CINÉMA fantastique ou
insolite :
Aller à la
nouvelle page
ARTICLES ET ÉTUDES sur le
cinéma de Stephen King
|
Arnie et Carrie
Le King en images
Frank Darabont : le magicien
Ose
Shining : un duel au K par
K
.... .... .... .... ....
Arnie et
Carrie
Age tendre et
chansons de haine
"J'avais rencontré mes
juges, mes contemporains, mes pairs, et leur indifférence me
condamnait."
"L'Enfer, c'est les
Autres."
Jean-Paul Sartre
De
Palma et
Carpenter ont une chose en commun : ils ont chacun
restitué la solitude et le désespoir des deux
souffre-douleur les plus fascinants et les plus emblématiques
de King. Carrie White et Arnie Cunningham, des adolescents proscrits,
rejetés, éternelles victimes des mauvais garçons
et de leurs bandes. Quand De Palma choisit Sissi Spacek pour incarner son
héroïne, le choix est évident : il ne juge pas
nécessaire de miser sur la laideur ou la maladresse de Carrie,
le film portera sur les mécanismes de l'humiliation gratuite,
de la haine perverse envers l'élément faible, l'agneau
du sacrifice. Carrie et Arnie n'ont jamais eu la moindre chance.
Personne ne les a compris. Ces deux films remarquables abordent les
personnages sous ce dernier aspect : des êtres
abandonnés, devenus des monstres malgré eux.
L'horreur s'incarna
pour la première fois, à ma connaissance, dans une
salle de douche. Lumière blâfarde, vapeur humide, le ton
est donné. De Palma filme au plus près le corps des adolescentes
lors de leurs moments intimes, où d'ordinaire le regard
extérieur n'a pas accès. Le générique de
facture classique n'a pas besoin de se faire démonstratif.
Seule sous la douche, les cheveux gras, Carrie est naturellement
exclue du cercle. Les filles s'admirent, leurs voix résonnent
dans le vestiaire, tandis que le long travelling marque la
séparation depuis longtemps installée.
La scène qui
suit ne laisse aucune place à la polémique : on ne
cherchera pas à connaître les raisons qui poussent
Chris, Sue et les autres à s'acharner sur une Carrie
traumatisée. Gros plans peu avantageux, des rires
histériques, De Palma joue sur tous les tableax pour nous montrer la
réalité sordide. Les véritables monstres, se
sont elles, ces harpies mal peignées qui dissimulent leur rage
de tuer sous une beauté superficielle. Les mots de King
trouvent toute leur force dans cette première adaptation de
son oeuvre. La rigole de sang qui s'écoule de l'entrejambe de
Carrie est l'unique touche de couleur de la scène, d'un blanc
glacial, la couleur de la méchanceté
calculée.
De
Palma ne
tient pas à donner une leçon, il se content d'exposer
les faits de manière brutale et laisse au spectateur le soin
de choisir son camp. Carrie ne sera pas sanctifiée, ni
traînée dans la boue à seule fin
démagogique. Le malaise naît de l'absence de
justification à la cruauté des uns et à la
passivité de l'autre : Carrie reste seule, fatalement. Elle
est la bête noire quoi qu'il arrive. Les groupes d'adolescents
ne peuvent survivre sans un martyre. C'est ce dernier qui alimente
les conversations, les parties de rire et les élaborations de
tours qui méneront à sa destruction. L'école est
un lieu de souffrance, où il faut se battre chaque jour afin
de rester en vie. Ceux qui comme Carrie ou Arnie ne parviennent pas
à s'intégrer à ce monde sont anéantis.
Arnie cristallise
plus encore la détresse muette du collégien. Toute sa
vie il n'a connu que le jugement extérieur, le regard
insupportable de mépris et de sarcasme de la part des autres.
John
Carpenter,
réalisateur de Christine, en fait un adolescent gringalet, au teint
migraineux, le nez surmonté d'énormes lunettes
semblables à celles de Woody Allen (définitivement, les lunettes
sont objet de discrimination, au même titre que l'acné
ou l'appareil dentaire.)
Moins isolé
que Carrie, son amitié avec Dennis n'est pourtant qu'une
façade : le ton monte à la moindre occasion et
l'arrivée de Christine marque le terme d'une relation qui
durait depuis l'enfance. Le film est efficace sur un point crucial :
l'enfer que vit Arnie semble presque à notre portée.
