nam, non?»
Elle en avait entendu parler... vaguement.
«On était en patrouille et on est tombés dans une
embuscade», dit-il. Ceci au moins était la
vérité, mais à ce point du récit, John
Rainbird et la vérité prirent deux routes
différentes. Inutile de l'embrouiller en insistant sur le fait
qu'ils étaient tous raides, la plupart des gars allumés
au rouge cambodgien et leur lieutenant, frais émoulu de West
Point, propulsé aux limites de la folie par les boutons de
peyotl qu'il mâchait toujours en patrouille. Une fois, Rainbird
avait vu ce lieutenant abattre une femme enceinte avec sa carabine
semi-automatique, il avait vu le foetus de six mois arraché de
son corps, et mis en pièces. C'était, leur dit plus
tard le lieutenant, ce qu'on appelait l'avortement West Point. Donc,
ils rentraient à leur base et ils étaient effectivement
tombés dans une embuscade, sauf qu'elle avait
été tendue par les copains, encore plus givrés
qu'eux, et quatre types avaient été bousillés.
Rainbird ne voyait pas l'utilité de raconter tout ça
à Charlie, ni de lui dire que cette mine Claymore qui lui
avait pulvérisé la moitié du visage sortait
d'une usine du Maryland.
«On a été six à s'en tirer. On a couru. On
a couru à travers la jungle et je crois que je suis parti du
mauvais côté. Le mauvais côté? Le bon
côté? Dans cette guerre dingue on ne savait pas quel
côté était le bon parce qu'il n'y avait pas de
vraies lignes. J'ai été séparé du reste
de mes potes. J'essayais de repérer quelque chose de familier
quand je suis tombé sur un champ de mines. Voilà ce qui
est arrivé à mon visage. (...) Quand
je me suis réveillé, ils me tenaient », dit
Rainbird, en route maintenant pour le pays de l'absolue fiction. En
fait, il s'était retrouvé dans un hôpital
militaire de Saigon avec une perfusion dans le bras."
(Charlie, 263/4)
1er bilan :
Les limites des prises de position de
King contre une guerre qui l'a mobilisé plusieurs
années de jeunesse se révèlent un peu
décevantes. King semble
avoir quitté l'université avec le seul souci de se
faire un destin personnel, et en ayant oublié les luttes
collectives, auxquelles il avait cependant participé dans la
générosité de sa jeunesse. King
n'est pas un politique. Si sa dénonciation des insuffisances
ou des tares de notre société est constante, le refus
partiel des insuffisances et des cruautés de ce monde se
traduit chez lui par une tendance à se tenir en marge d'une
société. Il porte sur elle un regard
acéré et critique, mais, finalement, il est incapable
de vraiment participer par des prises de position éclatantes,
sauf sur des positions limitées comme la censure ou
l'avortement. Des coups de griffes fréquents, mais pas de
grands éclats. Par rapport à d'autres écrivains
américains comme Norman Mailer, bien
plus engagé concrètement dans les luttes de son temps,
ses prises de position contre la guerre du Vietnam ont
été marginales. Elles n'ont que peu traduit le malaise
de son ancienne position d'étudiant témoin opposant,
comme s'il avait tout oublié avec les difficultés de
ses années après l'université, et en ne faisant
à la guerre que des allusions de circonstance. Il faut noter
que la guerre de Vietnam se termine précisément
à l'époque de Carrie.
Ces allusions ont même
complètement disparu pendant dix ans, alors que, durant la
même époque, Peter Straub
consacrait une place importante à la guerre du Vietnam dans la
trilogie Blue
Rose, et tout dernièrement
dans sa nouvelle Le village fantôme, consacrée au Vietnam, publiée dans le
recueil Magie et
terreur
(2000). Chez King,
le Vietnam est réapparu avec Désolation, en 1996, où elles prennent une place
importante, avec l'écrivain Marinville. Enfin plus
récemment, le Vietnam concerne trois des cinq textes de
Coeurs perdus en
Atlantide, où, à l'imitation de Straub, il devient l'objet d'une exploitation
littéraire.
Roland Ernould Armentières
©
mai 2001
(roland.ernould@neuf.fr).
Ces opinions n'engagent que leur auteur.
Ces opinions n'engagent que leur auteur, qui reçoit avec
reconnaissance toutes les remarques qui pourraient lui être
faites.
Notes :
1 Le mot Vietnam a de nombreuses graphies.
Personnellement, j'utilise la plus simple, mais je reprends celle des
textes quand elle est différente. Idem pour les autres noms
composés, Vietcong ou autres.
2 Ce mythe, repris par Platon, d'une île où
chacun pouvait trouver le bonheur, et qui disparut dans l'Atlantique
par la faute des hommes, a donné lieu à de multiples
écrits, discussions et divagations.
3 King est né en 1947, Straub en 1943.
4 King et Straub sont tous les deux fortement
marqués par ces formes musicales nouvelles. Straub notamment
est capable de consacrer une page de roman ou davantage à
l'analyse d'impressions musicales évocatrices. King
s'intéresse davantage aux paroles et à la
variété des oeuvres. Voir Laurent Bourdier,
Ténèbres spécial Stephen King #11/12, King
mélomane, 86/95.
