Notes de
lectures.
Cette page contient
:
. Sexie ou l'Éloge de la
nymphomanie
|
..La Gueule
|
..Une enfance
sorcière
|
..
Traditions et
superstitions aux portes de Paris
|
...
Claude Seignolle, Sexie ou l'Éloge de la nymphomanie
édition intégrale, revue et
augmentée, éd. Zulma, 32380 Cadeilhan, octobre 1998.
Présenté par Claude Seignolle lui-même.
«Oui,
Sexie possède l'incommensurable charme, l'infinie
beauté, l'inévitable attirance de la baiseuse. Certains
la traitent, péjorativement, de plaisir-à-tout, de
nymphomane. Mais ce sont les éternels jaloux, impuissants et
laissés-pour-compte de ce monde qui ne voient que mal en tout,
plus particulièrement dans le domaine que je vais m'efforcer
d'évoquer en ces pages édifiantes.»
Dans ces histoires lestes et très confidentielles, Starcante,
l'auteur de Sexie,
parle à merveille de ses aventures sexuelles. Il en fait des
contes pour adultes, gourmandises pour les sens. Spontanés,
inattendus, parfois cocasses, toujours excitants, ces «contes et
récits licencieux» constituent une sorte de folklore
d'alcôve, une véritable ethnologie de la gaudriole
sexuelle exhibée au grand jour.
Claude Seignolle présente cette nouvelle édition
intégrale, revue et corrigée, des aventures de Sexie.
Il avoue bien connaître leur auteur, caché sous le nom
de Starcante. Les premiers recueils de cet «Éloge de la nymphomanie" furent d'ailleurs interdits et vendus sous
le manteau. Autres temps, autres moeurs, autres bonheurs
d'écriture que Claude Seignolle nous restitue aujourd'hui pour
le plus grand plaisir du lecteur complice.
Une oeuvre réputée pornographique
cesse de choquer les pudeurs le jour où elle
révèle sa nature artistique. On pourrait citer de
nombreux exemples de créations, condamnées en leur
temps, picturales par exemple, que les musées nationaux se
font une gloire d'exposer. Le cas spectaculaire encore récent
étant L'Origine du
monde, un tableau de Courbet mettant en valeur
la fente d'un sexe féminin à toison noire, depuis peu
au Musée d'Orsay.
Pourtant les traités d'esthétique ne parlent
guère de l'art érotique, pas davantage d'ailleurs que
de l'art culinaire. Un foie gras ou un vieux bourgogne ne sont pas
censés éveiller les mêmes sentiments nobles
accordés sans difficulté à un tableau ou un
poème qui les valent. Encore admet-on parfois, avec
réticence, que la gastronomie puisse être un art, le
cuisinier ou le vigneron un artiste. Mais quant à
l'esthétique du sexuel...
Gustave Courbet : L'Origine du
monde, (1866), huile, musée d'Orsay, 46x55 cms.
J'écris bien «sexuel» et
l'exemple du tableau de Courbet n'a pas été anodin. Les
commentateurs ne sont pas avares pour organiser autour de la femme
toute une mystique artistique dont les termes sont empruntés
d'ailleurs à la poésie et à la peinture. Une
femme artificielle, éthérée, ou à
l'opposé maternante, dont la fonction érotique,
gommée du discours, ne l'est pas toujours dans les apparences
qu'elle se donne. La publicité excelle dans l'utilisation de
cette duplicité sociale d'une érotique
omniprésente du yaourt, du déodorant ou de
l'automobile. C'est que gourmandise et plus encore sexualité
passent pour des tendances basses. Que le Cantique des Cantiques
biblique, le
Kama-Soutra hindou, ou des poèmes
antiques d'Ovide aient été consacrés
à L'Art
d'Aimer ne convainc pas les grincheux.
De la sexualité, jusqu'à une
période récente, on n'a voulu retenir ouvertement que
la fonction sociale: les enfants (pour Dieu, le ciment d'un couple,
le nom ou le patrimoine, maintenant que le sentiment patriotique n'a
plus cours). Ou encore, pour le romanesque, la conquête
amoureuse, le donjuanisme, la séduction ou la rupture, qui ont
fait l'objet de maintes créations. Mais l'essentiel -ce qui se
trouve entre les jambes- est rarement abordé, ou quand il
l'est, c'est dans la gêne ou dans la discrétion. L'acte
sexuel lui-même est évoqué comme intime, voire
vulgaire, ou pour certains, honteux. À la limite, on l'admet
sous un travestissement. Par exemple, dans une certaine culture
chrétienne traditionnelle, on ne baisait que dans le mariage,
sacrement qui sanctifiait et idéalisait l'acte. Et surtout, si
chacun y pensait, on n'était cependant pas censé parler
ouvertement de ce qui se passait, la cérémonie rituelle
et le repas de noces terminés. Suggérer la suite,
c'était trivial. Évoquer dans le détail les
activités au lit, c'était carrément
obscène. En me relisant, bien que les temps aient beaucoup
changé, je me demande s'il faut utiliser des verbes au
passé, notamment pour ce qui se dit sur la question lors des
conversations familiales...
Cela pour le bon ton des conversations ordinaires.
Car bien sûr ces dames se gavent volontiers d'une presse
hebdomadaire à grand tirage: comment parvenir le plus vite
à l'orgasme, comment les répéter, comment tirer
le meilleur parti de votre partenaire sont les sujets ordinaires des
magazines féminins. L'acte sexuel ne peut ainsi
s'éprouver que dans la mauvaise conscience. Car officiellement
le sexe est sale, et le cochon un vicieux.