Une horreur quotidienne, nourrie par la hantise de se rendre à
l'école le matin et de retrouver le soir la détestable
condescendance des parents. "Les gens, toi par exemple, ne comprennent pas
toujours ce que cela représente. Ça change toute la
vision du monde d'être moche et la risée de tous. On a
du mal à garder son sens de l'humour. Ce n'est pas bon pour
les nerfs. Et même des fois on a du mal à garder toute
sa tête."
L'incroyable
métamorphose d'Arnie au cours du film illustre bien ce
discours chargé d'amertume. De chétif, il devient le
ténébreux blouson noir, méprisant et agressif.
Cette violence n'est que la manifestation des sentiments que Carrie
et Arnie ont connus chaque jour : haine et amertume. Leur existence
ne leur a jamais apporté que des frustrations et de la
rancoeur. Le carnage mis en scène à la fin de ces
films, avec une sauvagerie rare et une précision digne de
leurs réalisateurs, résulte de trop de colère
accumulée. La flambée qui résout (en partie) le
conflit est sans surprise. Ils n'avaient aucun
échappatoire.
A ce stade, les
options de Carrie et Arnie divergent sensiblement. La première
est victime jusqu'à la fin des pressions extérieurs :
ce flot de sang qui la souille, alors qu'elle accède enfin au
statut d'être humain (en tant que personne reconnue et
accueillie au sein d'un groupe), ne lui laisse pas d'autre choix.
Sissi Spacek se transforme d'ailleurs physiquement pour la
scène finale. Elle passe en trois plans de la jeune fille
souriante à une statue froide, sanglante, aux yeux
révulsés. Son regard fixe ne laissera personne
échapper à sa vengeance incontrôlable : elle ne
perçoit plus que les rires, le rire des gens qui l'assassine.
Elle chute dans une transe hypnotique, et De Palma reproduit une scène identique
à celle d'ouverture. Une espèce de regard
détaché sur les événements,
symbolisé d'ailleurs par cette image scindée en deux.
Carrie d'un côté, les étudiants en flammes de
l'autre, la séparation entre ces deux mondes se
matérialise pour de bon. La ligne blanche au centre de
l'écran est infranchissable. Carrie n'aura aucune
hésitation ni regret, elle a accompli l'unique geste qui
pouvait lui permettre de survivre.
Mais sa condamnation
a été prononcée depuis longtemps, dès le
générique même. La jeune fille est
écrasée le jour sous les humiliations puis
accablée par la folie religieuse de Margaret White. Le plan le
plus magistral du film, d'une intensité insupportable, est un
tour de maître : de retour chez elle, Carrie cherche partout sa
mère. Elle grimpe à l'étage vers la salle de
bain, lentement, et par un jeu d'ombres inexplicable le visage de la
mère se détache, immense, de l'obscurité, comme
s'il se reflétait d'on ne sait où sur le mobilier. Ce
passage justifie à lui seul la vision du film.
Carrie n'est pas
responsable de sa lente destruction. Son pouvoir la dépasse,
au même titre que la haine de Chris Hargansen qui prend une
ampleur absurde et aboutit à la mort de Chamberlain. La
différence avec Arnie se situe sur la question du choix.
Carrie, à aucun moment, n'a la possibilité
d'infléchir son destin ou d'assurer un semblant de
maîtrise sur sa vie. Elle ne connait pas le
libre-arbitre.
Le cas d'Arnie
Cunningham est plus ambigüe. Quelle est sa part de
responsabilité ? Avait-il le choix ? La position de
Carpenter est nette : Arnie avait les moyens d'empêcher
l'hécatombe. Si l'on oublie pour un instant le postulat
d'après lequel le caractère diabolique de Christine
vampirise l'esprit du garçon, la voiture n'est plus que
l'instrument d'une vengeance furieuse et quasi-biblique, elle incarne
la colère aveugle. Si Arnie désire à ce point
Christine, malgré le refus collectif de son entrourage, c'est
qu'il voit en elle un médiateur. Elle sera le prolongement de
sa rage. Le film penche plus en faveur de cette idée.
Alors que
King situait l'origine du mal dans la nature
démoniaque de la voiture, hantée par l'esprit de Le
Bay, Carpenter
refuse cette
explication. Il juge préférable de laisser au
spectateur le choix de son opinion. Le film ne cherche pas à
nous rendre Arnie sympathique, à la rigueur pathétique.
