Bruce Sterling, Mozart en verres miroir

anthologie (12 nouvelles), (1985), rééd. 2001.

 

Ses débuts en science-fiction classique avec son premier roman, La baleine des sables, publié en 1977, à 23 ans, ne laissaient pas supposer que Bruce Sterling deviendrait l'un des porte-étendards du mouvement cyberpunk. Ce qui se produit quand il rassemble en 1986 les nouvelles de cette anthologie mythique pour donner une vue d'ensemble du courant en train de naître. Ce recueil marque en effet le début d'un mouvement littéraire jusqu'alors embryonnaire et éclaté, qui réunit une nouvelle génération d'auteurs de SF dont la vision pessimiste et prophétique constitue en fait l'unique point commun.

Depuis cette époque, et comme William Gibson avec qui il a collaboré à plusieurs reprises, Sterling se consacre presque exclusivement au cyberpunk et s'intéresse surtout à une science-fiction technologique qui s'accorde avec sa formation de scientifique. L'anthologie ne donne cependant qu'une image assez floue du genre qu'elle est censée représenter, mais témoigne plutôt de la diversité des genres et des écritures qui permettent d'apprécier la variété des univers qui s'y rattachent, dont la le prophétisme et la vision pessimiste constituent presque l'unique point commun. Surgit un monde de hackers au cerveau hyper-informatisé, de rivalités sanglantes dans des mégalopoles en plein déclin, d'homme menant une vie qui a perdu ses repères.

Les auteurs qui s'en réclament à cette époque sont jeunes, tous de purs produits de la première génération de gosses qui ont vécu avec la télévision, et subi la société de consommation avec un regard lucide. Des années de prise de conscience, pendant lesquelles le rêve américain s'est délité et la prise de conscience de cette dégradation faite avec difficulté. À la bonne conscience américaine se substituent des interrogations, ou des constatations désagréables : les états ne sont pas pacifistes, mais dominateurs et impérialistes. Les grandes multinationales, autant que les gouvernements, contrôlent le sort de la planète. Ils ne défendent pas les libertés des minorités, mais cherchent à obtenir leur soumission. Le pouvoir de la drogue, de l'argent et la violence gagnent chaque jour du terrain. C'est aussi le moment où la génération internet se met en place aux USA, avec curieusement une science discréditée, des techniques remises en question, un développement exponentiel de la pollution et une dégradation sensible de la qualité de vie. Fascinés par le télescopage de la culture populaire (surtout musicale) et des technologies de pointe, ces jeunes auteurs prétendent apporter leur contribution à l'actualisation des références scientifiques en entretienant des rapports étroits avec les technologies d'un demain dominé par la révolution informatique.

Dans une collectivité livrée aux médias, aux ordinateurs et à la surinformation, la cybernétique est devenue monnaie courante et chacun, par le moyen de drogues, d'implants informatiques ou de nanotechnologie, peut à tout instant se brancher sur le cyberespace, un vaste réseau de réalité virtuelle que Sterling qualifie dans sa préface d' "hallucination consensuelle". L'anticipation permet de métaphoriser le présent et de mettre ses défauts en évidence. Dans un monde sans pitié où les multinationales ont pris le contrôle des sociétés, ceux qui ne dominent pas les nouvelles technologies et ne se plient pas aux lois de la ville n'ont pas d'avenir. Les héros camés meurent parfois d'avoir voulu rendre plus humaine leur micro-société dominée par des technologies qui prennent de plus en plus de puissance et de place dans les villes surpeuplées et polluées. Ils vivent dans des milieux glauques, dominés par l'intelligence artificielle, la domotique, les réseaux, la génétique, la bio-chirurgie; la biomécanique. L'ambiguïté et le malaise naissent du fait que cette technologie est honnie tout en constituant souvent l'allié indispensable pour les personnages principaux...

