Jean-Didier Vincent, La chair et le Diable

Poches Odile Jacob, 2000.

Les lecteurs qui s'intéressent au Diable seront intéressés par un scoop scientifique de ce début de millénaire qui vaut son poids de soufre. Qui ne nous est pas donné par un écrivaillon en mal de copie, mais par un chercheur réputé du CNRS, neurobiologiste et directeur de l'Institut Alfred-Fessard. Oyez et tremblez, braves pêcheurs. Car le Diable, horrible nouvelle apparemment, c'est vous.

C'est vous, c'est moi, c'est l'humain en général. Car le diable, c'est la Vie et ses lois. L'âme ne vit que parce qu'elle est perpétuellement tentée, et qu'elle s'efforce de résister. Le Diable est l'Opposant, celui qui dit non, de même que tout ce qui vit s'oppose à quelque chose. La vie ne prend son sens que par opposition à la mort. Une biologie du Diable se justifie par le fait que le Diable étant la vie, sa complicité apparente avec la mort n'est pas vouée au néant, mais à l'expression et à l'expansion de la chair, de la substance animale. Ainsi la mort ne serait pas la mort s'il n'y avait pas une coïncidence diabolique avec le sexe qui donne la vie et permet de dépasser la mort. En conséquence, le Diable est un vivant et le mystère de Satan est inséparable de la Vie.

Le chantier de la Vie et l'expansion de la chair qui n'a de sens que par la mort s'expriment ainsi dans une triade diabolique : la vie, le sexe et la mort. Dès son installation sur terre, le vivant est défini par l'affrontement des contraires : reproduction et croissance d'un côté, mort et destruction de l'autre. Le Diable, qui est Vie, ne peut donc être considéré comme le principe du Mal puisqu'il assure l'expansion de la vie animale et l'évolution des espèces, qui mène au cerveau humain. Le Mal n'est pas inscrit dans la chair. Il n'existe pas en soi, et n'est que le produit d'une théorisation que le cerveau a établie à partir de l'expression de ses désirs et de ses passions. Grâce à son cerveau, l'homme a acquis la capacité de clamer au monde sa jouissance de vivre, son désir de l'autre, et sa hantise de la mort. La théorisation est affaire de sociologie, et le Mal symbolise les conventions qui ont été imposées aux hommes par l'invention de la peur du Diable... Le Bien n'a de sens que par l'image que les hommes se donnent d'eux-mêmes. En produisant les sociétés, le cerveau humain a fabriqué de la morale. Les vertus et les vices ne sont pas inscrits dans les gènes. Les hommes ne sont moraux que parce que temporels et inscrits dans une durée dont ils ont connaissance. Le Bien et le Mal ne sont que des données romanesques et non théologiques. C'est dans cette perspective que le Diable, incompris dans son essence, est présenté comme un mythe.

L'homme est l'animal qui s'est donné des choix sociaux. Il est bon de savoir que le diable, c'est d'abord moi, pas seulement les autres. Les choix sociaux des hommes sont nés de la complicité vitale avec Satan, mais les hommes sont aussi les animaux qui ont fait des efforts incessants pour sortir de l'animalité. Reconnaître le Diable, accepter ses ruses et ses contraintes pour mieux les contourner, sont des nécessités pour développer ce que l'auteur appelle la "santé" des hommes, faute d'un terme biologique approprié équivalant au Bien.

Ainsi grossièrement résumée, la thèse directrice de ce livre passionnant, lisible, jamais rébarbatif, doté d'un sens certain de l'humour, a le grand mérite de s'appuyer sur des considérations biologiques, et uniquement biologiques. Pas de Morale par conséquent, mais l'explication de la nécessité des choix sociaux humains.

Il est sympathique de rencontrer un biologiste capable d'intégrer ce qui fait l'univers familier du fantastique, pour resituer le Diable dans des perspectives scientifiques. Étudier le diable, c'est étudier la vie confondue avec la mort et le sexe. Pour le grand triomphe de la "santé" de la chair... Mais aussi plus modestement le plaisir des «fantastiqueurs».

La quatrième de couverture :

Qui détermine notre destin amoureux ? Qui nous poussé à nous perdre dans la drogue ou le jeu ? Qui nous transforme en tueurs en série ? Bref: qui gouverne ce que nous sommes ?Le diable.Si je n'existais pas, rien n'existerait, car il n'y aurait rien à quoi s'opposer, lui fait dire Fernando Pessoa. Invention de poète ? Rien n'est moins sûr. Ce principe d'opposition, Jean-Didier Vincent nous invite à en explorer les facettes, de la vie animale au cerveau de l'homme.

Le diable, c'est la vie.

«Le cerveau, capitale du diable» Sylvie O'Dy, L'Express.«Le biologiste croit à l'existence du diable.Il sait même où il loge. Passionnant.» Le Point

«Facétieux, Jean-Didier Vincent détourne les mythes, glisse un dessin érotique entre deux schémas, multiplie les citations, les références inattendues. La biologie a revêtu des habits de lumière. C'est une fête galante.» Jean-Paul Thomas, Le Monde.

Neurobiologiste, Jean-Didier Vincent est professeur à l'Institut universitaire de France et directeur de l'Institut Alfred-Fessard du CNRS. Il est notamment l'auteur de de Biologie des passions, de Casanova, La contagion du plaisir et de La Vie est une fable. Il a également publié, avec J.-F. Peyret, Faust, une histoire naturelle. Dernier ouvrage en collaboration avec le philosophe Luc Ferry : Qu'est-ce que l'homme? Sur les fondamentaux de la biologie et de la philosophie, 2001. Note de lecture.

Roland Ernould © 2000

..

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

mes dossiers sur les auteurs

. . .. . .. . ..