Tout ceci pour expliquer que si des écrivains connus ont
commis des oeuvres érotiques, c'était jusqu'à
une période récente, dans la clandestinité et
dans le trouble, souvent sous une fausse signature. Et il est amusant
de constater que Seignolle, alias Starcante, se montre quelque peu
gêné par Sexie. Gêné
à l'égard de ceux qui le connaissent par d'autres
oeuvres, d'une qualité indiscutable dans un autre ordre, et
plutôt sages dans leurs évocations érotiques.
Gêné d'avoir écrit sous le manteau trois romans
jadis réprouvés, devenus confidentiels, et
volontairement délaissés par leur auteur.
Gêné sans doute de passer pour un cochon. Donc
vicieux...
Car Sexie, la fille débridée, n'est
ni éthérée, ni maternante. Elle ne vit que pour
son sexe, sans limite, sans retenue et sans entrave. La pudeur est un
sentiment que Sexie ignore. Le narrateur, bien que doué, est
limité par les possibilités physiques liées
à sa nature d'homme, et il ne peut multiplier les prouesses
au-delà de limites crédibles. Mais des limites, il n'y
en a pas pour Sexie. Toutes les occasions, toutes les positions, tous
les calibres. N'importe où, n'importe quand, n'importe
comment, simultanément. Ni les dimensions, ni le nombre, ni la
fréquence ne l'effraient. Avec une sorte d'innocence absolue
qui en fait un cas. Une boulimique de l'éros.
D'autres personnages apparaissent, avec leurs
caractéristiques particulières, dont le seul point
commun est le sexe, et le seul avantage de compléter la
culture déjà bien encyclopédique de Sexie. Le
narrateur se montre distancié et bon observateur,
jusqu'à ce que sa nature l'emporte. Curieux, souvent
expérimental, avec un solide sens de l'humour. Le tout forme
une oeuvre forcément répétitive, mais
remarquablement servie par une écriture qui allie à la
fois la précision clinique, le mot savoureux, l'adjectif
pulpeux et une suggestivité soutenue. Et d'une
efficacité érotique certaine. Pure et dure.
Si la censure régnait encore quand ces
trois livres ont paru, dans les années cinquante, en des
endroits insolites, on ne peut plus dire qu'elle exerce maintenant,
en tant que bras séculier d'un ordre bourgeois, une contrainte
quelconque. En cette fin de siècle où se
développe la course à la transgression, à la
provocation et à l'anticonformisme, il n'y a plus de censure,
parce qu'il n'y a plus de société constituée.
N'apparaissent plus que des censures particulières, provenant
d'associations ou de minorités, qui utilisent surtout leurs
protestations pour faire entendre leur voix personnelle.
Aussi est-il singulier de voir apparaître, dans le grand
silence de la censure institutionnelle, cette forme d'auto-censure
autogérée que pratique Seignolle, pour des raisons
d'opportunité. En ce sens je regrette que Seignolle signale,
dans la présentation de Sexie, avoir refusé
d'écrire son nom comme auteur de l'oeuvre: pour que
"ces pages osées ne
choquent pas ceux de ses lecteurs bien-pensants qui le lisent avec
respect et gravité", faisant
allusion à la "force
oppressive des conventions". Apollinaire est-il moins bon poète pour avoir dressé
les Dix mille
verges? ou Aragon
moins bon romancier pour avoir flatté Le con d'Irène? Je ressens personnellement l'impression inverse, de
percevoir des auteurs plus diversifiés, plus riches en
étendue humaine que les présentations
châtrées des manuels de littérature. Freud a bien
montré que la pulsion érotique est fondamentale dans
toute entreprise culturelle et que l'art est le laboratoire des
désirs humains.
Pour en revenir au point de départ de ce
propos, pourquoi Seignolle, fort de son autorité de conteur,
n'a t-il pas invoqué, haut et fort, son droit de contribuer,
avec Sexie, à une politique du plaisir? à une
esthétique des sentiments gourmands et érotiques, tous
deux liés à la satisfaction de nos tripes? de la bouffe
et du lit, où La
Gueule et Sexie pourraient figurer en
bonne place? Refuser ainsi l'image publique tronquée d'un
Seignolle qui se révèlerait autant homme avec ses
passions et ses goûts, que conteur fantastique? En fait
Seignolle semble se tortiller comme une collégienne
précoce qui doit avouer à sa mère avoir fait une
bêtise. Honteuse en apparence, mais ravie. Dans la
béatitude. Tout en feignant étaler une pudique retenue
pour avoir publié ces trois écrits, il est aux anges de
laisser se propager une image de lui différente, la
reconnaissant sans vouloir la reconnaître. La main voilant le
visage, mais les yeux vrillant entre les doigts, cherchant à
évaluer les réactions de son lectorat. Il dit avoir
peur de perdre sa réputation de sérieux auprès
de son vaste public, tout en espérant se voir rassuré.
Qu'il ne craigne rien. Il avait mis au point sa légende, bien
lisse, une image certes forte, mais finalement
étiquetée. Un peu restreinte. Maintenant, quand on
écrira un livre sur Seignolle, on ne glissera plus, à
la sauvette, dans un coin, les allusions aux fantaisies
érotiques de Starcante. Avec La Gueule, puis maintenant
Sexie,
s'ajoutant aux récits et aux contes, la partie
«l'homme» ne s'effacera plus tout à fait devant
«le narrateur». À son âge, Seignolle ne
réalise-t-il pas, en bon épicurien, ce que Stephen King
affirme être le souhait commun des hommes: "mourir paisiblement dans leur lit à
l'âge de quatre-vingts ans, de préférence
après un bon repas, une bonne bouteille de cru classé
et une bonne partie de jambes en l'air." (Anatomie de l'horreur,
158). Disons
centenaire, par affection pour Seignolle...