Buddy Rupperton n'est finalement pas si différent de toutes
les brutes un peu primaires dont le cinéma se régale
depuis trente ans. Débarassé du cadavre de Le Bay sur
le siège passager, le film joue une mécanique plus
malsaine, moins acceptable pour les américains : est-ce bien
une ombre que l'on aperçoit derrière le volant ? Arnie
est-il oui ou non au contrôle du véhicule ? Comme dans
tout bon récit fantastique, qui joue de la peur de la porte et
non de ce qui se cache derrière, le mystère ne sera pas
résolu. Arnie apparaît au choix comme une victime
dépassée par la force de Christine, ou bien comme
l'horrible instigateur d'un massacre froid, calculé. Le
CONningham avait atteint le pont de brisure, le stade où toute
une vie d'échecs et de souffrance se matérialise.
King a souffert lors
de ses années d'enfance. Arnie et Carrie contiennent chacun
une part de son histoire, et les films ont su cibler ce point
essentiel. De Palma et Carpenter ont choisi intelligement de
s'écarter du carcan trop classique du film d'horreur. Ils ont
exploité au maximum le potentiel de solitude et de haine qui
menait le roman. Alors que Christine et Le Bal du Diable auraient pu n'être qu'un remaniement des
thèmes les plus éculés du fantastique - le bain
de sang, le monstre mécanique, le bal de fin d'année
etc.-, ils offrent une alternative à trop de clacissisme.
C'est le privilège des grands films : sur la base d'une
intrigue efficace, ils apportent une réflexion sur des sujets
bien plus graves qu'une bande de jeunes se faisant dépecer
à tour de bras, sans jamais livrer de jugement final. Au
spectateur d'y amener sa propre expérience et d'apprendre sur
lui-même des choses pas toujours reluisantes.
étude de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> - © 21 janvier 2001
2000
King scénariste etRomero,
metteur en scène.
Le King en
images
Stephen King, l'écrivain
vivant le plus populaire du XX° siècle, culmine aux
box-office des ventes à chaque nouveau roman. On ne saurait en
dire autant des adaptations cinématographiques de ses livres,
qui se soldent souvent par un échec retentissant auprès
des spectateurs, à tel point qu'elles sont parfois
destinées directement à une sortie vidéo. Les
gérants de vidéo-club se frottent les mains à
l'annonce des "Enfants du Maïs ", tandis que les producteurs envisagent de tourner le
troisième volet du "Cobaye". Les
fans, ou juste les amateurs de King crient au détournement et
boycottent ces sous-produits. Tant de médiocrité dans
la majorité de ces films prêterait à sourire, si
elle ne masquait pas aux yeux du grand public la richesse et la
qualité de cet écrivain. Stephen King est-il
inadaptable ? Peut-on corriger la croyance générale
qualifiant King d'auteur "de romans de gare, sanguinolents et
obscènes" ? Du sang et de la vulgarité, il y en a dans
ses récits, parfois même plus que nécessaire.
Mais le cinéma semble ne retenir que ces deux aspects d'une
oeuvre immense, le "Jupiter" de la littérature fantastique des
trente dernières années.
La longueur des romans ne facilite
certes pas l'adaptation. Si l'on transcrivait chaque page à
l'écran, même un livre "court" donnerait un film
à la durée indécente. Bien que certains y soient
parvenus sans réellement modifier le texte original, notamment
John Carpenter ou Brian de Palma, des
coupes sont inévitables. Elles ont cependant le tort
d'élaguer le roman de tout ce qui fait la
spécifité de King : la psychologie des personnes. On ne
connaîtra le sens que par la suite... Au final, le
scénario est un squelette de roman, un "synopsis", comme il
doit se former dans l'esprit de l'écrivain avant la
réalisation sur papier.
D'où le manque de
crédibilité des films. Ils ont cette tare
première de ne pas nous replonger dans le livre que l'on a
tant aimé, de ne pas restituer le ton de l'auteur ou, pire, de
le tourner en grotesque, transformant pour de bon Stephen King en
romancier de quatre sous. Ce qu'il n'est pas. Peut-on juger pour
autant que King n'est pas visuellement transposable ? Ceux qui le
lisent depuis leur enfance savent qu'il n'en est rien. Il
possède une force d'évocation, un impact visuel qui
devrait logiquement servir le cinéma.
Des réalisateurs se sont
penchés sur son cas et nous ont offerts des adaptations qui
n'ont pas à rougir du roman : Carrie de Brian de
Palma, Christine de John Carpenter ou
plus récemment le Dolorès Claiborne de Taylor Hackford
et Les
Évadés par Frank
Darabont. Des films marquants, intransigeants quant
à la qualité de la mise en scène et du
scénario, servis par des gens maîtrisant l'univers de
King, si tant est qu'on puisse prétendre le comprendre. Mais
le mal était déjà fait : des productions
exécrables, tournés à la va-vite par des
amateurs d'argent facile, ont totalement
décrédibilisé l'auteur auprès des
nombreux consommateurs de films fantastiques. Ainsi le festival de
Gerardmer n'accueille plus un film "marqué" King et les
metteurs en scène ricanent à sa seule évocation,
sauf bien sûr ceux qui le lisent. Plus inquiétant encore
: Les
Évadés sort en 1995
dans l'indifférence générale, malgré 5
nominations aux oscars, et échoue au box-office avant de
suivre une carrière vidéo rentable. A qui la faute ?
