Vincent Ravalec, Pour une nouvelle sorcellerie artistique

Librio 2001

Curiosité, idée originale, utopie ou délire? La sorcellerie est dans l'air du temps et ses rapports avec l'imaginaire artistique sont connus pour avoir été jadis primordiaux. Si ce petit livre, ce manifeste plutôt, qui se propose de retrouver cette situation ancienne, offre peu de qualités d'un point de vue littéraire, il est réjouissant dans la mesure où, sur un ton en partie extravagant, il nous rappelle les lointains rapports regrettés entre les sorciers et les artistes. Il comporte, séparés mais bien caractéristisés, des éléments objectifs à allure de déclaration, et un historique loufoque des rapports entre l'art et la sorcellerie.

Les travaux des anthropologues ont mis en évidence l'influence des pratiques magiques sur la conception et l'élaboration des oeuvres d'art, dès la réalisation des dessins et peintures sur les parois des cavernes, techniques de piégeage symbolique et de simulation pour favoriser la chasse préhistorique. Depuis les âges les plus anciens, la magie est apparue comme une vision du monde, nécessaire en l'absence d'autres explications, destinée à comprendre le réel avec des modalités de pensée religieuse et préscientifique. Ainsi est-ce en voulant forcer la nature que l'homme a inventé la magie, pour posséder l'art d'accomplir ce qui n'a pas lieu dans le cours ordinaire des événements naturels. Il y a moins d'un siècle, les psychologues ont découvert et observé en nous les constantes de l'imagination magique dans l'inconscient individuel et collectif. Ils ont retrouvé les archétypes mythiques et les symboles, reflets des désirs humains de ces époques lointaines qui ont duré des dizaines de millénaires : les mêmes besoins fondamentaux ne cessent de hanter obscurément l'esprit de nos contemporains. Ces ombres de l'imagination magique continuent aussi bien de se concrétiser dans les oeuvres d'art que d'être exploités par les formes modernes de l'économie de la vente, comparables à la chasse préhistorique, qui envoûtent des consommateurs par l'ensorcellement publicitaire. Sous des formes diverses, la magie continue à être utilisée. Car la magie est une croyance fondée sur la réalité attribuée aux correspondances et sur la force de persuasion de l'analogie, ne faisant appel à rien de rationnel. André Breton, le pape du surréalisme (mouvement dont se réclame d'ailleurs Ravalec, grand admirateur du facteur Cheval) a consacré un ouvrage à L'Art magique pour y montrer que l'oeuvre d'art est peut-être une des seules opérations magiques qui soit efficace.

Ravalec a conçu un vaste dessein, une oeuvre d'art qui serait la synthèse des formes créatrices, en 10 volumes à réaliser dans le cadre d'un projet étalé sur 25 ans, projet littéraire fou, mégalo, le plus ambitieux de ces dernières années. Ravelec est l'heureux écrivain ayant réussi à trouver un éditeur disposé à «jouer» un objectif indiscutablement excitant. Et risqué : dix oeuvres, explorant chacune un registre littéraire différent, à partir d'un postulat optimiste, celui que la vie a un sens, qu'on peut la concevoir de manière d'un jeu, ou du moins faire en sorte qu'elle participe de cet esprit ludique et de la création magique. En suivant les règles du «Jeu», qui sont expliquées dans ce manifeste dont le titre est sans équivoque.