Roland Ernould, 06/09/99.
Note : deux livres viennent de paraître concernant le
tableau de Courbet : J'étais l'origine
du monde, par Christine Orban, Albin Michel, 79 Fr;
L'Origine du monde, par Serge
Rezvani, Actes Sud, 139 Fr.
Vous pouvez trouver des documents et des photos de couvertures
anciennes de Claude Seignolle à : http://www.heresie.com/seignolle/
Claude Seignolle La
Gueule, Zulma éd., 3/1999, 32380 Cadeilhan. 120
FF.
La quatrième de couverture:
La Gueule, c'est 1a
faim terrible qui prend l'homme au ventre et le pousse à
toutes les folies. À partir de souvenirs très
personnels, Claude Seignolle raconte la Seconde Guerre mondiale, sa
captivité en Allemagne nazie, la résistance en Sologne,
puis, après la guerre, un séjour en Suède, au
Maroc et à Ibiza. Avec la verve de conteur qu'on lui
connaît, il donne au quotidien une dimension quasi
surnaturelle. Les soldats allemands deviennent pour lui des loups
verts. La capture d'une patrouille ennemie se fait à l'aide
d'une gamelle de patates. Et de "l'exécution du chien pourri",
André Hardellet souligne «le don hallucinatoire de la
description»! Si le cauchemar tient lieu de
réalité, la peur et la détresse ne
résistent pas à un rire intérieur qui fait foi
en la vie.
L'analyse de cette oeuvre de Seignolle est un
exercice difficile. L'introduction étoffée, remarquable
d'Éric Dussert rend l'aventure encore plus périlleuse.
Une lecture naïve n'est d'ailleurs plus possible. Je ne peux la
faire qu'au travers des déclarations et les comportements d'un
homme qui construit passionnément ses histoires et son image.
S'il fallait le qualifier en quelques mots, je dirais que Seignolle
est un metteur en scène remarquable, metteur en scène
littéraire de ses contes fantastiques, de ses récits
biographiques, et metteur en scène théâtral du
personnage qu'il a sans cesse patiemment construit et qu'il impose,
sans qu'on puisse le remettre en question.
La Gueule est d'abord une oeuvre politique. Pas la politique
politicienne, dont a horreur Seignolle. Mais «le»
politique, la vie du citoyen dans la cité des hommes, au sens
aristotélicien: vivre au mieux, avec les autres humains, dans
une société régulée. Or, constate
Seignolle, notre vie en commun est un désastre. Règnent
partout l'autoritarisme borné, l'exploitation de l'autre, la
vie mangée par les travaux industriels destructeurs,
l'écrasement des petits, l'incompréhension, la
moquerie, bref, le malheur d'être des hommes condamnés
à vivre ensemble. Il décrit aussi la richesse
égoïste des habitants des nations nanties, comme ces
Suédois rencontrés après la guerre,
pétant de santé, "étalons intacts"
(152), alors que dans
le reste de l'Europe on ne rencontre que balafrés,
amputés et corps meurtris. Et ce sont les maux les plus
graves. Le pire étant dans l'acharnement à molester,
à blesser, à dominer, à tuer: la folie de la
guerre. Tout ceci dit avec force, sans discours, en quelques mots,
auxquels la force stylistique donne un impact émotionnel
suffisant pour emporter l'adhésion. Sur ce terrain, Seignolle
a des accents qui rappellent le meilleur Céline. Mes lecteurs
y rencontreront aussi un
King familier pour qui sait le lire entre
les lignes, un King que ne renierait pas Seignolle: "Bien sûr, les monstres existent. Ce sont les
hommes qui, dans je ne sais combien de pays, sont prêts
à pousser sur le bouton pour déclencher la guerre
atomique, ce sont les pirates de l'air, ce sont les assassins
à la chaîne et les tueurs d'enfants." (Salem, 169)
Heureux ceux qui, ici et là, trouvent un réconfort dans
une camaraderie momentanée, où on partage comme on peut
son malheur, dans une solidarité sans lendemain. Des
bêtes qui se rassemblent pour avoir un peu de chaleur et mieux
faire front à l'orage. Les passages les plus humains sont ceux
des instants réconfortants de ces rencontres. Car la guerre,
le pire symbole de tous les travers humains, meurtrit Seignolle au
plus profond. Le premier récit de ce livre est un plaidoyer
révolté contre la guerre et la corruption humaine
généralisée qu'elle entraîne. La guerre
permet à la «gueule» de révéler des
limites dans l'odieux que la vie quotidienne normale ne permet pas.
Et Seignolle ne joue pas au saint: quand lui-même a l'occasion
de s'en prendre aux «loups verts», vainqueurs
déchus, c'est pour leur enlever ce qui pèse encore plus
que leur vie: leur dignité. Il y arrivera par la gueule.
La «gueule», ce sont les pulsions animales, fondamentales
et difficilement maîtrisables par l'être humain: manger,
boire, copuler. Plus tuer d'autres humains sans
nécessité vitale, pour le plaisir. C'est la gueule qui
fait des hommes des monstres. Vivre, c'est manger.