5 À noter, à côté du rock et
l'influençant, le renouveau du folk, qui combine la musique
populaire et des formes nouvelles de contestation politique, en
exprimant deux besoins essentiels : le souhait de racines et la
nécessité du changement pour un retour à
l'écologie. Appartenant au courant libertaire et radical, avec
une vision idéaliste de la justice et de la politique, cette
musique a associé alors le mouvement de défense des
droits de l'homme, la lutte anti-nucléaire et contre le
Vietnam, avec cette idée que la musique peut changer le
monde.
6 À dater de 1966, avec Abbie Hoffman et Menu
Bubn.
7 Trad. française, Anatomie de l'horreur, éd. du Rocher, 1995.
8 Anatomie,
op.cit. , 17. Il ajoute ironiquement : "toutes les histoires courtes sont
formidables."
9 Anatomie de
L'Horreur, op.cit.,
18.
10 Ce défoliant, très toxique, avait
été employé pour supprimer la
végétation de la jungle et rendre les
déplacements de l'ennemi difficiles. 24.000 tonnes de
défoliants ont été officiellement
déversés par avion et hélicoptères sur
1.700.000 hectares.
11 "Les événements vus ironiquement par King
à l'université : "Au Viêt-nam, la guerre tournait à notre
avantage; c'était du moins ce qu'avait déclaré
Lyndon Johnson au cours d'une tournée du Pacifique. Il y avait
bien quelques incidents regrettables, à vrai dire. Le
Viêt-công avait abattu trois hélicoptères
Huey, pratiquement dans les faubourgs de Saigon; un peu plus loin par
rapport à la capitale du Sud, une unité de
Viêt-công, estimée à un millier d'hommes,
avait flanqué une raclée sévère à
des soldats de l'armée régulière vietnamienne du
Sud deux fois plus nombreux. Dans le delta du Mékong, des
canonnières américaines avaient coulé cent vingt
bateaux de patrouilles Viêt-công qui transportaient...
aïe ! ... un grand nombre d'enfants réfugiés. Les
Américains perdirent leur quatre-centième avion de
guerre en ce mois d'octobre, un F-105 Thunderchief." Coeurs
perdus en Atlantide,
(315/6)
12 Coeurs perdus en
Atlantide, (271) Le
républicain Barry Goldwater (républicain) a perdu les
élections en 1964 contre Lyndon B. Johnson (candidat
démocrate).
13 "Le nom peut se
traduire par eau d'or; Au: symbole de l'or; H2O: symbole de l'eau; le
chiffre 4 (four) est là pour «for»,
c'est-à-dire «pour»." Note du traducteur, 271.
14 "When I was in
school, Vietnam was going up in flames", cité par George Beahm, The Stephen King Story, éd. Warner Books, 1992, 62. Pas de
traduction française à ce jour.
15 "It was, as King
later recalled, a time when horror fiction seemed especialy
appropriate as a metaphor, a time when parents saw their children
change into monsters", George
Beahm , op.cit. 63.
16 "J'ai beaucoup
appris à la fac, mais ce fut rarement en classe. J'aġ par
exemple appris (...) comment ne
pas voter républicain, même si j'appartenais à
une longue lignée qui n'avait jamais fait autrement, comment
défiler dans la rue en brandissant une pancarte au-dessus de
ma tête et en hurlant: «Un deux trois, ta putain d'guerre
on la f'ra pas! et Hé hé, LBJ, combien de mômes
t'as tués aujourd'hui?» J'ai appris qu'il était
imprudent de se mettre dans le vent des gaz lacrymogènes et
que, sinon, il fallait respirer lentement à travers un
mouchoir ou un foulard. J'ai appris que quand les matraques
commencent à tournoyer, il faut se laisser tomber de
côté, remonter les genoux contre la poitrine et se
couvrir la nuque avec les mains. A Chicago, en 1968, j'ai aussi
appris que les flics étaient capables de vous battre
pratiquement à mort, en dépit de ces
précautions."
(Coeurs perdus en
Atlantide, (271)
17 Pages
Noires, éd. du Rocher,
1996, 107.
18 Richard M. Nixon (républicain) gagna les
élections (1968) contre Spiro Agnew (démocrate).
King avait voté pour lui en novembre 1968 : "Ma femme raconte encore avec délices comment son
mari, la première fois qu'il fit son devoir de citoyen,
à l'âge encore tendre de vingt et un ans, vota aux
élections présidentielles pour Richard Nixon.
«Nixon avait dit qu'il avait un plan pour nous sortir du
Vietnam, conclut-elle avec d'ordinaire une petite lueur moqueuse dans
l'oeil, et Steve l'a cru.»" Anecdote citée comme exemple de la
crédulité de King, Introduction à
Rêves et
Cauchemars, Albin Michel
1994, 10.
19 Time and
Again,1970, trad. fr.
Le Voyage de Simon
Morley, éd.
Denoël, 1993. Grand Prix de l'Imaginaire 1994.
20 Pages
Noires, op.cit.,
108/9.