Aux romans trop longs de Stephen ? Aux acteurs qui se
démènent pour faire vivre des personnages
minimisés par un scénario quasi-inexistant ?
Plutôt aux maisons de production qui tirent le lait
jusqu'à plus soif, exploitant un filon apparemment
inépuisable et piochant au hasard dans l'oeuvre de l'auteur,
espérant obtenir un maximum d'argent dans un laps de temps
record.
Les films les plus indigestes sont
curieusement issus des romans les plus captivants et les mieux
écrits de King. Si l'on se contentait de tourner à
partir de ses mauvais récits, car il y en a, personne ne s'en
soucierait et il toucherait un pourcentage sur les rediffusions. Mais
les producteurs choisissent véritablement les yeux
bandés, peu regardants au fait de savoir si quelqu'un sera
capable de mettre en image une nouvelle telle que Children of Corn ou The Mangler (la
réponse est : non !) ou bien un magnifique roman-fleuve comme
Ça ou
le
Fléau. Tout à l'air
d'être rédigé par le même groupe de
personnes se moquant bien de la question de vraisemblance ou de
fidélité au texte. Le téléfilm
tiré de
Ça, rebaptisé deux
ans plus tard sous le titre évocateur de "Il est revenu", est le parfait exemple de la politique qui
règne dans les studios : "réalisez n'importe quoi, tant
que les gens savent que ça a un lien avec Stephen King." Et
ils veulent son nom en grand sur l'affiche. Comment transposer un
roman d'une telle densité, à la construction aussi
complexe, sans égarer le spectateur par des effets
spéciaux gores et des allers-retours temporels ? Et bien en
découpant dedans, au petit bonheur. Le téléfilm
dure trois heures et n'est rien d'autre que la mise bout à
bout des moments "chocs" du livre. Ils sont nombreux, ce qui justifie
la durée, mais sûrement pas le ridicule du casting et de
la réalisation, ni surtout l'abandon de ce qui faisait vibrer
le lecteur : la magie. Où sont passés l'aspect
imaginaire de l'histoire, la relation charnelle entre les membres du
groupe, les rivalités entre bandes... c'est à dire
toute l'émotion. Et quand on pense que le roman repose sur ce
principe : "la magie existe"... Stephen King nous avertit dès
la dédicace et personne sur le tournage du film ne l'a
remarqué. C'est ici que réside l'aspect retords des
mauvaises adaptations. Les spectateurs de film d'épouvante en
ont eu pour leur compte et dans le même temps, King
était associé pour toujours à cette histoire
ridicule, sans le moindre rapport avec son livre. Ainsi lorsque l'on
entend : "Stephen King ? Oh, je n'aime pas du tout : j'ai vu tous ses
films !", que peut-on répondre ? Rien, bien sur, les arguments
ne sont pas défendables. Un livre ne fera jamais le poids face
à un film qui possède une bien plus large exploitation
et une influence plus nette sur le public. Contentons-nous de
conseiller à ceux qui n'ont vu que les films d'essayer la
version papier, bien que la réticence de la majorité
envers King ne soit difficilement réversible.
L'avenir du King au cinéma
reste fort incertain. Alors que le marché vidéo explose
sous les sorties de sequelles, avec pour bientôt "Simetierre " et le (dernier ?) cinquième
épisode des Moissons de la Terreur, on nous promet pour les salles obscures les films
issus de Désolation
et de Rose
Madder, sans parler des
séries TV... Mais ne désespérons pas, car trop
d'exploitation finit toujours par tuer le produit. Les
Américains continueront à faire des films
d'après Stephen King tant qu'il écrira de nouveaux
romans, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Loin de
là. Dans l'attente que des cinéastes comme Frank
Darabont, à qui l'on doit les
Évadés et la
Ligne
Verte, partageront la même
vision que l'auteur et dévoreront ses pages, nous pouvons
toujours nous replonger dans l'univers d'un écrivain qui,
depuis trente ans, terrorise autant qu'il passionne.
étude de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> - © 05 mars 2000
Frank
Darabont : le magicien Ose.