Éventuellement l'autre. Dure nécessité de la
nature humaine, que la société des hommes
tempère à peine dans son fonctionnement ordinaire.
Mais que la guerre éclate, et la gueule s'impose sans
vergogne: toujours insatisfaite. Si on ne la comble pas, on meurt de
faim. Si on cherche à la remplir, on peut en mourir, comme ce
biffin qui, la colonne de prisonniers quittée, meurt,
tué d'un coup de pistolet dans la nuque tiré par un
gardien, dans un champ proche pour avoir voulu cueillir une patate.
Mort de la plus totale insignifiance: "Il
m'aurait semblé équitable que, voulant tuer un homme,
ce coup de revolver fît un bruit de canon; un bruit à se
boucher les oreilles; un fracas de fin du monde, car l'homme est un
monde à lui tout seul. La fin d'un être humain vaut bien
un orage. Eh bien, non; ce fut seulement ce craquement mesquin,
aussitôt emporté par l'immense crissement des semelles
cloutées raclant le silence des
chaussées."
(59) Mieux vaut
d'ailleurs, pour la dignité humaine, mourir assassiné
dans l'absurde, soumis à "l'aveugle
puissance des armes, du feu et de la mort" (26)
que devoir lucidement perdre son honneur comme cet officier allemand,
naguère affamé de carnage, qui se rend, la rage au
coeur, pour avoir cédé à la tentation d'un plat
de pommes de terre.
Et si, par chance, on se la remplit, la gueule, on meurt aussi,
gavé comme ce polonais affamé qui s'est empiffré
de pommes de terre crues, et qui n'accouche pas du foetus d'amidon
indigeste que son estomac ne parvient pas à expulser. La
gueule, qui se contente de tout, y compris de frites cuites à
la graisse de charogne, en plein "primitivisme bestial". La gueule
tournée en dérision, quand dans l'après-guerre,
dans la pénurie générale et la recherche
difficile de la nourriture, des négociants d'un papier devenu
rare gavent la fille d'un riche suédois, leur fournisseur de
pâte: "Tous ces affamés du papier
finissaient par la pourrir à coups de marennes, de belons, de
cuisses de grenouilles, de poulardes, de pinards rarissimes, de
champagnes millésimés." (145) La fille trouve que l'on a fort exagéré la
misère des Français. Et aussi, pour être complet,
la gueule gastronomique, qui peut devenir un art, avec le restaurant
"haut-lieu de la gueule, un
temple dédié à la boustifaille." (193)
La gueule, c'est aussi le sexe, le désir qui couve dans les
ventres, le fluide charnel de la femelle qui pousse au viol. Ce n'est
plus la mort, mais la possession de l'autre qui est
recherchée: "Nous ne
pensions, nous ne désirions plus que la chose. La Chose depuis
longtemps prisonnière en nous. La Chose convertie en simples
images, impalpables, imaginées." (50)
Le sexe qui se retrouve partout dans le recueil, inhibé en
Suède, suggestif au Maroc, tranquillement conjugal en Sologne.
Et puis la gueule, c'est aussi la soif, obsédante dans le
désert. Bref, partout, la gueule.
Le fantastique n'apparaît pas au premier abord. Une remarquable
description de la peur, celle qui prend aux tripes et submerge
tout (125), ne
débouche pas sur l'objet la justifiant. Alors que dans les
nouvelles de Seignolle, le fantastique naît de l'intrusion d'un
événement surnaturel dans la quotidienneté des
choses, le fantastique de La
Gueule est d'une autre nature. L'oeil de
Seignolle «voit» ce qu'on ne devrait pas voir. Voyant qui
décrypte l'élément fantastique dans les choses,
Seignolle découvre des correspondances cachées. La
chevelure d'une vieille femme devient brusquement insolite:
"Ses longs cheveux, collés en nattes raides par
la crasse huileuse qui luit par instants, comme des éclairs,
volent raides autour de sa tête hagarde, tentacules de pieuvres
arrachée de son antre marin, cherchant à saisir son
tortionnaire."
(177) Les scènes
horribles sont nombreuses: les tankistes au visage fondu qui,
Frankenstein involontaires, portent un masque: "L'un d'eux
passa sa main sur sa nuque; alors, craignant que sa tête ne
fût aussi postiche et qu'il ne l'enlevât, je fermais les
yeux." (124) Suivent des images
d'épouvante. On ne peut tout citer: l'exécution atroce,
yeux arrachés au doigt, du résistant Écureuil;
l'ouvrier tombé dans une cuve d'acide, qui y perd lentement sa
substance; le chien pourri increvable. Et la truie folle, la
charrette de la mort de l'Ankou breton, le ventre gonflé du
cerf mort, dont la langue évoque "une limace géante cherchant à
pénétrer dans la gorge."
(133); et d'autres
encore.
La seule lumière dans ce monde
ténébreux, où règne en maître le
"crime de lèse-harmonie"
(131), ce sont les mots
et les livres. Les mots, qui mettront à la merci du narrateur
les loups verts affamés, qui ont abandonné pour manger
leur attirail guerrier: "Après avoir
eu les armes par la gueule, il fallait avoir l'esprit par le Verbe."
(67) D'où
cette louange du livre, insolite dans ce monde où on cherche
avant tout à sauver sa peau, ou la torture physique est
constamment présente: "Je souffre
toujours quand je vois un livre torturé. Le livre est une
chose vivante, un cerveau discret, en veilleuse; un cerveau non de
matière compacte comme le nôtre, mais un cerveau de
lamelles, toujours docile, toujours disposé à
satisfaire votre curiosité."