Ces divers écrivains, qu'on a appelés de différents noms (Neuromantiques, Cyberpunks, Technopunks) constituent-ils une école? On peut en douter. Au mieux, Bruce Sterling ne peut que faire un constat d'affinités thématiques, de préoccupations sociales et de recherches stylistiques. Dans une intéressante préface, il en définit l'esprit par une belle formule : "L'imbrication d'univers auparavant dissociés : le royaume de la technologie de pointe et les aspects modernes de l'underground pop".

Mais en dépit de ses limites,
Mozart en verres miroirs est la meilleure introduction au courant, dont elle en réunit les auteurs marquants. L'anthologie est d'une bonne tenue et propose des textes variés et d'excellente facture, au style agressif et jeune, qui donnent du mouvement cyberpunk une image plus complexe, plus riche, plus contrastée que ne peuvent le faire supposer les définitions formelles. Il faut particulièrement remarquer Petra, la nouvelle de Greg Bear, l'auteur du groupe qui a poursuivi ensuite la carrière la plus brillante. Parmi les autres particularités qui deviendront constitutifs du courant, on notera les implications psychologiques de la métamorphose des corps Des Yeux de Serpents de Tom Maddox; l'étroite affinité de l'esprit du genre avec la musique et la pop culture dans Rock Toujours, de la seule femme du recueil, Pat Cadigan. Le curieux titre du recueil vient de la nouvelle de Bruce Sterling lui-même et de Lewis Shiner. À noter les deux textes du pape du mouvement depuis son Neuromancien, William Gibson.

Table des matières :
Préface, par Bruce
Sterling. William Gibson, Le continuum Gernsback; Tom Maddox, Des yeux de serpent; Pat Cadigan, Rock toujours; Rudy Rucker, Les mésaventures de Houdini; Marc Laidlaw, Les 400; James Patrick, Solstice; Greg Bear, Petra; Lewis Shiner, Le jour où des voix humaines nous éveilleront; John Shiner, Freezone; Paul di Filippo, Pierre vit; Bruce Sterling et William Gibson, Étoile rouge, orbite gelée; Bruce Sterling et Lewis Shiner, Mozart en verres miroirs.

Sélection d'auteurs cyberpunk :
Outre
Gibson et Sterling : Ayerdhal, Consciences virtuelles; Paul Borrelli, Trajectoires terminales; Maurice G.Dantec, Les racines du mal, Babylon babies; Laurent Genefort, Rézo; K.W.Jeter, Dr Adder; Jean-Marc Ligny, Inner city; Neal Stephenson, L'âge de diamant.

La quatrième de couverture :
Révolutionnaires?
Les cyberpunks forment la première génération d'auteurs de science-fiction à avoir grandi non seulement dans une tradition littéraire spécifique, mais aussi une réalité qui désormais dépasse les rêves - ou les cauchemars - de leurs prédécesseurs. Pour eux, les techniques de la science-fiction classique - extrapolation savoir technologique - ne sont pas de simples outils littéraires, mais des adjuvants de la vie quotidienne, des moyens, extrêmement précieux, d'accéder à la compréhension. Pour les cyberpunks, contraste ô combien violent, la technologie est viscérale. Elle est envahissante, nous touche au plus intime. Non point en dehors de nous, mais à côté de nous. Sous notre peau; et souvent, à l'intérieur de notre esprit.
Démonstration en douze leçons magistrales
.


Bruce Sterling est né en 1954 au Texas. De formation scientifique, passionné par tous les aspects de la modernité, il s'est imposé au début des années 80 comme l'un des fers de lance du mouvement cybernétique, mélange explosif de roman noir et de nouvelles technologies. Parmi ses romans : La Schismatrice, 1985; Cristal Express, 1989; Les Mailles du réseau, 1988; La Machine à différences, 1990; Gros Temps, 1994; Le Feu Sacré, 1996.

Roland Ernould © 2001

..

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

mes dossiers sur les auteurs

. . .. . .. . ..