Il y a deux ans,
lorsque Terrence Mallick adapte La Ligne Rouge à l'écran on crie au chef-d'oeuvre,
à l'apogée du film de guerre emprunt de poésie
et d'humanité. La ligne de Frank Darabont est verte, comme ce
lino pisseux que les lecteurs de King connaissent bien. A l'instar de
Mallick, il enregistre trois heures de pellicule dont le roman de
King sort magnifié, grandit. Pour la première fois un
long-métrage restitue aussi fidèlement le style et les
personnages de l'auteur, chaque plan est au service de l'histoire et
de la pensée de Stephen King. Il semble à
présent impossible de dissocier le film du livre tant ils se
complètent pour témoigner de l'existence de la
beauté et de l'amitié dans un lieu où tout est
mort.
La durée du
film (3h'0, ce n'est pas rien) ne joue pas en sa faveur auprès
du public qui préfère éviter de s'ennuyer
mortellement au cas où le film ne serait qu'une succession de
belles photos. Frank Darabont a eu le courage d'assumer cette
longueur pour dire ce qui lui tenait à coeur et n'a pas
cédé au montage stroboscopique : les scènes se
déroulent sans ennui et les dialogues sont assez riches pour
ne pas lasser, même les spectateurs connaissant l'histoire. Il
a su distiller les passages énergiques, comme
l'exécution de Del et la guérison de Melinda Moores,
pour maintenir l'intérêt lors des scènes plus
calmes.
Malgré un
souci de fidélité, Darabont s'est octroyé de
légères libertés, nécessaires à la
cohérence de son film. Les chapitres montrant Paul dans sa
maison de retraite sont escamotés afin d'éviter les
allers-retours temporels qui cassaient parfois le rythme du roman.
Ici, la narration est le fait de Paul qui raconte son histoire
à Elaine Connely.
Le metteur en
scène a également choisi de couper le personnage de
Brad Dolan, tout en maintenant bien sûr le mystère sur
les promenades du vieil homme dans les bois. Ce parti pris permet
davantage de liberté dans le déroulement de
l'année 1935 (la date a été changée),
toutes les scènes ayant d'ailleurs été
tournées selon la continuité du scénario. De
l'arrivée de John Caffey en cellule à son
exécution, les acteurs ont pu suivre l'évolution
réelle des sentiments. Ainsi Tom Hanks, curieusement grossi de
dix kilos et le teint blafard, se révèle à son
habitude un comédien hors pair, qui mène en tête
ce groupe d'hommes confrontés à des émotions qui
les dépassent. Paul sait aussi se mettre en retrait pour
laisser à chacun l'occasion de faire vivre son personnage,
notamment l'odieux Percy Wetmore toujours aussi détestable,
cruel et lâche. Mauvais à tel point que le premier coup
qu'il reçoit procure une véritable satisfaction, juste
après "la mort affreuse d'Edouard Delacroix", aussi choquante
que la décrivait King.
Face aux gardiens, un
léger bémol est à mettre sur Bill Wharton qui
fait plus figure de bouffon, d'amuseur de galerie que de psychopathe
: ses plaisanteries provoquent le rire dans la salle de
cinéma, ce qui n'était pas le cas pour le roman. En
revanche les palmes reviennent à David Morse, superbe en
Brutus Howell, et à Michael Duncan, géant noir à
l'âme d'enfant que l'obscurité terrorise. Des grands
angles et des contre-plongées mettent en valeur l'aspect
colossal de Caffey dont la souffrance et la naïveté sont
parfaitement rendus par le jeu de Duncan. Un mot finalement sur le
personnage le plus attendrissant, peut-être même le plus
réussi, à savoir Mister Jingles, la "mascotte" du film,
souriceau génial qui semble comprendre plus que les hommes les
forces en oeuvre sur la ligne verte.
La Ligne Verte,
nominé entre autres à l'Oscar du meilleur film, est un
hommage à la vie et à la véritable
tolérance, rendu possible par l'amitié qui unit deux
hommes partageant la même philosophie de l'existence. Les trois
heures de projection s'achèvent tandis que la voix
fatiguée de Paul nous accompagne une dernière fois, et
c'est la voix de King que l'on a l'impression d'entendre. Un Stephen
King plus humain que jamais, enfin servi par un cinéma qui lui
rend hommage de la meilleure des façons, et ce n'est
somme toute qu'un juste retour des choses.
étude de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> - © 08 mars 2000
Shining : un
duel au K par K.
