Claude Seignolle, Une enfance sorcière.
Omnibus, avril 2000
La quatrième de couverture
:
«C'est à Périgueux, dans un
Périgord truffé du passé le plus ancien, que ma
mère me porta en ventre de septembre 1916 au 25 juin 1917,
à quinze heures très précises. Ce fut là
que je pris intra mater les premiers frissons du mystère et
les virus de l'archéologie.» Claude Seignolle part ainsi au début de ce
livre à la recherche des influences multiples et
secrètes qui ont fait de lui l'homme qu'il est devenu -
ethnographe, écrivain, collecteur de contes, passeur de
mémoire et faiseur de légendes.
Du grand-oncle Félix, dernier des Cro-Magnon, à la
grand-mère Augusta qui lui donna la preuve matérielle
de l'existence du diable, son enfance sorcière est
jalonnée de portraits hauts en couleur qui sont autant de
repères marquant le parcours de l'adolescent vers son destin.
Octogénaire encore bien vert,
Claude Seignolle est le
fantastiqueur français le plus célèbre de cette
fin de siècle. Cet explorateur des ténèbres a eu
le privilège exceptionnel d'être accepté par les
enseignants des collèges et lycées et proposé
à leurs élèves, place unique pour les auteurs du
genre. Sans doute à cause de son fantastique insidieux, sans
les gros effets et oripeaux habituels. Non seulement Seignolle néglige le clinquant et la machinerie ordinaire
que les montreurs du fantastique se croient obligés de mettre
en place pour appâter le lecteur, mais il a son style,
immédiatement reconnaissable. Avec gourmandise, les mots sont
enfilés dans le ravissement comme des perles
singulières et colorées, où la place de chacune
est réfléchie en fonction de l'impact à
produire, rocailleux, râpeux, dramatique, poétique,
toujours coruscant, qui semble couler de source alors qu'il est le
résultat d'un long travail d'écriture. Une
écriture parfois sauvage, à la langue à la fois
archaïque et moderne, avec tous les effets de "parlure" d'un
raconteur né. Le style le plus adéquat pour faire
surgir dans la réalité quotidienne les angoisses et les
peurs des hommes, les horreurs qui sortent de la nuit du monde, leur
sauvagerie et l'absurdité de leurs comportements.
Négligeant le poids des ans,
il gère jalousement son oeuvre et multiplie les
éditions d'écrits déjà parus, mais les
remanie, les transpose, les métamorphose. Il cisèle et
polit des textes déjà excellents, remettant ses
récits sur le métier avec persévérance
dans le désir d'atteindre une perfection au-delà de
l'impossible. Ce qui nous vaut ces anecdotes de jeunesse, dans
lesquelles Seignolle nous
narre l'ambiance périgourdine de son lieu de naissance, terre
du passé le plus ancien, où l'on retrouve les plus
vieux crânes du monde, où le surnaturel se trouve en
osmose avec le quotidien. Seignolle est un
irradié du passé, aussi bien l'historique que le
fantastique. Tout jeune, il éprouve en même temps les
frissons de l'archéologie et du mystère de ces
campagnes, entre un oncle athlétique, sorte de sauvageon
cro-magnonesque, ou une grand-mère époustouflante, qui
le fait vivre en symbiose avec le Maître rouge de l'enfer ou la
sorcière d'à côté, le loup-garou d'en face
ou les chasses volantes, le croquemitaine ou le juif errant qu'elle a
rencontré par hasard près de la cathédrale
Saint-Front. Bref, une famille où la plupart croient possibles
des phénomènes impossibles. De la recherche des silex
des abris aux fouilles archéologiques, des recherches dans les
ruines à la quête des contes et légendes en voie
d'être oubliés, Seignolle
rencontre dans les terres paysannes les survivants des magiciens, des
sorciers, des jeteurs de sort, des guérisseurs. Une enfance
passée dans l'initiation à un surréalisme de
l'étrangeté, parfois tragique et sanglante, lointaine
survivance des traces rupestres rougeâtres du sang humain ou
animal des sacrifices rituels. Seignolle a
capté les propagations du passé et du suprasensible,
humé leurs effluves, accaparé leur surnaturelle
réalité, servi par un appétit et une imagination
débordants.
Trop, c'est trop! Il paraît
impossible qu'un seul homme ait pu subir cette foisonnance
d'influences; rencontrer tant de personnes célèbres
à un âge où, gamin, il se trouvait viré de
l'école alors qu'il dissertait savamment, en culottes courtes,
archéologie avec les préhistoriens l'abbé
Breuil ou Teilhard de Chardin;
subissait l'influence de l'ethnologue Van Gennep. Et
tout le reste! Extraordinaire légende, racontée avec un
tel élan, une telle dynamique et un tel accent de
sincérité qu'à la lecture, toute
réticence tombe. Et ce n'est que la tête reposée
de cet invraisemblable musée d'influences visité par ce
brocanteur du ténébreux qu'on se dit que cet homme est
marqué par une intervention particulière de forces
obscures. Qui ont offert en cadeau à Seignolle un
fantastique présenté "naturellement", sans qu'il ait
produit l'effort de le chercher.
On veut plutôt croire que cet
homme a poursuivi, avec une volonté sans limites, de
manière obstinée, inconsciemment peut-être
d'abord, mais en pleine lucidité maintenant,
l'édification du monument seignollien qu'il voudrait laisser
à la postérité. Jamais achevé, jamais
assez parfait pour la démesure et la grandeur de l'homme. Ce
qu'il a été ne l'intéresse que dans la mesure
où il pourra parler ce qu'il sera demain, devenu le serviteur
de son propre culte, son célébrant, en en prescrivant,
pour lui-même et les autres, les usages et les rites. Et
Seignolle apparaît si grandi, par ce
méticuleux travail d'artisan de sa survie, qu'il faut oublier
le truqueur pour admettre ce que le conteur a transformé,
dénaturé ou inventé, afin que sa vie mythique
s'inscrive dans quelque Légende Dorée dans l'esprit de l'Histoire.
Si vous ne connaissez pas bien Claude
Seignolle, lisez cette "enfance sorcière", qui
montre comment un grand écrivain naît à la
conjonction bénie d'influences multiples,
digérées avec une convoitise insatiable, avec une
ouverture sans réticence à l'immensité des
choses. Et si vous connaissez Seignolle, ces
pages auto-biographiques vous raviront, par leur narration haute en
couleur de l'enfance du meneur de loups et du Maître en
diablerie. Et l'on comprend que, servant de ces régions
mystérieuses où l'animal humain plonge ses racines,
Seignolle veuille imposer son image aux
générations qui suivront, jusqu'à son dernier
souffle, en triomphant de la grande Ombre qui accompagne le passage,
et qui effraie les hommes depuis qu'ils ont pris conscience de
l'inexorabilité du temps.
Roland Ernould © 20010
Un commentaire
personnel de Claude Seignolle à propos de cette
note.(
25/4/00)
"Encore une fois vous avez tapé juste
et en plein dans mon ego, mais tout cela est positif. (...)
Votre texte mérite maintes lectures, car il est
ça et là visionnaire (1), ce que vous dites
de moi, je le ressens comme dit à moi seul.
D'où l'impact de vos propos sur mon moral.
D'avoir
partagé les peurs anciennes confère une
souveraineté sur les peurs futures. Les miennes ne
sont pas aussi fortes et partagées que celle de votre
petit copain King, et cependant elles sont
immortelles."
note de Seignolle :
(1) "ou tout du
moins je l'espère fortement".
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