(108) Des livres dans
lesquels Seignolle s'est toujours vautré, qu'il aime
peut-être avant tout, qu'il multiplie à donner le
tournis et qu'il parsème avec magnanimité...
Mise en scène à la Malaparte, percutante par le
choix du vocable juste et des effets de style. L'auteur s'est battu
avec les mots, drus, goûteux, charnus, gouleyants, parfois
tendres, pour leur donner la juste place dans une prose fascinante.
Dans le meilleur récit du recueil, il brode de multiples et
invraisemblables variations sur le légume du pauvre... Livre
le plus souvent de dérision, cruel, ironique, d'une
gaieté tragique, toujours mené avec entrain. Qui
suscite des parallèles: ceux avec les auteurs
énoncés plus haut, Moravia, Theodor Plievier, pour les deux
premiers récits. Cendrars, un camarade de
Seignolle, pour l'esprit de pérégrination et la
recherche. Dans le troisième texte, des évocations du
Maghreb suggèrent le Gide découvrant le pays,
avec des expressions poétiques semblables à celles de
son Nathanaël des Nourritures terrestres. Le
tout me fait enfin penser aux sentiments de révolte et
d'absurde, si marquants dans Camus, qui a écrit
à la même époque, qui ressent
simultanément, comme Seignolle, le dérisoire du temps
et le même goût pour la vie. Comme Camus décrivant
Tipasa, apparaît un Seignolle sensoriel, inséré
dans son monde, cherchant à rendre l'union du corps humain
avec la vitalité de l'univers, fût-il décevant
sous bien des aspects. Sa poétique n'est pas celle d'un
spectateur, mais d'un acteur qui participe au grand mouvement des
choses.
Si on n'a pas bien pénétré Seignolle, on ne
comprend pas pourquoi il a laissé sommeiller ces récits
pendant si longtemps. Son personnage (le «je» est
omniprésent), vit une existence plongée dans des
événements variés, ce qui facilite les
observations et les confidences, rares ailleurs. Seignolle vit
pleinement son temps. Surgissent des aspects secrets d'un Seignolle
aimant le manger, le boire, les filles; des réactions à
la fois roublardes et innocentes aux événements. Comme
ces aspects seront ensuite gommés dans ses contes, on peut
penser que Seignolle a mis de côté ce livre, trop
personnalisé à son goût, pour ne pas brouiller
l'image de l'écrivain qu'il voulait donner. Ses amis de
l'époque connaissaient bien cette vitalité, qui se
révèle plus crûment encore dans un autre livre,
Sexie,
qui vient de paraître, après un aussi long sommeil que
La Gueule. Les contes occultent le vrai Seignolle, le rendant
mystérieux, en retrait dans une temporalité
différente, en accord avec les dits naguère recueillis
auprès de ses campagnards. Ils ont contribué
malheureusement à restreindre l'image d'un Seignolle au mythe
réducteur du meneur de loups. Personnage bien plus complexe,
que l'on devine derrière ses contes, mais qui est
difficilement mis à jour. Il est heureux que Seignolle se soit
décidé à donner une image plus ouverte de sa
nature.
La chasse à la patate du premier récit suggère
une certaine approche."Poussé par toute la kyrielle de [ses] ancêtres chasseurs surgis de la nuit des
temps" (131), Seignolle est lui aussi un
chasseur de proies. Ses captures ne sont pas de chair, mais les
produits de l'essence humaine, de ce que l'homme a en lui de plus
précieux, de plus typique, transcendant l'animal qui gronde en
lui: les vestiges de son histoire, les croyances lentement
élaborées au cours des millénaires, les mots
pour écrire et les témoignages de la vie des
hommes.
Le cheminement spirituel de Seignolle paraît évident.
D'abord l'adolescent et le jeune homme, c'est la chasse
archéologique, des traces concrètes, palpables, que la
terre a conservées et que l'on peut retrouver ensuite dans un
musée pour le plaisir d'exercer son regard et d'évoquer
des grandeurs. Puis l'exercice devient plus théorique, avec la
chasse aux récits populaires qui suppose plusieurs
intermédiaires (capter la confiance, recevoir le récit,
le mettre en forme). Ensuite la chasse aux mots, à
l'écriture pertinente qui se dérobe et se trouve enfin,
avec l'accumulation des contes fantastiques, utilisant des
matériaux précédents. Mais remaniés, et
sublimés jusqu'à cette perfection qui permet au lecteur
de sentir se produire le miracle de la rencontre d'un passé,
presque déjà lointain, d'hommes de passions, de
croyances, de peurs et de mort, avec un écrivain qui les
ressuscite. Enfin avec l'âge, est venue la chasse de la
quintessence de l'humain, la poursuite de l'autographe, une page
manuscrite qui contient un plaisir ou un tourment d'homme
célèbre, ou seulement une signature mythique qui fait
encore davantage rêver. Et toujours, pendant ces quêtes
se succédant, la chasse à l'affection, à
l'amitié, aux marques de reconnaissance, un Seignolle
cherchant constamment à séduire, à accumuler
contacts, relations et liens. Travail passionnant, qui a
occupé toutes ces dizaines d'années, et qui le motivent
toujours. Somme toute, une longue chasse à la patate.