21 King, once a
registered Republican in his hometown, became a card-carrying
Independent and metamorphosed into what he self-termed «a scummy
radical bastard»",
George Beahm THE Stephen
King Story,
op.cit. , 64. Pas de traduction française à ce
jour.
22 "To King, being
a scummy radical bastard meant that he was proud to be an American
who believed in the «Declaration of Independance, the
Constitution, and even the Articles of
Confederation»", George
Beahm, op.cit. , 64.
23 Dans Pages
Noires, op.cit. , 206.
24 Pratique qui irrite certains lecteurs et qui datent son
oeuvre. Quand King en actualise une, il est obligé de changer
quantité de petits détails (les deux versions du
Fléau sont intéressantes à comparer
à cet égard). Peut-être quand il aura
cessé de plaire, certains spécialistes pointus liront
ses romans pour ces informations un peu maniaques sur des
réalités de la vie américaine...
25 Ils en reviennent parfois avec des connaissances
insolites : "Cependant, il
connaissait un truc. Il ne l'avait pas appris à
l'université. C'est un ami de son frère
aîné qui le lui avait indiqué. Cet ami avait
exercé une profession paramédicale au Vietnam et il
connaissait toutes sortes de trucs - comment attraper des poux sur un
crâne et leur faire faire la course dans une boîte
d'allumettes, comment couper de la cocaïne avec un laxatif pour
bébé, comment recoudre de grosses entrailles avec du
fil et une aiguille ordinaires. Un jour ils avaient
évoqué les différents moyens de ranimer les gens
ronds comme des queues de pelle afin que les gens ronds comme des
queues de pelle ne s'étouffent pas dans leur propre vomi au
risque d'en mourir comme Bon Scott, le chanteur du groupe AC/DC.
- Tu veux ranimer rapidement quelqu'un? avait demandé l'ami au
catalogue de trucs intéressants. Essaie donc ça.
Et il lui avait indiqué celui que Randy utilisa alors.
Il se pencha et mordit le lobe de l'oreille de Laverne aussi fort
qu'il le put.
Un sang chaud et amer jaillit dans sa bouche. Les paupières de
Laverne s'ouvrirent d'un coup comme des stores." (328/9)
ce texte a
été publié dans ma Revue trimestrielle
différentes saisons
saison # 12 -
été 2001.
voir la seconde partie : KING
ET LA GUERRE DU VIETNAM : l'utilisation littéraire du
Vietnam
dans
Désolation
et Coeurs perdus en
Atlantide.
3ème partie :
Straub et la guerre du
Vietnam (parution saison automne)
AUTRES TEXTES
CONCERNANT LA JEUNESSE DE KING :
Rage,
UNE
OEUVRE DE JEUNESSE ANNONCIATRICE
En 1966, King achève
sa terminale à la High School de Lisbon Falls,
près de Durham. Il a 18 ans. Depuis le printemps, il
a commencé à écrire le premier de ses
romans publiés, Getting it on . Quand on analyse la composition et
le contenu du roman sans se soucier de l'intrigue et de son
évolution, on voit apparaître bon nombre de
thèmes qui continueront à inspirer King dans
ses oeuvres jusqu'à ce jour. C'est un recensement de
ces thèmes qui est l'objet de cette étude. Ils
se rapportent successivement à l'individu,
l'éducation, la collectivité, la culture et
divers autres aspects de moindre importance. Il serait
futile de prétendre que Getting it on contient en condensé l'oeuvre
à venir de King. Mais il porte en son sein
d'intéressants germes qui grandiront et feront
l'objet, avec des fortunes diverses, de
développements et de situations variées.
À ce titre, au-delà de la faiblesse relative
de ce roman d'un jeune auteur, on peut considérer
qu'il a constitué pour King une première
occasion de mettre au point une technique qui consiste
à mettre une partie de soi dans une oeuvre qui se
veut entièrement tournée vers
l'imaginaire.
Les premiers romans
: RAGE, RÉVOLTE et
DÉSESPOIR.
Les premiers romans que King
a écrits entre 19 et 24 ans Rage et Running Man présentent un grand intérêt
pour la formation de sa sensibilité et pour la
compréhension de la genèse de sa pensée
sociale. Le rapprochement de ces deux oeuvres paraît
donc légitime et le but de cette étude est de
poser des jalons pour l'analyse du passage d'un King
étudiant à un King chargé de famille,
dont la vie n'est pas facile. Charlie a vécu une
scolarité lycéenne terne et peu heureuse, puis
a connu le bouillonnement universitaire de la fin des
années soixante. Ben est passé d'une
indifférence vis-à-vis du social (comme
Charlie) à une prise de conscience plus grande des
réalités politiques du moment. Les situations
sont étudiées sous un éclairage
littéraire en les rapportant au vécu de King
adolescent. S'agit-il d'une révolte réelle qui
a existé chez King? En famille, au lycée ou
à l'université? Jusqu'où est-elle
allée?
(King vient de demander aux
éditions Penguin de ne pas refaire de retirage de son
roman Rage: raison
invoquée: le massacre de Littleton. Infos)
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