Poppy Z. Brite, Éros Vampire, anthologie, J'ai Lu, août 1999

.À l'amour, nos contemporains en viendraient-ils à préférer le sang? Le romantisme amoureux serait-il passé de mode? En tous cas, la sexualité vampirique, relancée par le centenaire de Dracula, suscite l'engouement et le vampire est devenu le symbole d'une sexualité agressive et envahissante. Ces raisons complémentaires expliquent évidemment le succès du livre de 20 nouvelles recueillies par la dérangeante Poppy Z. Brite, qui se situe dans la lignée de l'horreur "impudique" de Clive Barker.
La lecture du recueil permettra de mesurer la distance qui nous sépare de ceux qui découvraient
Dracula il y a un siècle, avec trouble ou satisfaction, déchiffrant une vision de l'amour qui paraissait mettre en cause la société victorienne. Une sexualité hors normes, animale, agressive mêlait les premiers plaisirs de la petite enfance (succion) au plaisir trouble de la mort lente dans l'extase. Depuis, la séduction du buveur de sang a faibli sous cette forme et la puissance érotique a été fortement intensifiée par le renouvellement du thème depuis trente ans, la relation splanchnique se faisant plus percutante. Que dire des textes de cette anthologie, qui, pour la plupart d'entre eux, témoignent d'une recherche débridée du sensationnel aux différents sens du terme (liés à la sensation brute et au désir de surprendre)? La plupart de ces vampires mettent en pratique la philosophie de celui de White Chapel: "La beauté, la sainteté de la vie (...) ne résident ni dans la joie, ni dans le bonheur, elle réside dans les souffrances de la chair."
Poppy Z.
Brite ne dissimule pas dans son introduction son intention de nous proposer des récits où "le mutant peut être une source de beauté beaucoup plus que de terreur". La recherche du sang reste la préoccupation de certains de ces vampires, comme Imogen, qui déclare que "la frontière est mince qui sépare le désir de la chair et du sang." (Dans cette âme de femmes). Ainsi des trois soeurs jumelles dévorant le mari découpé en morceaux vivant de l'une d'entre elles (Abba Adi), ou d'une communauté mettant sur pied une sorte de cantine collective (Un lent murmure de sable rouge). La recherche peut être originale, comme la succion des foetus par Geraldine. Mais la source de vie n'est plus nécessairement le sang. Un vampire vit des sentiments humains, s'est mis au régime et gère prudemment son stock d'émotions puisées chez d'autres, et enfermées dans des bocaux (Calices vides). Lyrica/le serpent vide Mozart, puis Van Gogh de leur énergie charnelle et leur santé pour leur insuffler l'énergie créatrice (Trittico di amore). Un autre subsiste de musique particulière (L'alchimie de la gorge). Un daltonien retrouve le sens des couleurs grâce au troisième mamelon d'Elixir. On rencontre les vampires quêteurs de peau de White Capel. Il y a même le déçu par une fausse vampire qu'il éventre et dépèce (Berlingue). Tous sont dissemblables, passant de la cruauté sulfureuse à la souffrance de la malédiction. Ils connaissent ou font connaître aussi bien la douceur de la mort que les mystères de la douleur. Dans le poétique comme dans l'horrible. Leur point constant est leur pratique, parfois à la limite du supportable et de la répulsion, pour développer des amours hors du commun ou les faire survivre, avec une violence sous-jacente dans les comportements les moins insolites.
La longueur des nouvelles va de deux pages à plus de la trentaine. Les auteurs sont variés, des chevronnés dans le genre jusqu'à la «dominatrice» de clubs sado-maso de New York et Los Angeles... Et pour ceux qui seraient rebutés par le côté provocateur et subversif de ces nouvelles, on serait tenté de leur dire de méditer ce propos du vampire de
White Chapel: "Les hommes recherchent souvent la perversion. Je ne prétends pas que ce soit un bien. C'est là un grand mystère."

Titre original: Love in vein © 1994 Poppy Z. Brite et Martin H. Greenberg . Trad. française : Éditions Albin Michel S.A., 1997 20 nouvelles inédites par * Mike Baker * Douglas Clegg * Robert Devereaux * Elizabeth Engstrom * Christa Faust * Brian Hodge * Nancy Holder * Kathe Koja et Barry N. Malzberg * Charles de Lint * Ian McDowell * Thomas F. Monteleone * A. R. Morlan * Norman Partridge * Wulum H. Pugmire * Wayne Allen Sallee * Jessica Amanda Salmonson * David B. Silva * Steve Rasnic Tem et Melanie Tem * Danielle Willis * Gene Wolfe.

La quatrième de couverture:

Vingt auteurs rassemblés par Poppy Z. Brite. Vingt nouvelles au goût de sang, vingt textes troublants et sulfureux qui explorent les frontières entre vampirisme et érotisme, qui célèbrent les fêtes charnelles les plus secrètes et assouvissent les appétits insatiables sous des formes sabns cesse renouvelées. Ici, d'inavouables fantasmes, conjugués aux situations les plus délicieusement immorales, convoquent les forces obscures qui régissent l'âme humaine.

Notice biographique: Née en 1967 à la Nouvelle Orléans, auteur de nombreuses nouvelles parues dans la revue The Horror Show, récompensée dès 1994 par le British Fantasy Award, Poppy Z. Brite fait figure de chef de file du gothique moderne des années 90. Entre littérature underground et terreur, son oeuvre provocatrice (Sang d'encre {1992, à 25 ans}, les Contes de la fée verte, Corps exquis...) dévoile la réalité froide d'une société puritaine à la dérive. Le fantastique de Brite, Grand Prix de l'Imaginaire 98, fascine ou révulse, mais ne laisse pas indifférent.

Roland Ernould © 1999

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