Ramasser, pendant que peut se faire encore, avant leur pourriture par
le temps, ce qui peut encore être sauvé de ces
trésors populaires avant leur disparition. Ramasser ses contes
déjà écrits, les trier, les rassembler à
nouveau, dans des paniers toujours renouvelés, des livres qui
n'ont jamais le même contenu. Ramasser les autographes qui
symbolisent une vie d'efforts créateurs, les classer, les
sauver de l'ensevelissement pire que la mort. Et ces patates, pour
organiser leur survie de son vivant, Seignolle va les faire passer,
comme les patates que l'on sait maintenant conserver longtemps, par
une sorte d'équivalence aux substances et aux radiations qui
permettent une plus longue conservation des tubercules: l'occupation
incessante du terrain, l'organisation autour de son oeuvre d'un
réseau de laudateurs, l'amoureuse élaboration d'une
statue destinée à lui survivre. En espérant ce
miracle impossible: parachever et imposer définitivement
l'image que les décennies futures garderont.
Un personnage hors du commun. Une force.
21/08/1999
Une enfance sorcière,
Omnibus, avril 2000.
La quatrième de couverture
:
«C'est à Périgueux, dans un
Périgord truffé du passé le plus ancien, que ma
mère me porta en ventre de septembre 1916 au 25 juin 1917,
à quinze heures très précises. Ce fut là
que je pris intra mater les premiers frissons du mystère et
les virus de l'archéologie.»
Claude Seignolle part ainsi au
début de ce livre à la recherche des influences
multiples et secrètes qui ont fait de lui l'homme qu'il est
devenu - ethnographe, écrivain, collecteur de contes, passeur
de mémoire et faiseur de légendes.
Du grand-oncle Félix, dernier des Cro-Magnon, à la
grand-mère Augusta qui lui donna la preuve matérielle
de l'existence du diable, son enfance sorcière est
jalonnée de portraits hauts en couleur qui sont autant de
repères marquant le parcours de l'adolescent vers son destin.
Octogénaire encore bien vert, Claude
Seignolle est le
fantastiqueur français le plus célèbre de cette
fin de siècle. Cet explorateur des ténèbres a eu
le privilège exceptionnel d'être accepté par les
enseignants des collèges et lycées et proposé
à leurs élèves, place unique pour les auteurs du
genre. Sans doute à cause de son fantastique insidieux, sans
les gros effets et oripeaux habituels. Non seulement Seignolle néglige le
clinquant et la machinerie ordinaire que les montreurs du fantastique
se croient obligés de mettre en place pour appâter le
lecteur, mais il a son style, immédiatement reconnaissable.
Avec gourmandise, les mots sont enfilés dans le ravissement
comme des perles singulières et colorées, où la
place de chacune est réfléchie en fonction de l'impact
à produire, rocailleux, râpeux, dramatique,
poétique, toujours coruscant, qui semble couler de source
alors qu'il est le résultat d'un long travail
d'écriture. Une écriture parfois sauvage, à la
langue à la fois archaïque et moderne, avec tous les
effets de "parlure" d'un raconteur né. Le style le plus
adéquat pour faire surgir dans la réalité
quotidienne les angoisses et les peurs des hommes, les horreurs qui
sortent de la nuit du monde, leur sauvagerie et l'absurdité de
leurs comportements.
Négligeant le poids des ans, il gère
jalousement son oeuvre et multiplie les éditions
d'écrits déjà parus, mais les remanie, les
transpose, les métamorphose. Il cisèle et polit des
textes déjà excellents, remettant ses récits sur
le métier avec persévérance dans le désir
d'atteindre une perfection au-delà de l'impossible. Ce qui
nous vaut ces anecdotes de jeunesse, dans lesquelles Seignolle nous narre l'ambiance
périgourdine de son lieu de naissance, terre du passé
le plus ancien, où l'on retrouve les plus vieux crânes
du monde, où le surnaturel se trouve en osmose avec le
quotidien. Seignolle est un irradié du passé, aussi bien
l'historique que le fantastique. Tout jeune, il éprouve en
même temps les frissons de l'archéologie et du
mystère de ces campagnes, entre un oncle athlétique,
sorte de sauvageon cro-magnonesque, ou une grand-mère
époustouflante, qui le fait vivre en symbiose avec le
Maître rouge de l'enfer ou la sorcière d'à
côté, le loup-garou d'en face ou les chasses volantes,
le croquemitaine ou le juif errant qu'elle a rencontré par
hasard près de la cathédrale Saint-Front. Bref, une
famille où la plupart croient possibles des
phénomènes impossibles. De la recherche des silex des
abris aux fouilles archéologiques, des recherches dans les
ruines à la quête des contes et légendes en voie
d'être oubliés, Seignolle rencontre dans les
terres paysannes les survivants des magiciens, des sorciers, des
jeteurs de sort, des guérisseurs. Une enfance passée
dans l'initiation à un surréalisme de
l'étrangeté, parfois tragique et sanglante, lointaine
survivance des traces rupestres rougeâtres du sang humain ou
animal des sacrifices rituels. Seignolle a capté les
propagations du passé et du suprasensible, humé leurs
effluves, accaparé leur surnaturelle réalité,
servi par un appétit et une imagination débordants.
Trop, c'est trop! Il paraît impossible qu'un
seul homme ait pu subir cette foisonnance d'influences; rencontrer
tant de personnes célèbres à un âge
où, gamin, il se trouvait viré de l'école alors
qu'il dissertait savamment, en culottes courtes, archéologie
avec les préhistoriens l'abbé Breuil ou Teilhard
de Chardin;
subissait l'influence de l'ethnologue Van
Gennep. Et tout le reste! Extraordinaire
légende, racontée avec un tel élan, une telle
dynamique et un tel accent de sincérité qu'à la
lecture, toute réticence tombe. Et ce n'est que la tête
reposée de cet invraisemblable musée d'influences
visité par ce brocanteur du ténébreux qu'on se
dit que cet homme est marqué par une intervention
particulière de forces obscures. Qui ont offert en cadeau
à Seignolle un fantastique présenté "naturellement",
sans qu'il ait produit l'effort de le chercher.