Dans la filmographie de Stephen King,
Shining se détache des autres adaptations par sa trahison
ambiguë vis à vis du texte d'origine, à tel point
que King fit réaliser sa propre version plus de dix ans
après celle de Stanley Kubrick. Une même histoire pour
deux génies aux visions du monde totalement
différentes, un sujet qui leur tenait à coeur et que
chacun a raconté à sa manière. Pourtant, on
pourrait parler de chef-d'oeuvre dans les deux cas. Le roman figure
parmi les plus personnels de l'écrivain et le film
reflète les obsessions perverses de Kubrick. Quelles sont pour
chaque auteur les forces qui dirigent ces personnages ? Shining
représente-t-il la lutte du Mal pour la possession d'un enfant
pur ou bien est-il le miroir de la folie intérieure de l'homme
? D'une oeuvre à l'autre, l'importance des personnages se
déplace de Danny vers son père et cette dissemblance
majeur témoigne des positions antagonistes du romancier et du
cinéaste vis à vis de leur sujet.
Chez King, l'enfant est au coeur de
l'action. Il en est le moteur, celui qui, par son pouvoir,
réveille les forces insoupçonnées de
l'hôtel Overlook. Danny est la source des troubles et des
hallucinations de son père : déambulant toute la
journée dans les immenses couloirs, il pénètre
dans les pièces interdites et signale sa présence
à chaque fantôme de l'édifice. La taille de ce
bâtiment est à la mesure de sa force et de son
innocence. A quatre ans, Danny n'a pas de responsabilité,
c'est Jack Torrance qui paie le prix de cette intrusion au sein d'un
lieu maudit. Dans le roman, les rêves de l'enfant occupent une
place importante, croissante même au fil des chapitres, tandis
que le film de Kubrick fait abstraction de toute la plongée au
coeur de l'inconscient de Danny.
Le petit Tony est bien sûr
évoqué, mais il s'apparente à un jeu d'enfant.
Tony devient le compagnon qui brise les interdits puisqu'il peut dire
du mal des parents et inventer des histoires, en restant
réduit à cet emploi. Quand King lui confère un
pouvoir de 3gardien2, de sécurité, Stanley voile son
importance et Tony n'est pas d'un grand secours face à la
folie qui ronge la famille.
Dans l'esprit de Kubrick, les
hallucinations de Danny se limitent à quelques visions chocs
-qui oubliera la rivière de sang se précipitant par les
portes d'ascenceur ?- et il en résulte une forte diminution de
l'influence du garçon. Le choix du réalisateur est
évident : c'est Jack qui monopolise l'action et Danny est un
exutoire à sa folie. Il est condamné à survivre
avec sa mère dans un milieu hostile, en cela il incarne
l'élément pure qui, seul, pourra échapper
à la destruction de la cellule familiale.
L'interprétation du film joue
dans ce sens : la performance de Nicholson, sous la direction de
Kubrick, éclipse les autres acteurs. A travers ce foisonnement
de couloirs et de portes, le Danny de Kubrick idéalise la
partielle d'innocence qui maintient une certaine cohérence
à l'Overlook et au père, la mère étant
dès les premières scènes présentée
comme la partie superficielle du trio.
Sur un point cependant les deux
auteurs s'accordent. Qu'il soit "l'enfant-lumière" ou le
dernier rempart contre la sauvagerie, Danny est l'enjeu de
l'histoire. Comme souvent chez King l'enfant incarne la victoire du
Bien sur l'Horreur, qu'elle soit le Mal proprement dit ou une de ses
formes multiples (un démon, un maître vampire...) Sans
taxer l'écrivain de manichéisme, Kubrick refuse cette
optique un peu lisse et Danny, même s'il triomphe, était
l'élément à sacrifier. Le film n'aborde pas le
personnage de manière stéréotypée,
à savoir l'enfant réservé qui a du mal à
communiquer et qui 3gagne à la fin2. Le mystère englobe
Danny, et le dénouement diffère tellement du roman que
nul ne saurait le prévoir : à aucun moment du film,
l'enfant n'est assuré d'en sortir vivant.
Le cas de Jack Torrance se
révèle plus subtil. A un différent degré
d'importance, il incarne le double des auteurs : cet écrivain
torturé, reclus, un homme seul face à ses fantasmes et
à ses obsessions, peut contenir en lui une part de King et de
Kubrick. En tant que personnage kingien, Jack prend une valeur
autobiographique, projection de l'auteur qui a connu des
difficultés avec l'alcool et dans son couple au début
de sa vie. On ignore les rapports que l'écrivain a eu avec ses
enfants en bas âge mais la violence de Jack envers Danny
suggère des épisodes douloureux de la vie de
King.
