L'hostie.
dessin de.Claude
Seignolle
Vous me demandez un article ou une nouvelle, enfin
quelque chose d'inédit. Mais mon actuelle
contrariété ne m'y prédispose pas et je me dois
de vous apprendre la chose, puisque c'est à Liège,
à la dernière Noël que j'ai commis cette grave
imprudence...
... Ah! pourquoi ai-je écouté ce diable de photographe
qui, voulant une scène originale, m'obligea à poser
achetant dans la rue, à un gamin sans doute de connivence,
cette... cette hostie...
Maudit soit le franc que je donnai en échange!
Ce ne fut qu'une fois revenu à Paris, en retrouvant au fond
d'une de mes poches l'hostie brisée et souillée, que je
réalisai l'ampleur du sacrilège que j'avais commis.
Vous me connaissez, je veux tout savoir sur tout. Je feuilletai
aussitôt divers vieux grimoires et, ainsi, appris-je que,
jadis, la punition classique pour un tel méfait était
la métamorphose du coupable en... crapaud... Cependant, on
pouvait espérer sa délivrance en embrassant un
serpent...
D'abord cela m'amusa, autant la fantaisie de ces grimoires, que la
pensée d'une excellente publicité pour un
écrivain de l'insolite : devenir un crapaud, attirer les
regards de tout un chacun en se promenant à croupeton dans les
rues de Paris, coasser en guise de conversation... bref, ne pas faire
comme les autres - ce qui d'ailleurs m'est facile puisque tout
m'arrive sans cesse.
... Seulement, aujourd'hui, je ne trouve plus du tout ma condition
amusante... Certes, je me suis fait remarquer au-delà de mes
désirs... j'ai surpris les plus blasés... mais comme je
dégoûte mes proches - pourtant habitués à
mes pires fantaisies - et que mes coassements deviennent de plus en
plus agaçants, je suis obligé de me réfugier
dans mon bureau et de ne plus en sortir... On ne veut vraiment plus
me voir, ni m'entendre... Même ma femme parle de me faire
piquer comme une bête galeuse (avouez que l'occasion est
tentante)... Moi-même je me répugne et étouffe
dans cette pièce trop étroite pour ma vie batracienne -
au fait, si vous connaissez un espace marécageux à
louer, pas trop cher!... Enfin, tout cela ne serait encore rien si,
chaque fois que je me déplace, je ne me jetais violemment
contre les murs et m'y assommais.
... Certes, je pourrais me faire apporter un serpent, l'embrasser et
être délivré... mais voilà, et vous ne
l'ignorez pas, j'ai horreur des serpents.
L'Essai, mars-avril 1963.
Ce court texte rappelle la
métamorphose cocasse qu'on trouve dans Le bel
ensorcelé. L'auteur est venu
en Sologne enquêter, à son habitude, sur les
moeurs paysannes. Il parle à un vieux paysan de
superstitions, d'envoûtements, de charmes :
"Le fermier sauvage s'anime et me regarde
avec intérêt.
Il parle enfin :-
«S'y'en avait, éructe-t-il, j's'rais plus...
com'j'suis là...»
Sa gorge spasme et
égoutte les mots. On dirait qu'il coasse ses paroles.
Je me sens mal à l'aise.
- «On l'a
ensorcelé, mon homme, murmure alors la
femme.»
On dirait qu'il coasse, dit le
narrateur. Quelque temps plus tard, il aperçoit le
paysan dans son jardin :
"Il se redresse à moitié,
buste raide, jambes fléchies, grotesque. Et soudain,
avec aisance, il fait un bond puissant... retombe deux
mètres plus loin... s'accroupit à nouveau...
repique d'autres pieds de salade... et bondit encore plus
loin sans jamais se mettre entièrement debout.
(...) Toujours accroupi, il lève
pesamment un bras pour me saluer. Et après un
épouvantable coassement, reprend ses bonds de
batracien, qui le mènent aisément aux quatre
coins de son plan de salades."
Contes
macabres, éd. Marabout, 1966.
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Avec l'âge (83
ans), Seignolle, qui n'écrit plus de livres depuis
des années, n'a rien perdu de son mordant et de son
humour, qu'il adapte aux progrès du temps. À
preuve cet extrait de lettre qu'il m'a adressée,
datée du 10/12/2000, dans laquelle - entre autres -,
il me parle d'une visite médicale, avec son talent
habituel de conteur (comme il l'écrit sur le dos de
son enveloppe : "Excuse mon écriture, mais
heureusement ma langue marche mieux que mes
doigts."). Le
spécialiste (je
ne donne pas sa spécialité. Il se
reconnaîtra peut-être)
"me trouve épatant pour mon âge
et me situe (tiens, encore internet) en exemple. C'est un
Lion dur et exigeant; à la limite disciplinaire et
sec... On attend des mois avant d'avoir un RV (je le
"commande" six mois à l'avance!). Sa salle d'attente
est toujours pleine à craquer, car il arrive en
retard d'une heure ou deux, mais expédie le plus gros
en quelques coups d'informatique épatants... Tout
cela pour te prendre un personnage qui n'a jamais le temps
de rien. Or... miracle!... l'autre jour, il m'a
demandé où j'en étais avec mes
"parutions". Je lui ai dit qu'il n'avait qu'à
regarder sur Internet... Il m'a pris au mot et a
trouvé tout de suite de quoi capter sa
curiosité. Et figure-toi que nous sommes
restés une bonne heure à tâter du
Seignolle, même qu'il s'est abonné à un
site ayant un forum sur ma personne. J'avais vraiment honte
d'être là en ambroisie alors que les autres
patients (bien nommés) confinaient dans l'haleine des
autres en salle d'attente!
C'est ça,
Internet, l'abolition non seulement des distances (entre
individus) mais du temps, car lui aussi avait oublié
ses clients : "Merde, qu'il a dit, me voilà en
retard".
etc
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