On veut plutôt croire que cet homme a
poursuivi, avec une volonté sans limites, de manière
obstinée, inconsciemment peut-être d'abord, mais en
pleine lucidité maintenant, l'édification du monument
seignollien qu'il voudrait laisser à la
postérité. Jamais achevé, jamais assez parfait
pour la démesure et la grandeur de l'homme. Ce qu'il a
été ne l'intéresse que dans la mesure où
il pourra parler ce qu'il sera demain, devenu le serviteur de son
propre culte, son célébrant, en en prescrivant, pour
lui-même et les autres, les usages et les rites. Et
Seignolle
apparaît si grandi, par ce méticuleux travail d'artisan
de sa survie, qu'il faut oublier le truqueur pour admettre ce que le
conteur a transformé, dénaturé ou
inventé, afin que sa vie mythique s'inscrive dans quelque
Légende
Dorée dans l'esprit de l'Histoire.
Si vous ne connaissez pas bien Claude
Seignolle, lisez
cette "enfance sorcière", qui montre comment un grand
écrivain naît à la conjonction bénie
d'influences multiples, digérées avec une convoitise
insatiable, avec une ouverture sans réticence à
l'immensité des choses. Et si vous connaissez Seignolle, ces pages
auto-biographiques vous raviront, par leur narration haute en couleur
de l'enfance du meneur de loups et du Maître en diablerie. Et
l'on comprend que, servant de ces régions mystérieuses
où l'animal humain plonge ses racines, Seignolle veuille imposer son
image aux générations qui suivront, jusqu'à son
dernier souffle, en triomphant de la grande Ombre qui accompagne le
passage, et qui effraie les hommes depuis qu'ils ont pris conscience
de l'inexorabilité du temps.
20/4/2000
Un commentaire personnel de Claude Seignolle
à propos de cette note.(
25/4/00)
"Encore
une fois vous avez tapé juste et en plein dans mon ego, mais
tout cela est positif. (...) Votre texte mérite maintes
lectures, car il est ça et là visionnaire
(1), ce que vous dites de moi, je le ressens
comme dit à moi seul. D'où l'impact de vos propos sur
mon moral.
D'avoir partagé les peurs
anciennes confère une souveraineté sur les peurs
futures. Les miennes ne sont pas aussi fortes et partagées que
celle de votre petit copain King, et
cependant elles sont immortelles."
note de Seignolle : (1) "ou tout du moins je l'espère
fortement".
Claude et
Jacques Seignolle
Traditions et
superstitions aux portes de Paris , éd. Hesse, sept.
2000.
Nos contemporains ne vivent plus que de peurs
fabriquées en grandes séries, sur des recettes
éprouvées. Claude Seignolle est un de ceux, rares, qui
a connu les peurs réelles des derniers Français vivant
encore sur des traditions millénaires. Ce qui donne à
son oeuvre littéraire ce parfum d'authenticité, loin de
la cuisine des grands éditeurs et des sondages pour chercher
et fabriquer ce qu'il plaira aux lecteurs de se choisir comme
frayeurs. L'angoisse demeure aujourd'hui, quotidienne, mais elle est
devenue liée à des causes immédiates et
matérielles, au seul présent et à ses
incertitudes. Elle a perdu l'authenticité de ce qui faisait la
puissance des grandes peurs cosmiques du passé.
Auteur de quinze ouvrages ethnologiques et d'une soixantaine de
contes et nouvelles, Seignolle n'a cessé de fureter partout
où il pouvait ressusciter les légendes d'antan.
Sorcières, jeteuses de sort, devins, guérisseurs,
pratiques magiques et croyances superstitieuses du terroir, il fait
de tout son miel. Un florilège d'une humanité en
état de survivance, qui a maintenant disparu en moins de
cinquante ans. Deux générations. Les rares survivants
de cet irrationnel ancestral ne se retrouvent plus dans le
nôtre, et nos irrationnalités n'ont guère
d'échos chez eux. Plus qu'un fossé, dont la berge est
encore visible, les sépare : un abîme, que rien ne
pourra jamais plus combler.
Conseillé par l'ethnologue Van Gennep, ce "brocanteur du
fantastique", comme il se qualifie lui-même, a passé une
grande partie de sa vie à la collecte des fantasmes humains,
des peurs brutes, instinctives, ancrées dans les moeurs
campagnardes - et occasionnellement urbaines. Cette
réédition des comportement encore observables dans sa
jeunesse dans le Hurepoix, Tradition et Superstitions aux portes de
Paris, est, en même temps qu'un
hommage à son frère, un bon témoignage de cette
mission qu'il s'était alors donnée, sauver les
observations sur les faits insolites, les vestiges du passé,
pour leur redonner vie. A l'époque, les légendes et le
merveilleux commençaient à Arcueil, Bagneux, Montrouge
ou Malakoff. Devenu le rapporteur fidèle, le diseur de ces
légendes reflétant la pensée populaire dans ce
qu'elle a de plus instinctif, avec son mode de pensée
prélogique, ce chantre de la voix populaire entonne à
pleins poumons le chant d'une réalité alors en
état de survivance, qui dépérit dans
l'indifférence des milieux intellectuels et des individus
urbanisés. Il restitue avec opiniâtreté les
crédulités, les croyances, les convictions et les
fausses certitudes d'hommes encore tributaires d'une nature toute
puissante qui vivent encore les dures réalités d'une
nature qu'il faut forcer pour survivre.