Dans son Shining, cet homme est un
outil, un instrument à la solde de l'hôtel. Bien qu'il
se persuade du contraire, il n'est pas l'enjeu de 'histoire : les
forces sont attirées par le pouvoir de l'enfant et Jack est le
médiateur entre leur sauvagerie et l'innocence. De ce fait,
Jack est escamoté du roman dans le dénouement, il se
métamorphose en créature lovecraftienne et perd toute
trace d'humanité. Si l'on admet que King a mis beaucoup de
lui-même dans ce père malade, la fin de Jack est un
sacrifice, une ultime tentative de sauvegarder l'enfant.
Or Kubrick choisit de placer Jack au
centre de l'histoire, il en fait une base, le personnage sur lequel
le film entier repose : il est présent à l'écran
presque sans interruption et, tandis que Wendy et Danny semblent
désorientés dans le labyrinthe, Jack maîtrise
l'espace de l'hôtel. Il "possède" véritablement
certaines pièces, dont le hall d'entrée qu'il
transforme en salle de travail. Le cinéaste s'est
également servi de Jack pour illustrer ses propres
angoisses.
On connait le mystère qui
entourait Kubrick depuis ses débuts, une aura de
légende qui persiste malgré sa mort : Kubrick souffrait
de troubles obsessionnels, une névrose perfectionniste qui par
chance était au service de son talent, mais il était
atteint également de paranoïa presque hallucinatoire. Il
avait transformé sa demeure en forteresse inaccessible,
surveillée jour et nuit par un réseau de caméras
et de micros. Ses fantasmes sont réellement passés dans
son film et dans Jack Torrance. L'écrivain est le reflet de
cette peur des fantômes et du corps étranger. Dans un
entretien en 1987, Kubrick avouait que seul ce personnage l'avait
attiré pour mettre en scène le roman de King. Rien
d'étonnant donc à ce que Jack Nicholson se mette
à grogner, bave et déforme son visage. Les
scènes finales dans le labyrinthe ont fait hurler
l'Amérique de terreur, mais King n'y était pour rien
puisque Kubrick s'était depuis longtemps substitué
à l'auteur.
La folie de Jack, ses visions et ses
cauchemars sont l'expression directe des angoisses du
réalisateur. L'implication de Kubrick fut telle que sur le
tournage il brisa ses habitudes de mise en scène : aux longs
plans figés de Barry Lindon il fit succéder des
travellings avants vertigineux, ayant nécessité la
création d'une nouvelle machine, la Steadycam. On comprend
pourquoi King s'est senti bafoué, et il avait raison de taxer
Stanley de trahison. Chacun d'eux s'était à ce point
engagé dans le personnage que le désaccord était
inévitable. Jack incarne ce qu'à une époque de
leur vie ils avaient de plus secret et de plus douloureux : il
était leur double, leur part... de mauvais rêves.
Il reste à aborder la nature
même de cette folie dont traite Shining. Quelle en est la cause
? S'agit-il, comme le suggère Stephen King, de l'influence
néfaste de contraintes extérieurs qui nous
dépassent ou, d'après Kubrick, d'un processus
intérieur d'auto-destruction ? Les romans de King nous
fournissent suffisamment d'exemples : il pense, ou du moins suppose,
que les actes (irrationnels ou bien courants) sont liés
à des forces supérieurs qui nous gouvernent. Qu'il
s'agisse de Dieu, d'un démon ou d'une Tour, ses personnages ne
sont pas totalement libres. La famille de Shining est ici sous
l'emprise d'un démon du passé, d'une puissance
antérieure qui s'est nourrit des gens de l'hôtel (il
peut s'agir d'un Wendigo ou d'un Grand Ancien, King reste
évasif sur la nature de ce mal.) Il importe que cette
entité cherche à s'approprier la pureté de
l'Enfant. L'Overlook n'est que le réceptacle des forces, il
n'est pas question d'une "maison hantée" au sens de Shirley
Jackson.
De nouveau, Kubrick réfute
l'argument de King et délivre sa propre interprétation.
Il renonce en bloc au sixième sens de Danny et Halloran, aux
animaux taillés dans les arbustes, au rôle du
cuisinier... enfin, il élimine presque tous les
éléments surnaturels, ceux-là même dont
King ne parvient pas toujours à se défaire (doit-on
envisager une pointe de jalousie de sa part ?) Chez Kubrick, il est
clair que la folie vient de l'intérieur. Elle émane des
hommes et les torture jusqu'à la destruction des proches ou de
soi-même. Le film est axé sur ce principe : le
générique, devenu référence
incontournable du cinéma fantastique, nous montre un long
tracé sinueux dans les montagnes. Un périple que Jack
effectuera d'abord seul puis avec sa famille, avant d'affronter ses
fantasmes.