En support à cette seule et même oeuvre monumentale ayant pour périmètre le Jeu (décliné sur plusieurs thèmes), Ravelec compte sur "l'interactivité" de ses lecteurs pour poursuivre sa recherche en une arborescence qu'il espère illimitée, par le biais d'un site Internet, dans " une aventure cosmique, millénariste, artistique où tous les coups sont permis". Il développe l'idée que le monde magique et celui de l'art sont une mise en questionnement des choses et ouvrent des portes fascinantes par l'imaginaire qu'ils développent. La magie, comme l'art, met en évidence l'existence d'autres mondes derrière les apparences, tout en s'inscrivant toutes deux dans le réel. Mais l'art peut aussi intégrer la sorcellerie et la magie., baliser des espaces pour illustrer certains types de folie. Par le jeu, il s'agirait d'ouvrir une oeuvre à d'autres oeuvres par les échanges, par le biais d'une interface technique, Internet, jouant le rôle d'un filtre artistique en mettant en liaison les créateurs. Entre le monde et eux, les échanges susciteraient des emboîtements, donc des enrichissements, entre diverses productions, permettraient ainsi à chacun une mise en forme de lui-même tout en matérialisant une structure de relations et d'échanges par Internet. Il est important de noter que l'oeuvre d'art est à entendre au sens large du mot, une production gastronomique ou la réalisation d'un jardin par exemple, liste non limitative. Le manifeste Pour une nouvelle sorcellerie artistique comprend trois parties. L'une, loufoque, met en présence sous forme de contes les représentants des Sorciers et des Artistes, philosophant sur leurs activités respectives, au cours de situations saugrenues, et ils en arrivent à conclure à l'alliance nécessaire. L'autre comprend les règles du «Jeu» : qui, comment, quand, dans quel but peut-on jouer. Enfin la troisième propose un dictionnaire analogique, permettant de relier certains mots (art, jeu, magie) à diverses entrées permettant des associations.

Le premier ouvrage de cette série en projet est un gros volume (690 pages)
L'Effacement progressif des consignes de sécurité,

qui vient de paraître chez Flammarion, et se veut l'initiateur de l'esprit qui pourrait régner dans le jeu. Chacun des chapitres comporte en exergue un texte sur la magie de l'alchimiste de la Renaissance Paracelse. Entreprise farfelue ou riche de promesses? À la quarantaine, Ravalec est un auteur curieux, venu à la littérature il y a dix ans. Il se sent proche de Michel Houellebecq, et leurs thématiques insérées dans la modernité sont assez similaires, avec cependant une différence fondamentale : Houellebecq pense que l'existence n'a pas de sens, alors que Ravalec assure le contraire. Il a écrit plusieurs recueils de nouvelles et romans , dont Wendy et Cantique de la Racaille, pour lequel il a connu un certain succès (prix de Flore 1995), et qu'il a lui-même adapté et réalisé au cinéma. Car il a aussi produit des films (six courts et long métrages), avec un itinéraire chaotique et discuté (notamment le controversé Portrait des hommes qui se branlent, qui a remporté le Prix de la recherche au Festival de Clermont-Ferrand). Homme inclassable, un amateur de bizarre et d'ésotérisme qui a le goût de l'humour, un obsédé d'une oeuvre d'art qui serait la synthèse universelle des formes créatrices, certainement l'auteur à suivre ces prochaines années.

La quatrième de couverture :

« - L'Art? reprirent en chÏur les membres du Grand Conseil. Comment ça, l'art?

De nouveau les Annales furent consultées. L'Art? Mais l'Art existait depuis des temps immémoriaux. L'Art avait été l'un des fondements du Monde. La première tentative de mise en forme d'un savoir symbolique.

Pour illustrer ces propos les Sorciers se passèrent des séries de diapositives pédagogiques : rennes peints, mammouths gravés, etc.

Quel rapport aujourd'hui avec la choucroute?

Eh bien un rapport certain. Car l'art permettait, c'était notoire, entre autres, la mise en forme des Affects, Passions et Pulsions divers.

De plus, c'était une activité généralement très amusante et le plus souvent sans danger.»

Pour une nouvelle sorcellerie artistique fait office d'un vaste projet dépassant le cadre strictement littéraire : un forme de jeu artistiquement imaginé par Vincent Ravalec.

Né en 1962, auteur de recueils de nouvelles et de plusieurs romans , il a connu le succès dès Cantique de la racaille, prix de Flore 1995, qu'il a lui-même adapté et réalisé au cinéma. En deux ans, il a réalisé six films, parmi lesquels le controversé Portrait des hommes qui se branlent, qui a remporté le Prix de la recherche au dernier Festival de Clermont-Ferrand. Pour Joséphine et les Gitans, il s'est inspiré d'une histoire vraie.

Écrivain discuté, il a publié entre autres : Cantique de la racaille ( 1994), Vol de sucettes (1995), Recel de bâtons (1996), La vie moderne (1996), Nostalgie de la magie noire (1997), L' Effacement progressif des consignes de sécurité (2001).

Roland Ernould © 2001

 

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