Claude Seignolle

Promenades à travers les traditions populaires languedociennes,

des Cévennes à la mer

Maisonneuve et Larose, nouvelle édition, 2001

Dans une lettre, je me suis amusé à comparer Seignolle à une fusée à trois étages : le premier, son carburant, c'est le remarquable monceau de faits ethnographiques qu'il a ramassés de temps encore qui vivaient encore dans les souvenirs, mais en cours de disparition; le deuxième, le moteur, c'est sa personnalité exceptionnelle, faite d'ouverture au monde et aux personnes, liée à l'obsession de se construire une place particulière dans l'histoire; et le troisième, la partie noble, mais qui ne peut exister que par les étages précédents, est composé par sa production originale, ses nombreux contes et ses romans. Chaque étage correspond à la production d'une partie de son oeuvre : les écrits ethnologiques concernant le terroir, ceux qui se rapportent à sa vie privée, et ce qui entre dans le cadre de la littérature générale à coloration fantastique.

Récemment, Seignolle a entrepris de rééditer les livres de son jeune temps, qu'il avait négligés. Il a rebaptisé sa première enquête,
Le folklore du Hurepoix, écrite en 1937 avec son frère Jacques : Traditions et superstitions aux portes de Paris, quand il l'a rééditée en septembre 2000 chez l'éditeur. Hesse. Voici maintenant, sous un titre légèrement différent, la nouvelle édition de Le folklore du Languedoc (Gard, Hérault, Lozère) documents rassemblés de 1945 à 1959, édité par Maisonneuve de 1960. Seignolle raconte à tout vent que la naissance de ce livre est due à Modestine, l'ânesse de Stevenson, dont il voulait suivre en vélo l'itinéraire parcouru dans les Cévennes au siècle précédent (RL Stevenson, Voyage avec un âne à travers les Cévennes, 1879). Seignolle pensait avoir des chances de recueillir des témoignages de gens qui auraient pu avoir connu Stevenson. Beau projet, mais qui ne fut pas réalisé : l'itinéraire ne fut pas suivi et l'enquête a duré plus de dix ans, nécessitant de multiples contacts et une importante correspondance.

Dans ses recherches sur le terrain, Seignolle est fidèle aux principes que son maître Arnold van
Gennep a énoncés dans son Manuel du folklore français contemporain. Les études du folklore ne se limitent pas aux contes, aux légendes et aux chansons, mais s'intéressent aux cérémonies de la vie ordinaire, les cultes, les institutions, les jeux, les danses. Cette accumulation de faits concrets, dont la table des matières citée plus bas montre l'étendue, explique le décor et le réalisme des récits fantastiques où Seignolle a mis en scène la vie rurale. Loin de nuire à son fantastique, la description de l'environnement et le souci du détail l'enracinent dans le terroir (et accessoirement dans le milieu urbain, dont le contenu a bénéficié du modèle ethnologique). Ces emprunts au folklore, cette utilisation des sources populaires pour une orientation fantastique font de l'ensemble de la production de Seignolle un ensemble cohérent de ce gardien d'un fantastique hérité, le fantastique traditionnel.

Ce livre n'est évidemment pas rédigé à la manière dont Claude Seignolle écrira plus tard ses nouvelles et ses romans. Son rôle a été de tenir la plume et d'encourager les confidences. Ce sont des informations brutes, qui ont gardé la saveur de l'original. Seignolle a dû ressentir une impression curieuse quand il a relu sa préface, et quand il trouve, quarante ans après : "
Dans cinquante ou cent ans, lorsqu'on relira ces pages où sont classés - j'allais dire «enchâssés» - des milliers de petits actes de la vie quotidienne, on pourra se replonger dans l'ambiance sentimentale et poétique qui caractérise le début de ce siècle." (14) Les temps ont tellement changé qu'on se demande ce qui resterait de ce passé si des fourmis comme Seignolle n'avaient pas essayé de conserver ce qui peut l'être. L'authenticité est là, et la sincérité se manifeste comme la première qualité de ces textes. Comme le remarque justement Seignolle : "La poésie des faits vaut la poésie faite." (16)

Ce florilège d'une humanité alors en état de survivance, qui a disparu en moins de cinquante ans, a quelque chose d'émouvant. Ces textes sont aussi indispensables pour comprendre l'art du conteur Seignolle, ce don de savoir varier, inventer des rajouts nouveaux à la tradition, donner une oeuvre riche de nouvelles significations, pour saisir surtout comment il est devenu simultanément conteur du folklore et du fantastique. Empruntant ce qui peut donner une coloration et une densité au récit, le pittoresque des comportements, des situations et des lieux, il traduit également l'irrationnel ancestral et les croyances archaïques souvent éprouvantes partagés par nos ancêtres, victimes de l'héritage collectif de superstitions que l'homme traîne derrière lui depuis sa caverne préhistorique, source de tous ses effrois. Avec les progrès techniques (pensons seulement à l'éclairage et au recul de l'obscurité), cet irrationnel ancestral a disparu, remplacé par d'autres irrationnalités. Non seulement nous constituons maintenant d'autres primitifs, aux croyances et peurs différentes, mais sommes-nous certains que le primitif n'est pas toujours en nous, prêt à resurgir?

Il ne reste qu'à souhaiter que Seignolle ne s'arrête pas en si bon chemin et qu'il nous livre, avec la même régularité, ses livres encore nombreux qui n'ont pas été réédités et ne sont pas disponibles.

La quatrième de couverture :

La «mondialisation» et l'aplatissement culturel qui en résulte donnent un prix particulier à la recherche des racines: d'où l'incontestable regain d'intérêt pour les particularismes locaux, les coutumes et les traditions régionales.
C'est cette curiosité actuelle que nous voulons satisfaire en proposant au lecteur de découvrir, à travers ce véritable mémorial construit par Claude Seignolle au folklore du Languedoc, l'épaisseur et la complexité des traditions de cette région, les significations de ses fêtes et de ses rites liés aux différentes étapes de l'existence, aux remèdes populaires, ainsi que les proverbes et chansons qui rythmaient la vie des habitants.
Claude Seignolle est un mythe dans la littérature de contes : auteur, conteur, sorcier, ce passeur, témoin de trois siècles, a nourri l'esprit des lecteurs de ses Contes macabres, Récits cruels, Histoires vénéneuses qui sourdaient de la mémoire rurale.
Insatiable curieux, il explore aussi le patrimoine oral, sous l'influence du célèbre folkloriste Arnold Van Gennep. Il sillonne les campagnes, oreille toujours attentive aux confidences, recueillant légendes, contes et superstitions. Son style vif et alerte nous rend vivants le folklore et les traditions de nos régions.

 

Roland Ernould © 2001

retour

 ..

 

 .. du site Imaginaire : liste des auteurs

.. du site Différentes Saisons, revue trimestrielle

.. du site Stephen King

mes dossiers sur les auteurs

. . .. .. ..