American
Psycho(se)
de Mary Harron
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La tendance actuelle est
au dévoilement du côté obscur de
l'Amérique. Le courant féroce et
méchament satirique amorcé par American Beauty se poursuit donc gràce
à ce serial-killer américain, monstrueux
golden-boy obsédé par son corps et sa
réussite qui élimine ses rivaux à coups
de hache sans sourciller, sur un air de Withney Houston
!
Il s'agit de Patrick
Bateman, vice-président d'une boîte de Wall
Street où d'ailleurs tous les jeunes requins sont
vice-présidents. Patrick est très content de
lui, il aime l'argent et les costumes Cerruti et
s'entretient avec un soin particulier. Le seul
problème c'est qu'un rien l'aggace : si un de ses
congénères lui tend une carte de visite plus
belle que la sienne, Patrick risque fort de lui
défoncer le crâne.
American Psycho s'attaque
donc en force à ce monde où les seules
occupations sont de réserver des tables dans les
restaurants chics et de discuter boutiques aux bars des
clubs privés. Patrick Bateman n'est que le
stéréotype de ces jeunes fils à papa,
dont l'unique mérite est d'avoir hériter d'un
empire financier. C'est toute une classe américaine
que dénonce la réalisatrice Mary Harron : les
petites rivalités mesquines, l'obsession de
posséder mieux et plus cher que le voisin, la
phallocratie dominante d'un monde ignoble.
Rien n'existe dans
l'univers de Bateman : il n'est qu'une image parmi d'autres
au milieu de son immense appartement d'un blanc parfait. La
recherche de la perfection entraîne la folie, une
schyzophrénie volontaire qui lui permet de trouver de
nouvelles émotions. Incapable d'éprouver de
sentiments autre que le narcissime extrème, il
atteint dans le meurtre sauvage un contrôle absolu de
lui-même. Lors de l'acte sexuel il s'admire dans le
miroir, jouit non pas de la relation à l'autre mais
de la perfection de son propre corps. Bateman n'a pas
d'amis, pas de femme, il ne vit entouré que
d'icônes dont la seule raison d'être est de lui
renvoyer la meilleure image de son succès. On ne peut
dire qu'il "bascule" dans la folie, elle est l'aboutissement
logique et inévitable de son existence transparente.
Le casting est en cela
pour une grande part dans la qualité du film : les
acteurs sont tous semblables, vêtus de la même
manière. Ils se comportent de façon similaire
en paroles et en gestes. Christian Bale, qui
interprète magnifiquement Bateman, ne se distingue
pas des autres puisqu'il juge que "seule ma coiffure
était plus élégante que la sienne". Ce
n'est pas un hasard si lors de nombreuses scènes la
ressemblance entre Bale et Tom Cruise est frappante : qui
mieux que Cruise incarne le golden-boy américain ? Le
succès doré du cinéma hollywoodien ? La
satire est incontournable. On s'amuse à imaginer ce
qu'aurait fait lui, Tom Cruise, de ce rôle.
Probablement un personnage bien moins marquant que Christian
Bale, qui confère à Bateman une
séduction et une monstruosité parfaite.
American Psycho est aussi franchement drôle dans les
situations épouvantables : il parodie Massacre
à la Tronçonneuse lors d'une séquence
de poursuite en tenue d'Adam, insère des
phrases-chocs au beau milieu d'une tirade poétique
sur le rock des années 80...
J'ignore quel accueil le
public américain a réservé à ce
brûlot jouissif, mais le film s'est très
certainement pris une gifle glaciale. Et quand on connait
leurs goûts en matière de politiquement
incorrect, on ne peut que s'en féliciter.
Dépéchez-vous, Monsieur Bateman a horreur
qu'on le fasse attendre...
article de "Sylvain Tavernier"
<syltavernier@wanadoo.fr>
© juin 2000
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