Enregistrée par un médium réceptacle d'une
pensée sauvage, vécue avec profondeur et conviction
absolue par ses adeptes obligés, la transcription de ces faits
rustiques, primitifs, ne se limite pas à ses convictions et
fausses certitudes, à ses pratiques magiques, aux
médecines empiriques. Elle touche aussi aux fêtes
traditionnelles, aux veillées, aux célébrations
du sacré. Du berceau à la tombe, Seignolle nous fait
participer aux cérémonies périodiques, à
la météorologie paysanne, aux chansons et jeux
populaires. Ce recueil est le premier publié d'une masse de
croyances transmises oralement de siècle en
siècle,collectées par Seignolle région
après région, qui en font un ensemble d'une remarquable
polyphonie folklorique, faite des multiples voix des croyances, des
légendes, des archétypes primitifs et des mythes, qui
remontent à la nuit des temps. On se rend d'ailleurs vite
compte que nos ancêtres n'ont jamais vraiment été
christianisés, qu'ils sont restés semblables à
eux-mêmes, se contentant, au travers des croisades et
évangélisation, d'ajouter les nouvelles croyances aux
anciennes, jamais supplantées. Ils n'ont jamais vraiment fait
de différence entre leur psychologie et leurs convictions, se
souciant peu de logique et de cohérence. Dans leurs
difficultés, les épidémies, les guerres et les
invasions, ils détenaient ainsi précieusement un
trésor disparate, qui leur permettait de survivre, et dont ils
se gardaient bien de lever les contradictions. Alors que tant
d'auteurs contemporains fouillent les motifs fantastiques anciens en
explorateurs méthodiques, soucieux d'en exploiter tous les
filons littéraires nouveaux, souvent artificiels, Seignolle
hérite d'un fantastique solide, soudé aux courants
secrets qui relient les hommes à leurs profondeurs
telluriques, à l'absurdité de leurs conduites qui les
entraînent à la destruction ou à la mort depuis
des temps immémoriaux.
De la transfusion directe du merveilleux populaire à la
matière de ses contes, ce fantastiqueur médium a
gardé une partie de la sauvagerie des propos populaires :
style rugueux, rocailleux, coruscant, à nul autre semblable.
Autodidacte, il n'est pas passé par une formation
littéraire, mais sans avoir fréquenté les
classiques, il figure à la bonne place dans la
littérature de ce siècle. Il y a d'autres romanciers
qui ont fait leur miel de ces temps à la fois anciens et tout
proches, mais de manière conventionnelle, et sans
originalité véritable. Ils touchent davantage parce
qu'ils ressuscitent un passé encore nostalgiquement
vécu par certains, une vie de tous les jours avec ses joies et
ses misères que de moins en moins de nos contemporains
connaissent par les récits émus de leurs aïeux.
Seignolle est d'une autre trempe, et ce quotidien émouvant ne
lui suffit pas. Le passé qu'il ressuscite partiellement lui
offre avant tout l'occasion d'en distiller, en sorcier
inquiétant et sarcastique, ses aspects les plus
dérangeants, les plus délétères, la face
cachée d'un univers obscur et hostile.
Véritable poétique, l'univers de
Seignolle peut se comparer à une grande toile
d'araignée, où viennent se prendre et coexister aussi
bien les peurs paysannes souterraines ou nocturnes que ses
créations personnelles. Il a représenté dans un
dessin connu l'âme humaine enfermée dans une bouteille.
Il est impensable que la sienne y soit ainsi. Elle a besoin d'espace.
Aranéide humain, Seignolle aime à pomper le suc de ses
proies, à sucer leur vitalité pour la transfuser dans
ses récits. Une véritable subtantiation, qui des ombres
et des lumières réelles, mais anonymes, produit une
oeuvre personnelle d'ombre et de lumière. Bien que ne
créant plus, mais ne laissant pas son oeuvre se fossiliser, la
reprenant sans cesse, il tisse d'autres toiles, des réseaux
complexes où relations, amis et connaissances se retrouvent
englués par la verdeur de ses propos, la chaleur de ses
sentiments, la richesse de sa présence.
Synthèse française unique par sa puissance
d'évocation du folklore transmuté en
littérature, l'oeuvre de Seignolle s'apparente aux meilleures
réussites des romantiques allemands du siècle dernier.
Ses récits sont de la lignée des Contes de Grimm ou de Tieck, du
Cor enchanté d'Arnim et Brentano, des Élixirs du diable
d'Hoffmann ou du Peter
Schémil de Chamisso, tous ces
fantastiqueurs qui se sont nourris des choses obscures de la
campagne, souterraines ou nocturnes. Dernier survivant authentique
d'une tradition disparue, Seignolle a réussi le tour de force
d'être simultanément moderne, singulièrement
présent, et de garder, en ce début de siècle,
les yeux fixés sur l'avenir. Son avenir.
Roland Ernould, 15/9/2000.
L'aventure de l'édition et du premier livre!
Claude
Seignolle et moi-même recommandons le recueil de
nouvelles de Patricia
Jauliac
Ailleurs et autres
errances. (Voir la note de
lecture)
dossier
Claude Seignolle
vous offre
en lecture gratuite :
L'hostie
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.. du site Imaginaire
.. du site Stephen King
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