Le récit se construit selon la
déchéance de son esprit : Kubrick multiplie les plans
américains voir les gros plans sur un Nicholson de plus en
plus hirsute, le sourcil en circonflexe et les lèvres
retroussées. Un détail important quand on sait que la
première version du film durait 2h 20 et que Stanley,
mécontent, fit rapatrier les bobines le jour de la sortie (!)
pour un nouveau montage plus court. Les plans supprimés
concernaient pour l'essentiel la dégradation physique de Jack,
ainsi que ses séances automatiques d'écriture. Le film
laisse d'ailleurs planer le mystère sur l'éventuelle
possession démoniaque de l'hôtel. Moins
démonstratif que le roman, il reste très ambiguë
quant à la nature des visions : en présentant Jack
comme un ex-alcoolique, violent et perturbé, il laisse le
spectateur dubitatif. D'où provient le mal ? De l'Overlook ou
de Jack ?
La fin du film ne dévoilera
pas l'origine de la folie et nous laisse libre interprétation.
La mort de Torrance intervient de façon bien moins
spectaculaire que dans le livre, à l'immeuble en flammes
Kubrick préfère les givres du labyrinthe et il ne
revient pas sur Danny et sa mère, contrairement à
l'épilogue (désastreux ?) de King.
Tout était réuni pour
que Shining devienne une date dans le cinéma fantastique : un
metteur en scène inclassable, un romancier mondialement lu et
apprécié, et surtout une histoire forte sans artifice.
Or, si le film est aujourd'hui salué par ses pairs et que
Stephen King est une légende vivante, les deux hommes ne se
sont jamais accordés sur la vision qu'ils ont pourtant
partagée de nombreuses années. Deux tempéraments
trop contrastés, deux génies dont l'implication
émotionnelle était trop forte pour être
communiquée à l'autre. A présent que King a fait
réalisé sa propre version, malheureusement introuvable
en France, sans doute a-t-il pardonné à Stanley Kubrick
son éloignement vis à vis du récit. Les amateurs
de fantastique peuvent en tous cas remercier Kubrick de nous avoir
offert ce film noir, dérangeant et obsédant, point
culminant d'une oeuvre hantée par la violence et la
folie.
étude de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr> - © 18 avril 2000
Shining In the dark, Documentaire britannique de David
Stewart, 55 minutes (1999)
Arte, dimanche 10
septembre 2000 a eu lieu une soirée Stephen
King .
Une équipe la BBC a
suivi King dans le Maine, état verdoyant où
King a passé la quasi-totalité de son
existence, et où il a situé presque toutes ses
histoires.
Événement
rare, ce documentaire est le premier diffusé en
France sur Stephen King. D'ordinaire, King est un auteur
plutôt discret et pudique, si l'on excepte quelques
pitreries lors de ses séances de signature, avec le
public de fans qu'il aime bien. Il ne se livre guère
que dans ses romans, en le lisant entre les lignes.
Dans son habituel
sweat-shirt informe de gamin, le quinquagénaire
laisse d'abord échapper ses espiègleries
familières : "J'aimerais qu'après avoir
refermé un de mes livres, les gens dorment en
laissant la lumière allumée". Mais en
revisitant les lieux de son enfance, d'autres sujets plus
douloureux, plus intimes, apparaissent. Il évoque
Jack Torrance, le père alcoolique de Shining, et aborde son propre alcoolisme. Il
parle de son père, qui abandonna le foyer familial
alors qu'il avait quatre ans. Ces souvenirs éclairent
l'Ïuvre de ce grand conteur trop souvent sous-estimé,
et l'étonnante richesse de son univers sous des
apparences qui rebutent souvent les universitaires. Le
documentaire offre également des témoignages
des amis de King et des extraits de nombreuses adaptations
cinématographiques.
David Stewart s'essaie malheureusement au film d'horreur,
cherche les effets de mise en scène - bouquins
ensanglantés, éclairages blafards, musique
lugubre. Malgré - ou à cause? - de cela, les
amateurs de King trouveront leur bonheur dans ces
interventions de l'auteur qui le montrent sous un jour
humain, que ce site essaie de mieux cerner avec ses
moyens.
|
Revues et
livres sur le cinéma fantastique
Film vu par King
enfantqui a pu lui
suggérer l'idée de Ça
Contenu de ce site Stephen King et
littératures de l'imaginaire :
.. du site Imaginaire
.. du site
Stephen King